Le corner du marché de l’argent par les frères Hunt

Le 27 mars 1980 restera dans l’histoire financière sous le nom de Silver Thursday, le « jeudi de l’argent ». Ce jour-là, le cours de l’argent-métal s’effondre brutalement à New York, passant sous les 11 dollars l’once après avoir culminé quelques semaines plus tôt à près de 50 dollars. À l’origine de cette débâcle spectaculaire : Nelson Bunker Hunt et son frère William Herbert Hunt, deux milliardaires texans qui avaient tenté de réaliser le plus gigantesque corner jamais vu sur une matière première.

Les Hunt, une dynastie façonnée par l’argent… et par l’avidité

Les frères Hunt sont les héritiers d’un personnage hors norme : Haroldson Lafayette Hunt, autodidacte devenu l’un des hommes les plus riches des États-Unis grâce au pétrole. Farouchement conservateur, hostile à l’État fédéral et convaincu que la richesse n’a pas de limite, il inculque à ses fils une certitude : un riche n’est jamais assez riche.

Nelson Bunker, l’aîné, autodidacte et joueur dans l’âme, et William Herbert, plus discret et plus instruit, grandissent dans l’opulence. Dans les années 1960 et 1970, ils bâtissent leur propre empire pétrolier, notamment en Libye. Mais le coup d’État de Mouammar Kadhafi en 1969 et la hausse des royalties imposée aux compagnies étrangères amputent lourdement leurs revenus. À cela s’ajoutent l’inflation mondiale et l’instabilité monétaire qui suivent la fin de la convertibilité du dollar en or en 1971.

Pour Nelson Bunker Hunt, pessimiste et méfiant vis-à-vis du gouvernement américain, ces bouleversements annoncent le déclin du dollar et une inflation incontrôlable. Il lui faut une valeur refuge.

Pourquoi l’argent et non l’or ?

L’or aurait été le choix naturel, mais la législation américaine interdit alors aux particuliers d’en détenir librement de grandes quantités. L’argent-métal apparaît comme l’alternative idéale : sous-évalué, indispensable à l’industrie, et produit en quantités inférieures à la demande mondiale.

Influencé par des théories monétaires hostiles à l’étatisme, Nelson Bunker Hunt est convaincu que l’argent est « le meilleur investissement possible ». À partir de 1973, les frères Hunt commencent à acheter massivement du métal physique. Dès 1974, ils contrôlent déjà des dizaines de millions d’onces, stockées en grande partie en Suisse, transportées par avions et convois lourdement armés.

Ce qui n’était au départ qu’une stratégie de couverture contre l’inflation se transforme progressivement en un projet bien plus ambitieux : contrôler le marché mondial de l’argent et en dicter le prix.

Le mécanisme du "corner" du marché de l'argent

Un "corner" consiste à accumuler suffisamment d’une matière première pour contraindre les vendeurs à racheter leurs positions à des prix de plus en plus élevés. Les frères Hunt ne se contentent pas du marché physique : ils investissent aussi massivement sur le marché des contrats à terme (futures), multipliant les positions longues.

Entre 1973 et 1979, le prix de l’argent passe d’environ 2 dollars à plus de 5 dollars l’once. Pour aller plus loin, les Hunt ont besoin de capitaux supplémentaires. Après plusieurs tentatives infructueuses, ils parviennent en 1979 à attirer des investisseurs saoudiens. Ensemble, ils créent l’International Metal Investment Group.

En quelques mois, ce consortium acquiert plus de 150 millions d’onces supplémentaires. À son apogée, le groupe contrôle près de la moitié, voire jusqu’à 80 % selon certaines estimations, des stocks d’argent disponibles dans le monde.

Les prix s’envolent : 10 dollars l’once à l’été 1979, plus de 30 dollars en janvier 1980, près de 50 dollars quelques jours plus tard. Sur le papier, la fortune des Hunt devient colossale. Ils évoquent même l’idée de réintroduire l’argent comme monnaie, en remplacement du papier-dollar.

L’intervention des autorités et la fin du jeu

Cette flambée affole les autorités de régulation. La Commodity Futures Trading Commission (CFTC), le COMEX et la Réserve fédérale (Fed) redoutent une déstabilisation en chaîne des marchés financiers et du système bancaire.

Début 1980, les règles sont brutalement modifiées :

  • les dépôts de garantie exigés sur les contrats à terme sont fortement relevés ;
  • le nombre de contrats détenables par un même acteur est limité ;
  • les vendeurs sont autorisés à régler en cash plutôt qu’en métal physique.

Le château de cartes s’écroule. Incapables de répondre aux appels de marge, les Hunt doivent emprunter toujours plus, tandis que le prix de l’argent chute. Le 27 mars 1980, lors du Silver Thursday, l’once tombe à 10,80 dollars. Des centaines de spéculateurs sont ruinés.

Les Hunt menacent d’entraîner avec eux plusieurs grandes banques. Pour éviter un effondrement systémique, un prêt d’urgence historique est négocié, leur permettant d’éviter une faillite immédiate, au prix d’une liquidation complète de leurs positions et de l’hypothèque de leurs actifs.

Chute, procès et héritage

Les frères Hunt dénoncent une conspiration et un changement arbitraire des règles du jeu. Mais la justice américaine tranche : leur stratégie constitue une manipulation de marché. En 1988, ils sont condamnés. Leur empire financier est brisé, aggravé encore par la chute des prix du pétrole au début des années 1980.

La ruine est relative : la famille Hunt conserve des actifs pétroliers, et William Herbert retrouvera même, des décennies plus tard, une immense fortune. Mais l’épisode du corner de l’argent reste un cas d’école.

L’affaire Hunt, une leçon intemporelle

L’affaire Hunt illustre les dangers de la spéculation excessive, de l’effet de levier et de la croyance qu’un marché peut être dominé durablement par quelques acteurs, même immensément riches. Elle rappelle aussi une vérité fondamentale : lorsque les intérêts privés menacent la stabilité du système financier, les autorités finissent toujours par intervenir.

Comme le résumera plus tard William Herbert Hunt avec une lucidité tardive :

« Tout le monde a de la chance un jour… et pas le lendemain. »

Le Silver Thursday demeure ainsi l’un des symboles les plus éclatants de l’hubris financier et de ses conséquences.

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