Le "shutdown ("fermeture" en anglais) fait référence à l'arrêt des services de l'État fédéral américain lorsque républicains et démocrates ne parviennent pas à un accord sur le budget. Des centaines de milliers de fonctionnaires se retrouvent alors au chômage technique. Cela s’est déjà produit à plusieurs reprises aux États-Unis, pour quelques jours seulement. Mais un tel événement pourrait-il survenir en France ?

Le ministère de l'Économie a révélé le 2 septembre que la situation budgétaire de la France est plus préoccupante que prévu. Après un déficit budgétaire de l'État de 5,5% du PIB en 2023, qualifié d'"accident", ce déficit pourrait encore se creuser, atteignant 5,6% cette année, 6,2% en 2025, et 6,7% en 2026 si aucune mesure n'est prise.… Le Trésor estime qu’il faudrait réaliser 110 milliards d’euros d’économie d’ici 2027 pour simplement ramener le déficit public à 3% du PIB. Dissipons tout de suite les maigres espoirs que certains pourraient nourrir : rien ne sera fait, pour la bonne et simple raison qu’aucun des trois blocs élus lors des législatives anticipées n'a inscrit la réduction du déficit ni les réformes structurelles nécessaires pour y parvenir dans son programme. On note, au mieux, un contrôle des dépenses et l’espoir que la croissance permettra d’augmenter les recettes fiscales, ce qui contribuerait à réduire le déficit. Les coupes budgétaires envisagées par Bruno Le Maire ne sont que les déclarations d'un ministre sur le départ, qui a laissé dériver les comptes pendant ses sept années passées à Bercy et qui tente maintenant de sauver, autant que possible, sa réputation.

Le déficit va donc continuer à filer. Mais il y a plus grave : le budget 2025 sera-t-il seulement voté ? C’est désormais la question qu’il faut se poser alors que l’Assemblée nationale est divisée en trois blocs irréconciliables.

Un calendrier doit être respecté :

  • 13 septembre : transmission du budget au Haut conseil des Finances publiques
  • 19 septembre : transmission du budget au Conseil d’État
  • 25 septembre : examen du budget prévisionnel en Conseil des ministres
  • 1er octobre (premier mardi du mois d'octobre) : transmission du budget au Parlement
  • Des spécialistes du droit considèrent que ce calendrier pourrait être décalé de 15 jours…
  • 31 décembre : date limite pour l’adoption du budget

Un texte de fond rédigé par deux éminents constitutionalistes, Jean-Pierre Camby (professeur associé à l’université de Versailles Saint-Quentin) et Jean-Eric Schoettl (ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel), nous apporte quelques éclaircissements : Que devient le budget de la Nation en cas d’Assemblée ingouvernable ?

Leur analyse n’est pas encourageante :

  • Aucune procédure ne permet au gouvernement de contourner le Parlement (le recours aux ordonnances n’est pas autorisé par la Constitution dans le cas où l’Assemblée nationale a rejeté le texte).
  • Il n’y a rien dans la Constitution, ni dans la loi organique, pour dire comment opérer si l’Assemblée nationale rejette la loi de finances initiale (le budget).
  • Le gouvernement pourrait certes engager sa responsabilité sur la base de l’article 49-3, mais une coalition d’oppositions hostiles, représentant une majorité absolue de députés, peut voter une motion de censure et faire ainsi d’une pierre deux coups : renverser le gouvernement et rejeter le budget.
  • En cas de rejet de la loi de finances pour 2025, le gouvernement pourrait faire voter un texte d’attente (se bornant à permettre à la machine de l’État de continuer à fonctionner), mais qui lui aussi nécessite le soutien d’une majorité de députés.
  • Dernière extrémité : l’article 16 (les pleins pouvoirs au Président de la République), mais ce cas ne correspond pas tout à fait dans le texte de la Constitution.
  • Finalement la situation serait pire qu’aux États-Unis : "Plus bloquant [que le shutdown] serait en France un vote final de rejet d’une loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Il n’y aurait plus d’autorisation de percevoir l’impôt, plus de dépenses publiques, plus d’autorisation d’emprunt…"

Ne plus lever l’impôt, voilà qui ne serait pas désagréable… mais soyons sérieux, l'idée de fermer les services publics (écoles, hôpitaux) et de laisser les fonctionnaires sans salaire est tout simplement impensable. La situation dégénérerait en crise politique, en véritable crise de régime : "Que devient la République si l’éclatement de la société affecte la Représentation nationale au point de lui faire récuser les règles garantissant la continuité de l’État ?" écrivent les deux spécialistes de la Constitution…

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