Lors d’une interview à CNEWS le 21 novembre, Michel-Edouard Leclerc a annoncé que les hausses de prix demandées par les fournisseurs aux distributeurs étaient toutes à deux chiffres :
Les hausses qu'on nous demande pour 2023 :
— Michel-Edouard Leclerc (@Leclerc_MEL) November 21, 2022
- Conserves de légumes : +17,74%
- Conserves de fruits : +20,55%
- Café : +10,53%
- Produits animaliers : +41%
- Féculents : +10%
- Volaille : +13%
- Papier : +11% https://t.co/wh6aLa1ZoX
En retrait sur ses partenaires de la zone euro grâce à son bouclier tarifaire, la France semble s’acheminer vers une inflation à deux chiffres en 2023. La zone euro a dépassé les 10% en moyenne, et le point d’inflexion n’est pas encore apparu contrairement aux États-Unis où la hausse des prix semble se stabiliser à 8%, laissant espérer une décrue. Comment expliquer cette divergence ?
Ces deux zones économiques abordent de façon complètement différente la crise énergétique actuelle : les États-Unis sont autosuffisants grâce à l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste, alors que l’Europe est fortement dépendante de l’étranger. Le relèvement des taux d’intérêt ralentit la machine économique et, au prix d’une récession limitée, la Fed peut espérer vaincre l’inflation. La BCE fait face à une situation plus complexe : la hausse des taux d’intérêt risque d'accentuer une récession sans rien améliorer sur le front de l’inflation, qui dépend essentiellement des prix de l’énergie.
D’ailleurs, en zone euro, plus un pays est dépendant énergétiquement, plus son taux d’inflation est élevé (dans la mesure où il ne met pas en place un bouclier énergétique). Dans les pays baltes, dénués de centrales nucléaires (la Lituanie a fermé la sienne en 2009), jusqu’ici très reliés à la Russie et qui doivent trouver des fournisseurs alternatifs, l'inflation dépasse les 20%. En bas de l’échelle, dans les pays plus diversifiés en approvisionnement et dotés de centrales nucléaires, l'inflation se situe autour de 10% (Allemagne, Autriche, Espagne, France). Les exceptions à cette "loi" étant l’Italie (11,8%, sans centrale nucléaire) et les Pays-Bas (14,3%, avec centrale nucléaire).
Cette dépendance énergétique condamne l’Europe à une inflation élevée et durable, zone euro ou pas d’ailleurs (le Royaume-Uni et la Pologne souffrent également, avec 11,1% et 17,9% d’inflation respectivement). Les solutions de secours n’existent pas. Le GNL (gaz naturel liquéfié), qui fait momentanément figure de sauveur, ne constitue pas une solution pour compenser la perte du gaz russe : les quantités sont limitées (aucun contrat à long terme disponible avant 2026) et son prix explose (les producteurs préfèrent vendre au prix du marché). Ne parlons même pas des renouvelables, intermittents, incapables d’apporter une électricité correspondant à la demande. Les sanctions énergétiques contre la Russie, prises précipitamment, reviennent comme un boomerang.
L’effet d'un relèvement des taux par la BCE restera minime. L’influent président de la Bundesbank, Joachim Nagel, peut plaider "pour qu'une réduction progressive du bilan (de la BCE) s'amorce début 2023", mais qu’est-ce que cela changera fondamentalement ? En outre, la BCE doit tenir compte de la dette des pays du Sud, plus fragiles, alors que la Fed n’a à se préoccuper que de la dette fédérale. La hausse des taux pourrait limiter la glissade de l’euro face au dollar (ce qui génère de l’inflation importée, les matières premières devant être réglées en dollars), bien que cet effet sera temporaire, car une inflation durablement plus élevée en Europe par rapport aux États-Unis dépréciera la monnaie européenne. Ensuite, il suffira d’une crise (dette publique des pays du Sud, pénurie d’énergie, forte récession, crise bancaire) pour que la BCE rabaisse ses taux et relance sa planche à billets. L’inflation deviendra alors hors de contrôle.
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