Vous ne connaissez sans doute pas Zoltan Pozsar. Jeune prodige de la finance, il a été recruté au sortir de l’université par la Federal Reserve Bank de New York. Il est considéré comme le maître dans ce qu’il est convenu d’appeler le « shadow banking », dont font notamment partie les produits dérivés à l'origine de l'explosion du système financier mondial en 2007-2008. Malgré son jeune âge, Pozsar a été conseiller du Trésor américain et de la Fed pour tenter de résoudre cette crise systémique.

Selon le brillant spécialiste, couper les banques russes de SWIFT risque de générer une gigantesque crise de liquidités similaire à celle ayant provoqué la faillite de Lehman.

Le lundi 28 février, il écrivait : « Je n'oublierai jamais le briefing du vendredi soir précédant la faillite de Lehman, où selon les thèses avancées, le problème de Lehman était si parfaitement compris par tous que le système avait assez de temps pour se couvrir, de sorte que le défaut serait gérable. » Tout le monde connait la suite. L’ensemble du système bancaire mondial s’est retrouvé en faillite et les banques centrales continuent de créer de la monnaie pour tenter de colmater les gouffres financiers creusés ce jour-là.

Les banques et les entreprises russes avaient près de 1000 Md$ de liquidités, dont près de 200 Md$ étaient placés sur le marché des swaps du Forex. Ces 1000 Md$ manquant dans le système vont créer un trou de liquidités pour les marchés. Les 200 Md$ de swaps vont déclencher un immense désordre sur le marché des CDS, qui sont des  assurances contre les défauts de livraison ou défaut de règlement lors d’une transaction, lorsqu’elle est sécurisée par une banque.

En 2019, la Russie a exporté pour 419 Md$ et importé pour 254 Md$. Si la Russie ne peut pas payer ses achats, cela pourrait provoquer un énorme défaut de paiement, qui touchera les entreprises, les banques et les ré-assureurs par le biais des CDS. Si la Russie ne peut pas encaisser de paiement, elle n'enverra pas les marchandises. L’Allemagne ne pouvant pas se priver de gaz, de pétrole et de charbon russes sans risquer de mettre son industrie à l’arrêt et sa population dans le noir, il y a encore quelques dérogations aux sanctions. Mais il suffit de regarder la violente chute en Bourse des principales banques européennes pour comprendre l’importance du choc systémique en cours.

Le 3 mars, Zoltan Pozsar écrivait que saisir les réserves de la Russie détenues à l’étranger mettrait en péril le statut de monnaie de réserve mondiale du dollar. Après avoir saisi les réserves afghanes et russes, les États-Unis viennent de faire passer un message à toutes les nations du monde. Ce que vous avez mis de côté à l’étranger pour pallier aux situations d’urgence peut être saisi au moment même où vous en avez le plus besoin. Par sécurité, il faut donc garder ses réserves et ses richesses chez soi. Les États-Unis sont peut-être en train de déclencher une panique bancaire qui poussera les nations à rapatrier leur réserves monétaires et leur or.

En parlant de la Russie, Pozsar a déclaré : 

« Si les choses s'empirent, le rouble pourrait être ré-ancrer à l’or, parce qu'un soutien est nécessaire dans une situation comme celle-ci. » 

« Si la Russie veut sortir du système dollar, elle devrait dévoiler une monnaie garantie en or, co-sponsorisée par le yuan chinois, ce qui annoncerait que leur système monétaire est adossé à l'or. »

C’est une analyse que l'on a retrouvée sous de nombreuses plumes. Le fait que Zoltan l’exprime publiquement donne encore plus de poids à cette possibilité.

Si cela arrive, le prix de l’or en dollars et en euros s’envolera. 

Le 7 mars, Zoltan publiait « Bretton Woods III », un document que je considère comme essentiel, et qui conforte mon travail de recherche et mes théories depuis 2009. 

Pour simplifier : en bloquant toutes les matières premières du plus gros exportateur mondial, les États-Unis provoquent une gigantesque crise de liquidités du fait des appels de marge, des défauts de règlement et des défauts de livraison. Pour Zoltan, c’est la somme de la crise de 1997 des « petits dragons asiatiques », du défaut de la Russie en 1998 causant la faillite de LTCM, de la crise des subprimes de 2007 entrainant la faillite de Lehman en 2008, et de la crise de 2020, où la fermeture des frontières a débouché sur des défauts de livraison dans le monde entier.

Pour lui, il n’existe pas assez de liquidités pour payer les appels de marge et les CDS déclenchés par cette crise.

Toujours en simplifiant à l’extrême, il ne voit qu’une solution : il faudrait que la Banque centrale chinoise achète les matières premières russes et les stocke. Pour acheter, la Chine va devoir faire tourner la planche à billets, mais sa monnaie sera garantie par un immense panier de matières premières et donc totalement stabilisée.

C’est le système monétaire proposé par Keynes à Bretton Woods, appelé le BANCOR.  

Zoltan, avec beaucoup de finesse, ne prononce pas le mot... mais c’est évident, d’autant plus qu’il parle de « Bretton Woods III »

En mars 2009, le gouverneur de la Chine, Xiao Chuan avait publié un essai, « Reform the international monetary system », toujours accessible sur le site de la B.I.S, la banque centrale des banques centrales. Il est clairement écrit que le système des échanges internationaux ne doit pas être basé sur la monnaie d’un seul pays, mais sur un panier de monnaies, comme le DTS du FMI. Ce panier doit être garanti par un vaste panier de matières premières pour lui apporter de la stabilité. Keynes en 1944 avait proposé un panier de 30 matières premières, évidemment pondérées en fonction de leur rareté. 

J’ai souvent écrit au sujet du BANCOR : relisez cet article de 2019 « Réforme monétaire, DTS et BANCOR » 

Tout cela est également en ligne (un peu sinueuse quand même) avec l’annonce faite par The Economist en 1988 « Préparez-vous à la nouvelle monnaie mondiale ». Cette monnaie, le Phénix, devait renaître des cendres des monnaies fiduciaires aux alentours de 2018. Le fait que le Phénix portait une pièce d’or autour du cou, laissait à penser que l’or serait amené à jouer un très grand rôle. 

 

 

Dans le corps de l’article, il était écrit que les populations utiliseraient le « Phénix » de préférence à leurs monnaies nationales, pour sa stabilité. Cela induit que les monnaies fiduciaires doivent au préalable connaitre une période de forte instabilité. 

Le Venezuela, l'Argentine, le Brésil, le Mexique, le Liban, la Syrie, l'Irak, l'Iran, la Turquie, l'Ukraine et la Russie savent ce qu’est l’instabilité monétaire. L’Europe, qui vient de voir ses factures de gaz et d’électricité tripler, est en train de re-découvrir cela. Le prix du blé s’envole, toute la population mondiale va en souffrir.

En se privant des matières premières de la Russie, le plus gros exportateur mondial, l’Occident génère une très forte inflation. Le pouvoir d’achat du système de l’euro-dollar va continuer à fortement baisser dans les mois à venir. Plus le système monétaire mondial va se diviser et plus le dollar perdra de sa valeur.

Et l’or et l’argent ?

La Russie produit :

  • 1350 tonnes d’argent par an (45 Moz), soit 5,41% de la production mondiale
  • 300 tonnes d’or par an (10 Moz), soit 10% de la production mondiale 
  • 74 tonnes de palladium, soit 37% de la production mondiale

Etc...

Fin novembre 2021, dans mon article « pourquoi le prix de l’argent doit s’envoler en 2022 », Andrew Maguire révélait que la Banque Standard Chartered, market-maker du COMEX et de la LBMA, venait d’acheter toute la production d’argent à venir jusqu’en septembre 2022 de deux de ses principaux fournisseurs. Vendredi 11 mars 2022, Andrew Maguire a précisé que ces fournisseurs étaient russes. Or, Standard Chartered, dans les minutes ayant suivi son achat, avait hedgé son silver en le vendant à terme sur le COMEX. Pour une banque, c’est un moyen d’obtenir un crédit pour payer le fournisseur. 

Aujourd’hui, les barres d’or et d’argent russes produites après le 7 mars sont interdites à Londres et à New York. La banque Standard Chartered se retrouve prise en short squeeze

Elle ne doit pas être la seule dans cette situation, que ce soit pour l’or ou pour l’argent. Or, les demandes de livraison de physique sont extrêmement fortes depuis plusieurs semaines, dans un marché qui était déjà extrêmement tendu depuis plusieurs mois, et même en déficit depuis au moins deux ans. 

Il serait sain que les autorités monétaires fassent un audit sans complaisance des stocks réels d’or et d’argent non hypothéqués plusieurs fois existant à Londres et à New York. La surprise serait de taille.

Quoiqu’il en soit, après une brève consolidation technique de la hausse de ces dernières semaines, le prix de l'argent devrait venir tester à la résistance autour de 28 $, qui bloque la hausse depuis août 2020. 

Si la crise de liquidité frappe les marchés, comme l’annonce Zoltan Pozsar, et si la tension croissante sur le système des Exchange for Physical entre New York et Londres perdure, nous pourrions assister à une hausse brutale telle que celle de mai à juillet 2020. C’est ce à quoi Andrew Maguire s'attend à court terme. Le cas échéant, le silver connaîtrait un début de la ré-évaluation attendue depuis très longtemps.

Fait rarissime et historique

Il est extrêmement inhabituel et surprenant de constater que le 16 mars, il y a toujours 52,25 Moz d’argent en attente de livraison au COMEX, alors que très officiellement il y aurait 92 Moz d’argent à vendre (registered) dans les stocks. 

Est-ce le signe que personne ne veut lâcher son argent-physique au cours actuel alors que nous sommes dans un climat de pré-guerre ?

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