Quand l'or est-il apparu ? Quel rôle a-t-il joué dans l'émergence des civilisations ?

L'or occupe une place centrale dans l'histoire moderne et, plus généralement, dans l'histoire de l'humanité. Les découvertes archéologiques récentes ont remis en question notre compréhension de l'origine de l'or dans nos sociétés. L'or semble être apparu avec les premières cités, d'où son titre de « premier des métaux ».

L'apparition de l'or remonte à plusieurs millénaires avant celle du fer et coïncide approximativement avec celle du cuivre. Il est également établi que le métal précieux était déjà utilisé par certaines civilisations avant même la naissance de l'écriture. D'ailleurs, l'écriture a été partiellement développée pour consigner des prêts accordés sous forme d'or. L'histoire de l'or ne cesse de surprendre, au point qu'on peut se demander s’il n'a pas joué un rôle fondamental dans la formation des civilisations... Retour aux origines du métal éternel.

L'origine étymologique de l'or

Le symbole chimique de l'or est AU, tiré du latin aurum, lui-même dérivé du nom de la déesse romaine Aurora. Aurora symbolisait l'aube, les prémices de la lumière, et elle est aussi la sœur de Sol (le Soleil) et de Luna (la Lune). Dans les langues latines, la racine du mot aurum a été conservée, comme en français ("or") et en espagnol ("oro"). La référence à la déesse Aurora est significative sur les plans historique et symbolique. En effet, la couleur jaune caractéristique de l'or est due à son absorption de la lumière bleue, renvoyant ainsi des teintes rougeâtres et orangées. Le bleu, dans certaines traditions, est lié à l'aube, renforçant le lien mythologique entre Aurora et l'or, qui absorbe la lumière bleue.

Dans la culture nordique, le mot anglais « gold » provient du vieil anglais gelo (signifiant jaune) et du germanique gulthan. Cette racine trouve probablement ses origines dans le mot indo-européen préhistorique ghel, qui signifie « briller ». L'or était donc sans doute connu bien avant l'écriture, et peut-être même avant l'émergence des premières civilisations. Les découvertes archéologiques récentes confirment ces hypothèses linguistiques. Les qualités physiques remarquables de l'or avaient très tôt attiré l'attention et le savoir de nos ancêtres, témoignant de son importance historique et symbolique.

L’or : un besoin fondamental de la civilisation

Les premiers outils que l’Homme a utilisés remontent à environ 2 millions d’années. Plus tard, la maîtrise du feu par l'Homme est attestée il y a environ 400 000 ans, période où l'on trouve également des premières traces d'habitats dans des grottes, comme à Tautavel dans les Pyrénées-Orientales. Cependant, c'est véritablement à la fin de l'âge glaciaire, débuté près de 100 000 ans plus tôt, que des changements significatifs se produisent. Avec la hausse de la productivité agricole, il y a environ 12 000 ans, nous assistons à l'édification des premières « maisons ». Cette évolution marque une plus grande maîtrise de l'environnement local, avec l’essor progressif de l’agriculture et de l’élevage.

Avant cela, il est probable que l'or et l'argent n'avaient aucune véritable utilité. L'extraction de l'or nécessitait des outils relativement sophistiqués, bien qu'une peau de mouton pouvait suffire à filtrer l'or dans une rivière. Si l'or a été utilisé avant cette période, c'était probablement à des fins décoratives ou spirituelles. Par exemple, des traces d'utilisation de l'or en Espagne il y a 40 000 ans ont été mises en évidence par une découverte effectuée dans une grotte.

Le développement de l’agriculture et l'accroissement des surplus agricoles ont conduit à la formation des premières cités. Çatalhöyük, située en Turquie, est l’un des plus anciens centres urbains recensés, avec plusieurs milliers d’habitants vers le VIIIe millénaire avant notre ère. À peu près à la même époque et dans la même région, on trouve les premières traces de l’utilisation du cuivre travaillé à froid ou à basse température. L'usage du cuivre reflète une connaissance encore imparfaite des métaux.

Plus tard, la cité d’Uruk, dans l’actuel Irak, est considérée comme la plus ancienne cité recensée, vers 5 000 avant notre ère. C'est dans ce contexte marqué par l'émergence des premières villes, des échanges commerciaux, de la comptabilité et des dettes que l'or commence à jouer un rôle plus important.

L’apparition de l’or dans la civilisation

Les premières traces de l'utilisation de l'or se trouvent autour de la mer Noire, dans les régions correspondant à la Bulgarie et à la Géorgie actuelles. Selon les preuves archéologiques, l'usage de l'or remonterait au moins à la fin de la préhistoire, vers le Ve millénaire avant notre ère. Cette période coïncide avec l'émergence des premières villes en Europe, notamment en Europe de l'Est, incluant la Bulgarie, la Grèce et la Slovaquie.

Il est cependant plausible que l'or ait été utilisé bien avant cette période, dans d'autres régions et sous différentes formes. Parmi les premières cités européennes, on compte Varna, en Bulgarie, située au bord de la mer Noire et fondée vers 4600 avant notre ère. Une découverte majeure en 1972 a profondément transformé notre compréhension de l’histoire de l’or. La mise au jour de la nécropole de Varna, renfermant près de 300 tombes, a révélé des objets en or d’une grande sophistication, comme des colliers, bracelets et autres parures. Au total, près de 3 000 artefacts en or ont été extraits, représentant environ 6 kg d’or.

 

The Varna Chalcolithic Necropolis - oldest gold treasure in the world

 

Ces découvertes attestent de l'importance et de l'utilisation de l'or dès les débuts de la civilisation européenne, marquant ainsi une étape clé dans l'histoire du métal précieux.

Sakdrisi : la toute première mine d’or au monde !

De l’autre côté de la mer Noire, au Sud-Est de l’actuelle Géorgie, une découverte remarquable a modifié notre compréhension de l’histoire de l’or, confirmant les hypothèses soulevées par les fouilles de Varna. Au début des années 2000, un groupe de scientifiques allemands et géorgiens a mis à jour la mine de Sakdrisi, considérée comme « la plus ancienne mine d'or connue au monde », datant de 3400 avant notre ère, juste avant la naissance de l’écriture. Cela indique que l’or n’était pas seulement utilisé, mais aussi extrait de manière organisée et systématique par ces peuples.

La mine, située sur une colline, a révélé des veines ouvertes dans le sol. Les premiers mineurs descendaient jusqu’à 20 ou 30 mètres de profondeur, munis de marteaux en pierre et en bois. La pénurie de lumière et la difficulté d’accès rendaient cette tâche extrêmement ardue. Le minerai extrait était ensuite broyé pour en soustraire l’or. Selon certaines estimations, une équipe de huit personnes mettait environ une semaine pour produire un bijou d’environ 10 grammes.

 

The fight to save the ancient gold mine of Sakdrissi | Ancient Origins (ancient-origins.net)

 

Dans les siècles suivants, l’or s’est largement diffusé en Mésopotamie et en Égypte. Vers 3000 avant notre ère, l’exploitation minière se formalise avec l’expansion des cités, le développement des échanges commerciaux et les premières consignations écrites. La première carte d’une mine connue date d’environ 1150 avant notre ère.

Plus tard, sous le règne de César à Rome, Diodore de Sicile visita les mines d’or égyptiennes. Il rapporte dans son œuvre (Livre III, Chapitres 12-14) que les esclaves, soumis à des conditions insupportables, « meurent ainsi de la pire des morts, tant les souffrances que leur inflige l'exploitation des mines sont insupportables. Les travailleurs sont répartis en groupes distincts, chaque groupe ayant une tâche particulière à accomplir ». Il ajoute brillamment que « ces immenses travaux nous font comprendre que l’or s’obtient difficilement, que sa conservation exige de grands soins et que son usage est mêlé de plaisirs et de peines ».

Et si la monnaie avait « toujours » existé ?

L'or se répand progressivement comme un métal précieux, aussi bien au sein des civilisations égyptienne que sumérienne et d'autres. Il acquiert une reconnaissance universelle, utilisé tant sous forme de bijoux que de grains non standardisés. Ainsi, l'or commence à être employé comme moyen d'échange dans la sphère privée, bien que ce système reste encore imparfait. Ce n’est qu’en 2000 avant notre ère que les premières unités de mesure standardisées apparaissent.

L'or est donc utilisé très tôt comme moyen d'échange, ce qui suggère qu'il a fonctionné comme une forme de « monnaie » dès les débuts des civilisations. Cependant, au fil des siècles, le métal change de forme. À cette époque, l'or et l'argent étaient souvent mélangés, deux tiers d'or et un tiers d'argent, créant ainsi un alliage appelé électrum.

En Égypte antique, vers 2000 avant notre ère, le deben s'impose comme unité de mesure et était probablement déjà en usage vers 3000 avant notre ère. Cette unité équivalait à environ 90 ou 91 grammes. De plus, un deben pouvait être divisé en 12 shâ, ou un douzième de deben. Selon certaines sources, 12 shâ valaient 1 deben d'or, 6 shâ valaient 1 deben d'argent et 3 shâ valaient 1 deben de plomb, même si ces ratios ont probablement varié au fil du temps.

Il est établi que l'or et l'argent étaient utilisés comme moyens d'échange dès l’époque ancienne. L'émergence des premières unités de mesure a facilité l'introduction des premières taxes et redevances vers 2000 avant notre ère, ainsi que la concentration des richesses dans les premiers temples, qui faisaient office de « banque ». Par exemple, la ville de Sippar, au nord-ouest de Babylone, accumulait ses richesses dans le Temple du dieu-soleil Shamash. De nombreux prêts, sous forme de grains de céréales ou d'objets incluant l'or et l'argent, étaient accordés et consignés sur des tablettes. Ces tablettes attestent l’existence de prêts, parfois en présence de « témoins ». Dès lors, l’écriture fut créée pour comptabiliser ce type de transactions.

Sous l'ère du prédécesseur d'Hammourabi, célèbre pour avoir établi l'un des premiers codes de loi au monde, des prêts étaient pratiqués à un taux de 20%. Hammourabi fixera plus tard dans son code le taux d'intérêt maximal sur le grain à 33,3% par an, et à 20% pour les prêts monétaires, notamment sous forme d’or et d’argent.

Sur les qualités essentielles de la monnaie

Nous avons montré que l'or est apparu avec les premières cités. À cette époque, l'or répondait à un besoin réel du fait de son caractère symbolique, spirituel, ou simplement esthétique. Sa grande valeur a rapidement favorisé les échanges économiques sur une base commune. L'or, après être devenu une « réserve de valeur », est devenu un « moyen d'échange ». Mais cela suffit-il à qualifier l'or de monnaie ?

Bien plus tard, Aristote a défini trois critères pour qualifier une monnaie : une réserve de valeur, un moyen d'échange et une unité de compte (c'est-à-dire un moyen de mesurer ou d'évaluer un bien). L'apparition des premières unités de mesure il y a environ 5000 ans a favorisé la standardisation des échanges en or et en argent, représentant une première unité de compte. Cependant, à cette époque, la monnaie était principalement du domaine privé, et les premières lois se concentraient surtout sur l'encadrement des relations sociales. La monnaie est donc avant tout une innovation privée. Le « monopole public » de la monnaie n'est apparu que bien plus tard, vers 700 avant notre ère en Lydie sous Gygès, menant à la création de la première monnaie étatique sous Crésus.

Le débat sur la monnaie est donc plus complexe que ne le laisse croire la croyance populaire. Seul un commerce primaire a pu permettre une harmonisation de la valeur de l'or et, par extension, l'établissement d'une « valeur » commune, désignée comme unité de compte.

De l’or à la monnaie : une évolution ou une dégénérescence ?

Ainsi, la monnaie n’est-elle pas déjà une distinction initiale entre l’or et sa valeur ? L’or servait de monnaie dans le domaine privé avant que les rois ne s’emparent des métaux précieux comme attribut essentiel de leur pouvoir. Cette distinction entre l’or et sa valeur « juridique » ou « politique » permettait véritablement de qualifier l’or de monnaie, conformément à la définition d’Aristote : « toute chose reçue et consacrée par l'usage ou la loi ». Dans le Livre V de l’Éthique à Nicomaque, Aristote affirme :

« Il est donc indispensable que tous les biens soient mesurés au moyen d'un unique étalon, comme nous l'avons dit plus haut. Et cet étalon n'est autre, en réalité, que le besoin, qui est le lien universel (car si les hommes n'avaient besoin de rien, ou si leurs besoins n'étaient pas pareils, il n'y aurait plus d'échange du tout, ou les échanges seraient différents) ; mais la monnaie est devenue une sorte de substitut du besoin et cela par convention, et c'est d'ailleurs pour cette raison que la monnaie reçoit le nom de νοµισµα, parce qu'elle existe non pas par nature, mais en vertu de la loi (νοµος), et qu'il est en notre pouvoir de la changer et de la rendre inutilisable. »

Comme le résume parfaitement Aristote, « la monnaie est devenue une sorte de substitut du besoin et cela par convention ». Dès lors, l’or ne représente plus ce besoin essentiel de la civilisation de trouver une valeur stable avec un haut degré de symbolisme et de spiritualité, mais il exprime plutôt une valeur purement économique et matérialisée. La monnaie est donc une sorte de dégénérescence de l’or.

Sous une certaine sensibilité, la monnaie est une sorte de convention née du besoin primaire de la civilisation de détenir de l’or. L’aurum a bien été à l’aube de notre civilisation !

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