Dans une tribune récemment publiée, Nouriel Roubini, l’un des économistes les plus écoutés de la planète, prophétise : "D’ici 2020, les conditions tendront vers une crise financière, suivie d’une récession mondiale." Il identifie dix raisons, synthétisons-les succinctement : aux États-Unis, la croissance va fortement ralentir à cause de l’essoufflement de la relance budgétaire, des tensions commerciales et de la remontée des taux d’intérêt. L’Europe et les pays émergents connaîtront eux aussi une croissance plus lente. "L’endettement sur de nombreux marchés émergents et dans certaines économies développées se révèle clairement excessif," explique l’économiste américain, et il pointe des marchés boursiers trop hauts et un "risque d’illiquidité, de ventes en catastrophe".
Nous pouvons globalement partager cette analyse même si nous y voyons un biais anti-Trump assez évident. Nouriel Roubini prévoit même que le président américain déclarera la guerre à l’Iran pour "faire diversion" face à la chute de la croissance… Il nous semble au contraire que l’expansion de l’économie américaine s’avère robuste, car basée sur la déréglementation (notamment l’abandon des normes écologiques contraignantes) et le rapatriement des profits des multinationales grâce à une fiscalité accommodante, même s’il y a, bien sûr, de la relance budgétaire (avec un déficit au plus haut depuis 2012, à 3,9% du PIB) et que le relèvement des taux d’intérêt par la Fed fait peser un risque sérieux.
Sur l’Europe, par contre, nous suivons tout à fait Roubini quand il pose cet avertissement : "Le cercle vicieux encore non résolu entre les États et les banques détenant de la dette publique amplifieront les problèmes existentiels caractéristiques d’une union monétaire incomplète." Et il en conclut gravement : "Dans ces conditions, une nouvelle récession mondiale pourrait conduire l’Italie et d’autres pays à quitter purement et simplement la zone euro."
D’autant que Roubini révèle cette information cruciale : "Aux États-Unis, le législateur a limité la capacité de la Fed à fournir de la liquidité aux institutions financières non bancaires et étrangères présentant des passifs libellés en dollars." La crise de 2008 était une crise des subprimes, bien entendu, mais aussi des banques européennes qui ont eu les plus grandes difficultés à se refinancer en dollars, on le sait moins (c’est ce qu’explique Adam Tooze dans son dernier livre, Crashed). Prêter des dollars (à long terme) aux pays émergents en se refinançant (à court terme) sur le marché américain, ça rapporte, mais c’est très risqué, on le voit en ce moment avec la Turquie qui met sous tension nombre de banques européennes.
La crise viendra peut-être d’Europe et non pas des États-Unis, une fois n’est pas coutume ; c’est un scénario que nous avons évoqué, d’autant que les banques françaises et européennes sont en moins bonne posture que leurs consœurs américaines, nous l’avons signalé. Quant à fixer une date pour la prochaine crise, chacun sait ce que valent les prévisions économiques, mais prêtons-nous au jeu : ce sera en août 2021. D’où vient cette prédiction aussi précise ? Eh bien, ce sera exactement 50 ans après la décision qui a, selon nous, enclenché tout le cycle actuel d’explosion de la dette et d’hypertrophie de la finance : la fin de la convertibilité du dollar en or annoncée par Richard Nixon le 15 août 1971. Plus rien ne retenait les gouvernements d’accuser un déficit budgétaire persistant. Nous y sommes toujours. Il serait caustique que la fin de partie soit sifflée exactement un demi-siècle plus tard.
Quoi qu’il en soit, cette crise sera plus grave que la précédente, comme l’explique justement Nouriel Roubini : "À la différence de 2008, époque à laquelle les gouvernements disposaient des outils politiques permettant d’empêcher une chute libre, les dirigeants politiques qui affronteront la prochaine récession auront les mains liées, sachant par ailleurs que les niveaux globaux de dette sont supérieurs à ceux d’avant-crise. Lorsqu’elles surviendront, la crise et la récession de demain pourraient se révéler encore plus sévères et prolongées que celles d’hier."
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