Nous savons depuis l’année dernière que la Deutsche Bank est devenue la banque la plus exposée aux produits dérivés dans le monde, distançant de peu la JP Morgan. Le montant total des dérivés de la banque allemande dépasse l’entendement : 55.000 milliards d’euros, ce qui représente 20 fois le PIB de l’Allemagne, ou 5 fois le PIB de la zone euro. La banque ne pourrait évidemment pas faire face à une forte dépréciation sur ces produits, car ils représentent 100 fois le montant des dépôts de ses clients, 150 fois ses fonds propres…
La nouveauté c’est que les autorités financières commencent à s’en inquiéter. On a envie de dire qu’il était temps ! Enfin, pas les autorités allemandes, ni européennes, comme on pourrait le penser, et l’espérer, mais les autorités américaines. Dans un courrier adressé à la Deutsche Bank, Fed de New York dénonce en effet un "risque opérationnel important". Les rapports financiers de la banque concernant les produits dérivés "sont de faible qualité, imprécis et non fiables. La taille et l'étendue des erreurs suggèrent fortement que l’ensemble de la structure de reporting réglementaire de l'entreprise nécessite une profonde remise à niveau". La Fed de New York déplore également que, depuis ses avertissements antérieurs, elle n’a noté aucune amélioration. Et pour confirmer ce tableau inquiétant, l’auditeur de la banque allemande, KPMG, a aussi noté des "déficiences" dans les états financiers.
Un porte-parole de la Deutsche Bank a répondu que "nous avons travaillé avec diligence pour renforcer nos systèmes de contrôle et nous nous sommes engagés à être le meilleur de la classe." Dans ce cadre, 1.300 personnes seront embauchées, dont 500 aux Etats-Unis pour la conformité, le risque et la technologie. On ne voit pas vraiment en quoi cette déclaration est censée nous rassurer : s’il faut embaucher 1.300 personnes en plus pour gérer cette montagne de produits dérivés, cela veut dire que la situation est vraiment inquiétante, non ?
La réponse habituelle des banques par rapport aux produits dérivés est que leurs différentes positions sont compensées et qu’au final l’exposition nette ne représente que quelques milliards. Soit, mais auprès de qui achètent-elles ces positions ? Auprès d’autres banques, bien sûr. Il suffit ainsi que l’une d’entre elles fasse faillite pour que toutes les autres soient impactées, par un effet domino. C’est ce qui a failli se produire avec la faillite d’AIG, qui était la contrepartie de nombreux établissements financiers, en septembre 2008, et qui a été sauvée en catastrophe par l’Etat américain. Le calcul de l’exposition nette est ainsi purement théorique et il faut bien prendre en compte l’exposition brute.
Heureusement que les Américains font – un peu – le travail que devraient faire la BCE et les régulateurs nationaux. Il est vrai que dans ses précédents stress-tests, déjà très laxistes, la BCE ne prenait même pas en compte le montant des produits dérivés des banques, et il ne semble pas que ce soit le cas dans les prochains. Il n’y a pas de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Au-delà de la Deutsche Bank, il faut bien comprendre que l’ensemble des grandes banques mondiales détiennent des montants démesurés de produits dérivés aux côtés desquels leurs fonds propres s’avèrent tout simplement ridicules. Et cela constitue un risque systémique largement sous-estimé par les actionnaires comme par les déposants.
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