Et si toutes les discussions enflammées autour du budget de l’État et celui de la sécurité sociale à l’Assemblée nationale n’étaient que du théâtre ? Et si, au fond, le gouvernement et l’Élysée se fichaient complètement du niveau des déficits ? C’est notre avis, pour une raison simple : la France est trop grosse pour faire faillite — too big to fail, selon la formule consacrée. La France fait partie de la zone euro : sa faillite ferait exploser la monnaie unique. En conséquence, la Banque centrale européenne sera toujours là pour racheter sa dette. Fermez le ban.

Le gouvernement refuse de réduire les dépenses publiques, pourtant les plus élevées — en proportion du PIB — de tous les pays de l’OCDE. Mais il écarte également toute hausse généralisée des impôts (TVA, impôt sur le revenu) : le “bloc central” ne veut surtout pas compromettre ses chances pour la présidentielle de 2027. Le gouvernement fait payer les grandes entreprises — surtaxe sur les bénéfices, taxe GAFA — qui, elles, ne votent pas. Il grappille aussi quelques milliards ici ou là, aussitôt redistribués pour satisfaire diverses clientèles électorales. Autrement dit, aucun effort réel n’est entrepris.

Le “virage de la rigueur” de 1983 était alors inévitable : le franc s’effondrait face au mark, le déficit commercial explosait, l’inflation s’envolait. La situation n’était plus tenable, à moins de sortir du serpent monétaire européen, de rétablir le contrôle des changes et d’entraîner le pays dans une expérience digne des régimes faillis d’Amérique du Sud — l’Argentine à l’époque, le Venezuela plus récemment. Certains socialistes obtus y songeaient ; heureusement, François Mitterrand a tranché. Une rigueur toute relative, d’ailleurs, au moment même où le monde occidental s’engageait dans une vague libérale porteuse d’une véritable prospérité durant les deux décennies suivantes — les années 1980 et 1990 — dont la France est largement restée à l’écart. Bref.

Mais désormais, youpi ! Nous faisons partie de la zone euro : nous pouvons profiter des efforts des autres sans jamais nous serrer la ceinture ! L’euro, lui, se porte très bien : il a même gagné plus de 10% face au dollar depuis le début de l’année — surtout parce que la monnaie américaine baisse, mais passons. De quoi se plaint-on ? Le déficit commercial plonge dans le rouge, mais cela n’a aucune conséquence puisque le franc n’existe plus, alors pourquoi s’inquiéter ? Et si les investisseurs internationaux ne veulent plus acheter notre dette, la BCE sera bien obligée de les remplacer car un défaut de la France signifierait l’explosion de l’euro : la Grèce, à l’époque de la crise (2010-2011), avait une dette publique de 350 milliards d’euros, tout à fait gérable. La France, c’est dix fois plus. Aucun plan d’aide ne serait à la hauteur, sauf la planche à billets. La France est devenue le passager clandestin de l’euro. Pourquoi s’en faire ?

Bien sûr, en cas de crise, un plan d’aide de la BCE ne viendrait pas sans contrepartie — on imagine aisément la fureur des Allemands, et plus largement de tous les autres membres de la zone euro. Mais justement : ce serait l’occasion rêvée pour le gouvernement en place de se défausser sur “les bureaucrates bruxellois” et de faire passer des mesures drastiques de réduction des dépenses publiques et de hausse généralisée des impôts, dont il se sait aujourd’hui incapable d’appliquer ne serait-ce que le dixième. Refiler la patate chaude à l’Union européenne tout en versant une larme sur les souffrances du bon peuple : un rôle de composition parfait pour ceux qui nous gouvernent.

On imagine la crise politiques et les manifestations, mais c’est un autre sujet. La France s’en porterait-elle mieux ? Quand on regarde la Grèce, rien n’est moins sûr. Les programmes imposés de l’extérieur portent rarement leurs fruits — l’histoire l’a montré à maintes reprises, notamment avec les plans du FMI. Faute d’avoir su se réformer de l’intérieur, la France risque de payer un prix élevé pour pas grand-chose. Ce ne serait alors qu’une étape avant la prochaine crise

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