Tel Atlas soutenant le monde, les banques centrales portent sur leurs épaules le marché financier. Cette réalité demeure largement occultée, mais elle détermine pourtant massivement l’avenir de nos économies. Nous avions déjà évoqué ce sujet l’année dernière (Les banques centrales commencent-elles à nationaliser l’économie ?). Il importe d’y revenir car de nouveaux chiffres confirment cette bizarrerie, puisque selon Goldman Sachs, elles détiennent désormais un tiers du marché obligataire mondial !

Les marchés seraient livrés à l’avidité des spéculateurs, entend-on souvent, mais dans les faits, les banques centrales occupent une place croissante, or celles-ci ne sont qu’un appendice de l’État, même si elles affichent une indépendance plus ou moins réelle envers les gouvernements en place. Le "capitalisme débridé" relève en partie d’une fable, et la notion de marché libre devient plus relative que jamais.

Selon Goldman Sachs donc, sur les 54.000 milliards de dollars d’obligations (souveraines et privées) échangeables dans le monde, les banques centrales en détiennent 18.000 milliards, soit exactement un tiers (33%). Elles sont passées devant les hedge funds (28%), incarnation médiatique du capitalisme sans foi ni loi... Avec leurs planches à billets (les "QE"), ces institutions possèdent une puissance de feu supérieure aux acteurs traditionnels... en avant vers la collectivisation rampante ! Et toutes ces liquidités se retrouvent aussi sur les marchés actions qu’elles contribuent à faire monter (quand elles ne les achètent pas directement comme le fait la Banque du Japon).

Évidemment, le prix des obligations dans le monde ne serait pas aussi élevé sans cette intervention colossale, mais, après tout, c’est l’objectif des banques centrales, puisqu’elles veulent maintenir au plus bas les taux d’intérêt (taux d’intérêt faible d’une obligation = prix élevé). Elles veulent désormais "normaliser" leur politique monétaire, ce qui implique d’arrêter les QE, puis de vendre ces 18.000 milliards de dollars d’obligations, et d’accepter une remontée significative des taux d’intérêt. Personne ne pense que cela ne provoquerait pas une crise financière majeure... les banques centrales sont coincées.

La Banque centrale européenne a annoncé, par la voix de son président Mario Draghi, vouloir arrêter son QE au mois de décembre, mais sans s’interdire de le prolonger si cela se révélait nécessaire. Tout cela reste bien approximatif. Il s’agit pourtant de 60 milliards d’euros créés par mois pour acquérir des obligations d’États et de grandes entreprises de la zone euro, tout de même. Mais couper le robinet à liquidités et amorcer une remontée des taux mettrait en danger le secteur bancaire qui souffre durement dans plusieurs pays. Ne parlons même pas de Chypre et de la Grèce, où les banques sont sous respiration artificielle, mais rappelons que l’Italie et l’Espagne (des pays de taille systémique) ne sont toujours pas sorties de la crise de 2008 : les créances douteuses mettent en péril les établissements financiers, et des solutions d’urgence sont lancées pour éviter les faillites (reprise de Banco Popular par Santander pour un euro symbolique en Espagne, tentatives de recapitalisation de Monte Paschi en Italie et de sauvetage de plusieurs établissements).

Les banques centrales sont devenues tellement incontournables que leur retour à la situation plus modeste et limitée d’avant 2008 provoquerait une crise majeure. Nous sommes condamnés à supporter l’omnipotence des banques centrales comme Atlas fut condamné par Zeus à porter le globe terrestre. Et lorsque la planète obligataire échappera à ceux qui sont sensés la contrôler, ce sera une nouvelle forme de déluge…

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