A l’époque de l’URSS, des économistes essayaient de comprendre comment, malgré tout, le pays était parvenu à accroître largement sa production dans les années 30 et 40 (jusqu’à doubler l’Allemagne pendant la guerre), malgré une centralisation complète de l’économie qui aurait normalement du mener à l’effondrement. Ils forgèrent alors le concept de croissance extensive : l’Union soviétique dispose de charbon et de minerai de fer, il n’est alors pas compliqué de construire une industrie sidérurgique, surtout si les travaux les plus durs sont réalisés par une main d’œuvre gratuite (les prisonniers du Goulag), qu’un réseau d’espionnage international récupère les dernières technologies, et qu’un enseignement de qualité forme des ingénieurs, la terreur assurant la motivation nécessaire. L’arme nucléaire et le programme spatial furent les derniers témoignages de cette croissance à marche forcée. Mais ensuite, lorsqu’il fallu améliorer la productivité et développer l’innovation et les nouvelles technologies de l’électronique et de l’informatique pour passer à une croissance intensive, ce qui nécessite un minimum de libertés, la machine se grippa et la stagnation apparu, condamnant à terme le régime.
Même si ce modèle historique est caricatural, la distinction croissance extensive/intensive garde toute sa pertinence et permet de comprendre les problèmes que connaissent en ce moment les économies émergentes. Prenons un exemple : lorsque, comme le Brésil, on possède parmi les plus importantes forêts de la planète, il n’est pas compliqué d’exporter du bois, quelques matériels et infrastructures de transport suffisent. Fabriquer des meubles se situe un cran au-dessus, il faut des capacités d’ingénierie et des réseaux commerciaux. Et concevoir un nouvel Ikea nécessite toute la palette des compétences d’une économie développée (design, marketing, contrôle qualité, etc.). Voici le passage de la croissance extensive à la croissance intensive, et le Brésil n’y arrive pas, son PIB a reculé de 4% en 2015. Assi sur ses ressources naturelles et ses usines de poulets au kilomètre, le pays ne parvient pas enclencher une croissance vertueuse.
Idem en Chine où le pouvoir, après les émeutes de Tian’anmen en 1989, décide de détourner la colère du peuple en lançant la course au développement économique. Tout est décidé d’en haut, les quotas de production comme les financements, sans le contrôle d’un "marché" qui n’a jamais vraiment existé. Comme l’explique David Stockman : "l’industrie sidérurgique chinoise est passée d’une capacité d’environ 70 millions de tonnes au début des années 1990 à 1,2 milliards de tonnes aujourd’hui, soit 60% de la capacité totale mondiale actuelle. Il va sans dire qu’il est tout bonnement impossible de multiplier par 17 de manière efficiente la plus lourde des industries lourdes en un quart de siècle." La Chine a plein d’usines, certes, mais qui fabriquent pour beaucoup des produits cheap, sans véritable reconnaissance internationale (ou elles assemblent des iPhones, qui pourraient facilement bientôt être montés dans des usines robotisées aux Etats-Unis). D’ailleurs, pourriez-vous citer trois marques chinoises ? Non, nous en déjà avons parlé.
Quelques pays ont réussi cette transition, comme la Corée du Sud, mais dans la plupart des émergents, le poids de l’intervention étatique et la corruption bloquent ce chemin vers la croissance intensive. Ces maux se retrouvent d’ailleurs aussi en partie dans les pays dits "développés" et expliquent la faiblesse de leurs taux de croissance, prenons-en garde.
Que nous réserve l’avenir ? Il existe une différence notable entre ces pays et l’URSS d’antan : la dette. Toute cette croissance chinoise, et dans de nombreux pays émergents, s’est construite sur de la dette qui atteint désormais des montants démesurés. Le big reset n’est pas forcément très loin, entre des créances bancaires qui reposent sur du sable, des capacités de production largement excédentaires, des immeubles à 20% inoccupés, des prix d’actifs surévalués. Oui, la Chine et plusieurs pays émergents peuvent littéralement voir leur PIB s’effondrer.
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