L’agence de presse indépendante Ecofin a relayé la vidéo de l’intervention du président kenyan William Ruto au "Sommet pour un nouveau pacte financier mondial" organisé par le président français Emmanuel Macron :

 

 

Cette intervention est devenue virale sur les réseaux sociaux africains car elle révèle une nouvelle forme de langage que nous allons tenter d'analyser.

Premièrement, le ton de cette intervention est tout à fait nouveau. William Ruto apostrophe le président français et l’appelle par son prénom, Emmanuel, marquant ainsi une volonté de se positionner d’égal à égal avec lui. Cette familiarité est extrêmement rare lors d’une réunion publique avec un chef d'État africain.

Le Kenya est dans une situation budgétaire très compliquée, avec une dette nationale publique qui atteint 67 milliards $. C’est le septième pays le plus endetté d’Afrique, après l’Egypte (352 milliards $), l’Afrique du Sud (268,8 milliards $), le Nigéria (99,9 milliards $), le Maroc (84,1 milliards $), l’Algérie (83 milliards $) et l’Angola (76 milliards $).

"Au Kenya, nous payons environ 10 milliards $ chaque année pour honorer notre dette. Si nous l'utilisions au contraire pour le développement du pays, ce serait une redirection immédiate de ressources immenses et cela aurait un impact énorme. Pour cela, il suffit que l'argent que nous étions censés payer à la Banque mondiale, au FMI et à tous les autres prêteurs, nous le convertissions en une facilité de prêt de 50 ans avec un délai de grâce de 20 ans", explique William Ruto.

Le refinancement de la dette du pays est très difficile et l’accès à de nouveaux crédits s’avère de plus en plus compliqué. Le pays ne parvient plus à accéder aux programmes de développement mis en place par les bailleurs occidentaux.

Devant une telle situation, le président kényan aurait dû adopter une attitude beaucoup plus réservée. Les négociations sur la dette des pays africains auprès du FMI se déroulent traditionnellement de manière discrète et mesurée. Qu’est-ce qui a pu pousser William Ruto à changer de posture face à la présidente du FMI et au président français ?

“Pas le FMI, ni la Banque mondiale. Nous voulons une autre organisation où nous aurons autant que vous notre mot à dire.”

William Ruto revendique une autre forme d’organisation mondiale pour l’émission de dettes.

Pourquoi est-ce différent des revendications formulées par le Panafricanisme il y a 20 ans ?

Depuis cette période, le niveau d’endettement des pays occidentaux a évolué. Il y a 20 ans, les pays occidentaux et le FMI, l’organisation qu’ils ont mis en place pour gérer le financement des pays en voie de développement, pouvaient appuyer leur politique sur une certaine crédibilité. Les choses étaient assez simples : d’un côté les pays riches, créditeurs, et de l’autre les pays pauvres, débiteurs.

Aujourd’hui, le niveau d’endettement des pays occidentaux a modifié le regard des pays pauvres sur le problème de la dette.

Le Panafricanisme de 2023 relève une différence de traitement quant à la dette publique. En demandant un changement des règles fixées par le FMI, le président du Kenya pointe cette injustice. Les pays riches obtiennent de meilleures conditions d’accès au crédit. La politique monétaire des banques centrales a permis d’accéder à l’argent gratuit pendant plus de dix ans, alors que les pays africains ont dû se contenter de “taux préférentiels” accordés par le FMI. L’Afrique était trop loin de la planche à billet pour bénéficier de l’enrichissement observé au cours de la dernière décennie.

La crise sanitaire a particulièrement changé la donne. Les pays occidentaux ont fait face à un choc qu’ils n’ont pu surmonter que grâce à un endettement public massif.

Mais ce ne sont pas les organismes internationaux comme le FMI qui sont intervenus. Le statut de monnaie de réserve internationale du dollar permet aux États-Unis d’encaisser ce type de chocs. Un avantage que n’ont pas les pays africains, qui doivent emprunter. Les pays africains n’ont que le FMI pour négocier leur dette, alors que les banques centrales des pays occidentaux ont plusieurs outils financiers (swaps, fenêtres de financements spéciales) qui leur permettent d’obtenir de meilleures conditions d’accès au crédit.

Depuis début juin, les États-Unis ont emprunté plus de 700 milliards $ pour pouvoir continuer à faire fonctionner le gouvernement et à honorer les remboursements de la dette :

 

 

Cela représente 54 milliards $ de dettes créées chaque jour !

Autrement dit, chaque jour, le gouvernement américain peut librement s’endetter de 162 $ par habitant, alors que le salaire moyen d’un africain est de $5 par jour… et que les pays occidentaux continuent à forcer les pays africains endettés à trouver des solutions de refinancement auprès du FMI, organisme financé par des pays qui contrôlent la planche à billets !

Tant que la situation fiscale des pays occidentaux était respectable et respectée, les contraintes du FMI pouvaient être comprises et acceptées. Elles le sont beaucoup moins aujourd’hui. Pourquoi les pays occidentaux n’ont pas, comme les africains, à renégocier leur dette abyssale auprès du FMI ? Pourquoi est-il plus difficile et plus coûteux pour les pays africains de financer leur dette alors que les occidentaux sont loin d’être de bons élèves en matière de dette publique ?

La France est loin d’être un exemple dans ce domaine.

Dans un entretien publié par El Pais , le ministre allemand de l’économie pointe le fait que la France n’a jamais mis en œuvre les réformes nécessaires depuis 1980 pour résoudre son problème d’endettement. Une attitude inacceptable dans le cadre de l’Union monétaire. En clair, la France s’endette en sachant très bien qu’elle aura toujours une solution pour se financer sur les marchés, sans se soucier d’équilibrer ses comptes. L’Allemagne reproche à la France de ne pas se comporter en adulte vis-à-vis de sa dette.

Et c’est dans ce contexte que l’on observe la familiarité William Ruto avec Emmanuel Macron. Le président français n’est plus en mesure de se positionner en “adulte” européen face à son “enfant” africain.

Comment faire perdurer un système de financement de la dette qui est désormais dirigé par des mauvais élèves ? Comment imposer aux pays pauvres des conditions aussi strictes lorsque les pays occidentaux eux-mêmes choisissent de ne pas rembourser leurs dettes et d’en émettre de nouvelles lorsqu’ils sont confrontés à un choc économique ?

Dans une vidéo, Peter Schiff détaille de manière très spécifique ce procédé de roulement de la dette des pays occidentaux, qu’il assimile à un système pyramidal de Ponzi.

Il affirme que le récent débat sur le plafond de la dette aurait dû ébranler la confiance dans le dollar. Peter Schiff explique que le Trésor US dépend de nouveaux emprunts pour rembourser sa dette existante, ce qui est conforme à la définition d’un système de Ponzi. Selon lui, l’escroquerie du gouvernement américain ne pourra pas tenir.

Peter Schiff indique que l'augmentation du plafond de la dette est basée sur l'idée que les États-Unis paient toujours leurs factures. Mais en réalité, c'est tout le contraire. La raison pour laquelle le gouvernement américain doit augmenter le plafond de la dette, c'est parce qu’il ne paie jamais ses factures !

Il est donc logique de voir le regard des pays en voie de développement changer. Et on comprend beaucoup mieux la percée d’initiatives des BRICS auprès de ces pays.

Jim Rickards prévoit que les pays "BRICS+" annonceront la création d'une nouvelle monnaie lors du sommet annuel de leurs dirigeants, qui se tiendra du 22 au 24 août 2023.

 

 

Cette nouvelle monnaie sera la base d’un système d’échanges internationaux qui se passera du dollar et de tous les systèmes associés (système SWIFT, organismes internationaux comme le FMI, organismes interbancaires comme le BIS…)

Jim Rickards annonce que cette monnaie sera adossée à l’or. Son utilisation améliorerait sensiblement la valeur des ressources naturelles des pays émergents.

Elle pourrait aussi faire apparaître des solutions de financement plus compétitives pour ces pays émergents.

Les promesses d’un nouveau système d’échange, qui offrirait une alternative au système classique dollar/FMI, est probablement l’une des raisons pour lesquelles les pays africains comme le Kenya ont changé de ton envers le FMI et les pays occidentaux.

Cela explique les récents achats d’or des banques centrales de ces pays : l’or physique est l’unique outil pour réussir la transition vers ce nouveau système dédollarisé.

Le 18 décembre 1912, le financier et banquier le plus influent de son temps, John Pierpont Morgan, est appelé à témoigner devant le Congrès des États-Unis.

Extrait de la déposition avec Samuel Untermeyer, conseiller en chef du sous-comité Pujo du Comité de la Chambre pour les affaires bancaires et la devise, établi à l’époque pour enquêter sur l’influence des banquiers de Wall Street et des financiers sur la monnaie et le crédit aux États-Unis:

Mr Untermeyer : J’aimerais vous poser quelques questions sur le sujet que vous avez abordé ce matin, quant au contrôle de la monnaie. Le contrôle du crédit implique un contrôle de la monnaie, n’est-ce pas vrai ?

Mr Morgan : Le contrôle du crédit ? Non.

Mr Untermyer : Mais la base du système bancaire est bien le crédit ?

Mr Morgan : Pas toujours. Le crédit est une preuve des activités bancaires, mais il n’est pas de la monnaie. La monnaie, c’est l’or, et rien d’autre.

 

 

À un moment où la dette mondiale représente le triple du PIB mondial, et face aux différences injustes d'accès à la dette, les pays émergents semblent tout à coup réaliser la différence entre dette et monnaie.

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