On a beaucoup parlé du scandale de la manipulation du Libor, les milieux financiers et bancaires, les régulateurs et les dirigeants politiques ont été secoués par la révélation de cette affaire. Ce taux d'intérêt est calculé à partir d'un ensemble de banques et sert de base à des milliers de produits financiers à travers le monde. Il était manipulé, sciemment sous-estimé pour faciliter le "business", et masquer la défiance dont faisait l'objet nombre de banques. Les protestations furent unanimes. Une occasion supplémentaire de clouer au pilori le monde de la finance.
Bien. Mais n'y a t-il que le Libor qui est manipulé ? Tout le monde sait, par exemple, que le taux de chômage est largement trafiqué par les pouvoirs en place, notamment lorsque l'élection approche, on l'a vu récemment aux Etats-Unis. Le taux d'inflation également est minoré, parce que les prestations sociales et les salaires des fonctionnaires sont indexées dessus et que l'Etat veut contrôler ces dépenses, ou éviter de les voir déraper. Mais dans ce cas les conséquences sont plus graves car ce taux sert de référence à des actifs financiers, par exemple à une certaine catégorie d'emprunts d'Etat, ceux indexés sur l'inflation, qui existent dans de nombreux pays. Et revoici un "biais" digne du Libor !
Mais plus fondamentalement, pourrait-on calculer un "vrai" taux d'inflation ? On touche ici à la distinction entre microéconomie et macroéconomie. Et il faut dire ici clairement que nous n'avons pas affaire à deux niveaux de réalité différents mais à, d'un côté, la réalité des marchés (ce qu'on appelle la microéconomie), et de l'autre une construction étatique, faite par des comptables publics, avec tous les présupposés que cela suppose. Le fait que telle entreprise vende tel produit à telle personne constitue une réalité, son chiffre d'affaire sur le mois aussi, le cours de l'or ou celui d'une matière première également, mais la croissance du PIB ou le taux d'inflation dépendent de tellement d'hypothèses et agrègent un si grand nombre de données qu'il faudrait éviter de s'y fier aveuglément et les prendre avec des pincettes !
Le taux d'inflation, par exemple, ne concerne que les biens de consommation, il fait donc l'impasse sur le logement d'acquisition (un bien d'investissement) qui pourtant représente une part significative des dépenses des ménages. Les biens de production (les échanges inter-entreprise) sont aussi exclus. Plus pernicieux, un "indice de progrès technique" fait que la nouvelle version d'un ordinateur, si elle est vendue au même prix que l'ancienne, sera pourtant comptabilisée à un prix inférieur "parce qu'on en a plus pour le même prix"... Tous les instituts statistiques nationaux font cela. Et au final, le panier de biens pris en compte est tellement vaste et soumis à tant d'hypothèses qu'il ne correspond plus qu'à une image statistique totalement abstraite.
Autre indicateur fondamental, le PIB, lui, représente la somme des valeurs ajoutées dégagées par les entreprises, mais aussi les "services non marchands" rendus par les administrations publiques, dont on considèrent qu'ils valent ce qu'ils coûtent, ce qui signifie qu'une hausse des dépenses publiques produit mécaniquement une hausse du PIB et donc de la croissance...
Calculer des données macroéconomiques apporte bien sûr une information utile, mais il faut bien comprendre qu'elles ne constituent que des approximations, le plus souvent sous influence de l'Etat. Et le danger, il faut le dénoncer clairement, consiste à les incorporer dans des transactions réelles, car on introduit ainsi automatiquement un biais qui va fausser les prix de marché, qu'il s'agisse, répétons-le, du Libor, du taux d'inflation ou d'un autre indice.
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