Depuis plusieurs décennies, l’économie mondiale s’est engagée dans une fuite en avant. Elle vit à crédit, tant au sens propre que figuré. La dérégulation financière des années 1980 a créé une bulle financière qui n’a jamais vraiment éclaté. À chaque crise, les États ont préféré repousser les conséquences grâce à encore plus d’endettement. Dans ce contexte, plusieurs réglementations ont vu le jour, notamment les règles de Bâle, pensées comme des réponses techniques à un déséquilibre pourtant profond. Les dernières en date, celles dites de Bâle III, introduisent toutefois un nouvel élément : le retour de l’or physique au cœur du système financier international. Alors que les États-Unis prévoient de les appliquer à partir de juillet, le sujet revient plus que jamais sur le devant de la scène.
Les règles de Bâle sont connues de longue date. Leur création remonte à 1974, une période où la montée en puissance des grandes banques commençait à faire d’elles des entreprises « trop grosses pour faire faillite ». Trois années auparavant, la fin de l’étalon-or avait signé un basculement historique, ouvrant la voie à un système où l’endettement illimité devenait permis. L’entrée dans ce monde nouveau, déconnecté de toutes réalités, nécessitait donc un minimum d’exigence réglementaire pour être accepté… Sous l’égide de la Banque des règlements internationaux, souvent qualifiée de « banque centrale des banques centrales », ces règles garantissaient certaines obligations spécifiques, dont un minimum de capitaux propres par rapport aux actifs. Les plus grandes banques étant les seules concernées.
Ces premières réglementations ont ensuite connu plusieurs mutations : une première en 2004, puis une seconde au lendemain de la crise financière de 2008. C’est à cette dernière que nous nous intéressons aujourd’hui.
Les dernières, celles de Bâle III, impliquent de nouveaux mécanismes adoptés en 2010 et mis en œuvre progressivement depuis. Elles incluent notamment une exigence accrue en matière de fonds propres afin de prévenir les crises de solvabilité, ainsi qu’un volume de liquidité suffisant pour éviter des retraits soudains de capitaux. Pour protéger l’économie mondiale, désormais vulnérable à toute crise financière, ces règles demandent aux banques de financer leurs actifs de long-terme avec des ressources stables. Jusque-là, rien de bien révolutionnaire.
Ce qui distingue véritablement Bâle III, c’est la place centrale qu’elle accorde à l’or. Plusieurs éléments sont sur la table. Premièrement, 85% de la valeur des métaux précieux non alloués — qui ne sont pas propriété directe du client — et détenus par les banques doit être couverte par des capitaux propres. Or cette différence rend mécaniquement la détention d’or papier nettement plus coûteuse pour les banques, réduit son attractivité, affaiblit les produits dérivés sur l’or, et incite les établissements financiers à s’en défaire. Cette annonce a aussi provoqué une raréfaction de la liquidité sur des plateformes comme le LBMA ou le COMEX, car les banques doivent désormais prouver qu’elles détiennent réellement l’or qu’elles déclarent. Des audits ont été menés — la majorité de l’or échangé sur les marchés étant sous forme papier, sans existence physique. Mais les banques détiennent très peu d’or réel pour couvrir des engagements massifs en or papier, parfois jusqu’à 100 fois supérieurs…
Ces nouvelles règles imposent d’autres obligations. L’or est désormais valorisé dans le bilan des banques à son prix de marché et non plus à une valeur historique ou fixée. Les banques deviennent donc plus sensibles aux variations du métal jaune, car les pertes et les gains ne peuvent être cachés. Étant donné que la période est particulièrement favorable à l’or, cela encourage d’autant plus les banques à augmenter leurs réserves.
Enfin, avant Bâle III, les banques ne pouvaient comptabiliser que 50% de la valeur de leur or physique dans leurs fonds propres. Désormais, elles peuvent tenir compte de l’intégralité, à condition qu’il soit physiquement détenu. L’or joue le rôle d’un actif de très haute qualité depuis qu’il est reconnu comme tel par la BRI - au même titre donc que des obligations d’État (officiellement, l’actif financier le plus sûr). De fait, la détention d’or physique devient privilégiée, — surtout dans une période où le marché connaît aujourd’hui de fortes tensions, signes de son attrait (les récentes pénuries de lingots signalées à Londres, en partie dues à des transferts massifs vers New York, en témoignent). Tandis que de son côté, l’or papier perd progressivement de son importance…
Les dernières règles de Bâle constituent une véritable rupture. Entre l’or physique et non-physique, dont la nature spéculative ne fait plus débat, la frontière s’accroît. L’intérêt pour l’or physique se fait désormais non seulement pour son indépendance et sa valeur refuge, mais aussi pour sa conformité réglementaire….
Cet engouement s’inscrit dans la continuité de l’intérêt porté par les banques centrales. Il convient de rappeler qu’elles achètent de l’or de manière croissante et que l’an dernier, leurs achats officiels ont atteint 1 045 tonnes, un record à la fois historique et symbolique puisqu’au-dessus des 1 000 tonnes. Ces achats, dominés par les pays émergents, témoignent clairement de la montée en puissance de l’or dans le système financier international.
Nous assistons, en réalité, à une érosion progressive de la confiance dans l’ordre monétaire établi. Plus précisément, c’est la capacité des États à honorer leurs dettes, ainsi que la stabilité des monnaies dans un contexte d’inflation durablement élevée, qui sont de plus en plus remises en question. Cette tendance est accentuée par les tensions géopolitiques croissantes et la compétition entre puissances émergentes, qui ne font qu’alimenter l’instabilité du système international.
La nécessité de repenser le système financier international apparaît d’autant plus évidente avec l’entrée en vigueur des règles de Bâle III. Alors que la BRI est détenue par 63 banques centrales, représentant au total 95% du PIB mondial, cette « réforme comptable » accélère en réalité les étapes vers la reconfiguration du système monétaire international.
Certes, les règles de Bâle III n’ont pas encore été adoptées par tous. Si la majorité les ont déjà intégrés (Chine, UE, Royaume-Uni, Suisse, Singapour…), ou du moins partiellement, les États-Unis n’entendent les respecter qu’à partir de l’été 2025, en les complétant jusqu’en 2028. Ces règles ont pourtant été votées dès 2010, dans le sillage de la crise financière.
Mais ce retard est un signe positif pour l’or. Il est lié aux inquiétudes de l’administration Trump quant à l’hégémonie du dollar. Comme l’adoption de Bâle III entraîne une revalorisation de l’or physique, celle-ci se fait au détriment des monnaies fiduciaires, dont le dollar. Or, en cette période où la rareté devient une nouvelle réalité aux yeux de tous, le métal jaune apparaît comme la première barrière contre la monnaie-dette. Le dollar étant déjà très menacée (plus que jamais aujourd’hui), un tel évènement accélèrerait son déclin, d’où la réticence de la première puissance mondiale.
Les règles de Bâle III marquent donc un changement inédit. Elles accélèrent l’engouement autour de l’or, en particulier celui des institutions publiques, signal de confiance pour les investisseurs privés. De leur côté, les banques devraient continuer, et de manière croissante, à accroître leur exposition à l’or physique, tout en limitant celle à l’or papier, afin d’éviter les exigences en capital. Une question se pose alors : la disponibilité d’or physique sera-t-elle suffisante ? Dans un marché où la rareté s’accentue, cela ne fait qu’alimenter une dynamique haussière pour le métal jaune…
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