La monnaie, en tant que moyen d’échange, a traversé l’histoire de l’humanité sous des formes très diverses. Des siècles durant, une tension permanente s’est installée entre les partisans d’une monnaie dure, métallique, et ceux qui défendent une monnaie de crédit ou monnaie-dette.
L’évolution du système monétaire depuis le 19ème siècle (@julienchler)
— Or.fr (@Or_fr_) August 30, 2022
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Au cours de l’ère babylonienne déjà, monnaie dure et monnaie de crédit coexistent. À un étalon monétaire de référence (grain, bétail…) s’ajoutent des dettes immatérielles inscrites sur des tablettes (à l’origine de l’écriture il y a 5 000 ans) qui, par leur circulation en tant que moyen de paiement, deviennent des monnaies de crédit. (Le troc, n’était qu’extrêmement marginal et n’a jamais été utilisé à l’échelle d’une nation, hormis dans les périodes d’effondrement économique et monétaire).
Avec le développement accéléré de la science et des systèmes économiques, de profondes transformations monétaires apparaissent, dont une majeure six siècles avant notre ère en Grèce antique. Le monde doit en effet à la société hellénique la création de la monnaie métallique, caractérisée par des pièces. Dans son état originel, elle était faite d’or essentiellement, mais aussi d’argent, voir même de bronze.
La révolution financière italienne du XIIème et XIIIème siècles marque ensuite un tournant majeur. Pendant la seconde partie du Moyen-Âge, un basculement anthropologique prend forme, un changement du rapport au temps. Le temps devient affaire de l’Homme et l’économie entre dans une véritable dynamique. La perfection des méthodes comptables et la comptabilité en partie double donnent naissance au concept de « profit », qui intervient lors d’une vente à terme, grâce à des créances représentées par des lettres de change. Par leur circulation, ces lettres deviennent, elles aussi, des monnaies de crédit. Jusqu’à la fin du Moyen-Âge, leur volume était équivalent à 10% de l’ensemble du stock de monnaie environ, comme l’a montré Fernand Braudel.
Une telle société, tournée vers l’avenir, renoue progressivement avec l’acceptation du prêt à intérêt, l’usure, c’est-à-dire l’établissement d’un prix au temps. Malgré l’interdiction par l’Église, et dans de nombreuses autres sociétés religieuses, certaines méthodes permettent de contourner le prêt à intérêt, dont le prêt dans une monnaie et le remboursement dans une autre, impliquant un gain caché dans la variation du poids en or. Mais l’interprétation de cette pratique, qui prend ensuite un sens nouveau avec la Réforme protestante en 1517 qui la juge légitime en cas de « prêt productif », intensifie son utilisation et permet un accroissement du stock de monnaie.
Les aspirations sociétales pré-humanistes, et les progrès techniques qui en découlent, conduisent à de nouveaux changements monétaires. L’invention de l’imprimerie au XVème siècle permet l’alphabétisation universelle et l’avènement des billets deux à trois siècles plus tard pendant la Renaissance, c’est-à-dire à une nouvelle forme de monnaie-dette (ou plutôt une reconnaissance de dette) convertible en or.
Avec la bancarisation de la monnaie, les banques centrales font circuler, en parallèle de l’or, ces reconnaissances de dettes. Leur quantité évolue invariablement au stock de métal jaune que les banques centrales détiennent en réserves, dans l’objectif pour les banques privées de tirer profit de leur circulation.
En dépit de cette invention, la monnaie métallique et la monnaie de crédit continuent de coexister au XIXème comme au XXème siècles, bien que l’or reste dominant. Après la succession de crises économiques et financières dues à des bankrun (retraits massifs de dépôts), mais aussi de crises inflationnistes, les grandes puissances instaurent l’étalon-or, à la fin du XIXème, pour fixer la valeur d’une monnaie sur un poids en or et limiter sa quantité, selon les réserves de métal précieux.
La suite est connue de tous : les deux guerres mondiales du siècle dernier entraînent plusieurs réformes monétaires qui maintiennent ce système, jusqu’en 1945 où la parité n’est plus celle de l’or mais du dollar, puis en 1971 où le président américain Nixon entérine la fin de l’étalon-or. La monnaie n’est plus convertible en métal jaune et devient une reconnaissance de dette exclusivement. La monnaie et la dette sont, depuis, devenues les deux aspects inséparables d’un même phénomène.
De nos jours, la monnaie est créée par les banques commerciales, à partir de rien, lors de l’octroi d’un crédit. Les intérêts reçus représentent la création monétaire car la valeur nominale empruntée est détruite après son remboursement, ce qui fait que toute dette n’est pas directement une monnaie mais que la création monétaire nécessite l’octroi d’un crédit. Enfin, elle est aussi créée, dans un moindre degré, sous forme de « monnaie centrale » lorsque les banques centrales procèdent à des rachats de dettes sur le marché secondaire. Mais cette monnaie ne circule que sur le marché interbancaire, ou bien sous forme de pièces et billets (qui sont des reconnaissances de dette de la banque centrale, et qui ne représentent aujourd’hui que moins de 5% du volume total de monnaie environ). Avec l’émergence d’Internet et la numérisation de l’économie, la monnaie prend essentiellement la forme de ligne comptable inscrite sur le compte bancaire de tout un chacun.
Après ces brefs rappels historiques, nous en venons donc à la question première : quelles sont les différences entre l’or et la monnaie-dette ? Plusieurs oppositions fondamentales sont à établir. À première vue, elles remplissent toutes deux les trois fonctions de la monnaie telles que Aristote les a définis, à savoir une réserve de valeur, une unité de compte et un intermédiaire des échanges. Une réserve de valeur car les agents économiques peuvent les stocker (dans des coffres ou un compte de stockage pour l’or, ou sur leur compte bancaire pour la monnaie-dette), afin de s’en servir ultérieurement. Une unité de compte car elles permettent de mesurer la valeur de tout bien et service. Enfin, et c’est le plus important, un intermédiaire des échanges car elles peuvent être acceptées par tous, de sorte à faciliter l’échange (contrairement au troc)
Si les deux dernières fonctions ont été, de tout temps, respectées par ces deux monnaies, la monnaie-dette ne se conforme pas, à la lettre, au fait d’être une réserve de valeur. Par nature, cette fonction réserve au détenteur la possibilité de conserver sa monnaie sans courir le risque que sa valeur diminue au cours du temps. Or si le volume de monnaie-dette croît de lui-même par l’effet des intérêts (« l’argent qui fait de l’argent » comme le dit Aristote), ou que son émission n’est tout simplement pas corrélée à la production de l’activité économique, elle risque de perdre de sa valeur et donc de ne pas remplir cette fonction. C’est ce que nous observons depuis 1971 particulièrement, avec la forte et durable dépréciation des monnaies. Pour reprendre les propos de Voltaire « une monnaie papier, basée sur la seule confiance dans le gouvernement qui l'imprime, finit toujours par retourner à sa valeur intrinsèque, c'est-à-dire zéro. »
Ce défaut, presque inhérent à la dette, et peu compris des historiens comme des économistes, pose les contradictions principales entre la monnaie-dette et l’or, monnaie métallique par excellence. Trois notions fondamentales et humaines, intimement liées, séparent ces deux monnaies : la confiance, la rareté et le temps.
La confiance. Contrairement à l’or qui possède une valeur en tant que telle (celle de son poids), la monnaie-dette n’en a aucune et ne repose que sur la confiance de ses utilisateurs. La valeur d’un billet de 10 €, par exemple, n’a de valeur que celle qui lui est octroyée, définie par le système bancaire. Tout comme celle inscrite sur un compte bancaire ne représente que la reconnaissance de dette que la banque a envers son client. Car la dette est, par nature, une promesse qui engage les deux partis concernés (le créancier et le débiteur). Si bien qu’une annulation synchronisée de l’ensemble des dettes du monde entraînerait une absence presque totale de monnaie.
La rareté. Le phénomène de rareté, fondamentale dans une monnaie, peut se résumer en une phrase : l’or est en quantité limitée tandis que la monnaie-dette peut être en quantité illimitée. Il existe, à ce jour après extraction, environ 200 000 tonnes d’or qui prennent différentes formes (lingots, pièces, bijoux…). Cette quantité est limitée par nature. De son côté, la monnaie-dette est, au contraire, physiquement illimitée (ou presque si l’on tient compte des métaux qui permettent de fabriquer les appareils électroniques). Cette différence créée un fossé entre ces deux monnaies, au regard de leur fonction respective de réserve de valeur. Étant donné que l’or est rare, sa valeur reste théoriquement neutre et peut même augmenter au cours du temps. À l’inverse, la monnaie-dette risque de perdre de sa valeur, comme expliqué plus haut.
Le temps, valeur la plus importante dans cette comparaison. D’un côté, l’or est inaltérable, impérissable, il conserve ses qualités au cours du temps. Comme le métal précieux n’est jamais détruit une fois émis, il devient une monnaie permanente. À l’inverse, la monnaie-dette est annulée une fois un remboursement de dette effectué. Car lorsqu’un crédit, qui donne lieu à la création de nouvelle monnaie, est arrivé à échéance, la monnaie est détruite et les seuls intérêts sont conservés en tant que monnaie (qui ont d’ailleurs eux-mêmes été payés par des dettes d’autrui sur cette période).
La monnaie-dette et l’or présentent donc des différences sur des points essentiels. Le passage de l’un à l’autre s’est fait progressivement au cours de l’histoire, et s’est accéléré en raison d’un basculement anthropologique qui a conduit à une nouvelle vision du rapport au temps. La société marchande a essentialisé une monnaie qui est un pont très étroit entre le présent et le futur (la monnaie-dette) afin de nourrir un modèle économique en croissance, vers une évolution perpétuelle. Autrefois émise par les autorités publiques en tant que monnaie dure (or, argent, bronze), la monnaie est ainsi aujourd'hui créée, à partir de rien, à la fois par des entités privées et par les banques centrales, dont les membres ne sont pas élus démocratiquement. Tous ces sujets méritent débat.
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