Le contexte
Il sembler tout d’abord nécessaire de rappeler ce courrier du CME, maison mère du COMEX, adressé en 2021 au gendarme de la bourse de New York, la CFTC. On y apprenait que les stocks officiels d’argent considérés comme “éligibles” au COMEX devraient être réduits de 50%, car, bien que stockés dans des entrepôts agréés par le CME, ils n’ont en réalité aucun lien avec le marché lui-même.
Pour mémoire, depuis mars 2022, les barres d’or et d’argent russes sont interdites de commercialisation, aussi bien à Londres qu’à New York. À l’époque, SLV détenait 39 451 barres d’argent russes de 1 000 onces, soit 39,4 millions d'onces d’une valeur d’environ 1 milliard $, impossibles à vendre. Une recherche similaire pourrait être menée chez PSLV, ZKB, JPM, HSBC ou encore dans les stocks du COMEX et du LBMA. Les autorités ont-elles fait marche arrière ?
Le 8 octobre 2025, une commande de 1 000 tonnes d’argent passée par l’Inde a provoqué un gel immédiat du marché du silver à Londres. Les taux de location de l’argent, les Silver Lease Rates, ont instantanément flambé de 0,25% à 200%. Tous les négociants se sont aussitôt retirés du marché, et le raffineur suisse METALOR — présent dans 17 pays — a même annoncé qu’il ne reviendrait pas avant janvier 2026.
L’association qui supervise le marché des métaux précieux, la LBMA, affichait pourtant en octobre un stock de 844 millions d’onces d’argent dans ses coffres — soit 23 926 tonnes. Et pourtant, le marché n’a pas été capable de livrer 1 000 tonnes. N’est-ce pas pour le moins surprenant ?
En réalité, on sait que les quatre cinquièmes de ce stock sont enregistrés au nom des différents ETF, et que ces réserves ne seraient pas destinées à être vendues. Ces ETF sont-ils réellement propriétaires de ces barres d’argent, ou bien celles-ci sont-elles louées à une banque, qui en tirerait ainsi un retour sur investissement ?
Quoi qu’il en soit, la banque JPM a dû louer 4 000 tonnes à la banque chinoise ICBC, la plus grande au monde, membre du LBMA et chambre de compensation. Ces 4 000 tonnes ne proviennent pas des stocks de Shanghai, que chacun peut consulter quotidiennement. Viennent-elles alors des chambres fortes des banques chinoises à Londres ? C’est très probable. Et une partie des stocks d’argent attribués aux ETF appartient sans doute elle aussi aux banques chinoises.
L’argent physique loué par JPM à ICBC devra être restitué au bout de trois mois, soit au début du mois de janvier. Ce qui ressemble fort à une mission impossible.
Pendant ce temps, on sait que l’Inde est très en retard sur ses commandes annuelles et devrait demander la livraison de 2 000 tonnes supplémentaires avant la fin de l’année.
La Corée du Sud a négocié, de gré à gré, avec le SGE une commande de 76 milliards $ de métaux précieux, or et argent. Cela pourrait expliquer la baisse de plus de 1 000 tonnes d’argent dans les stocks de Shanghai en trois mois, soit les deux cinquièmes du total.

Tant et si bien que la Chine a sévèrement encadré toute exportation d’argent le 3 novembre dernier.
Le marché est extrêmement tendu.
Les faits

Le Chicago Mercantile Exchange (CME), maison mère du COMEX, a annoncé qu’en raison d’un problème affectant le système de refroidissement de son data center CyrusOne, les serveurs avaient dû être arrêtés, entraînant la fermeture du marché des futures sur l’argent.
Une explication peu crédible.
Dans la journée de vendredi, les cours de l’argent ont très fortement monté :

Pourquoi cette hausse ?
Plusieurs sources chinoises proches du SGE et du SHFE ont révélé qu’un ordre d’achat colossal de 400 millions d’onces — soit 12 441 tonnes d’argent — avait été passé.
Certains ont avancé qu’il s’agirait d’un vendeur à découvert cherchant à couvrir sa position en catastrophe, la résistance ayant été cassée la veille. Selon ces sources, il aurait d’emblée proposé un prix supérieur de 3 à 4 % à celui de la clôture précédente.
Parallèlement, à l’ouverture des échanges de contrats à terme sur le COMEX vendredi matin, un ordre a été passé pour la livraison de 7 330 contrats de 5 000 onces d’argent chacun, soit un total de 36,65 millions d’onces.

Sur un marché, la plupart des transactions sont réalisées par des robots de trading à haute fréquence (HFT), capables d’exécuter des opérations en 0,113 milliseconde. Ces algorithmes sont programmés pour racheter leurs positions vendeuses si les cours montent — afin de limiter leurs pertes (stop-loss) — et pour passer à l’achat lorsqu’une résistance est cassée par la hausse du sous-jacent considéré.
Cette commande extraordinairement massive, autorisant une hausse immédiate de 3 à 4 %, ne pouvait qu’affoler les robots de trading. Tous ont liquidé leurs positions short pour tenter de se repositionner à l’achat, alors même que les cours s’emballaient déjà à la hausse.
Face à cette fièvre acheteuse exceptionnelle, les responsables du CME n’ont eu d’autre choix que de débrancher les serveurs pour enrayer la hausse. Il fallait désactiver les robots et que les humains reprennent la main sur les échanges. Ce qui fut fait.
Il n’en reste pas moins qu’un acteur a passé un ordre d’achat de 400 millions d’onces, avec un prix autorisé de 3 à 4 % au-dessus de la clôture de la veille — soit 53,61 $, donc environ 55,75 $.
L’ordre total représentait 22,3 milliards $.
Première constatation
D’après le Silver Institute, la production minière mondiale devrait atteindre 835 millions d’onces en 2025. Selon le Bureau des mines américain (USGS), la production minière mondiale de 2024 s’est élevée à 25 000 tonnes.
Un acheteur aurait donc passé, vendredi, un ordre portant sur près de la moitié de la production annuelle mondiale d’argent en une seule fois.
Pour qu’un tel ordre soit crédible, l’acheteur — prêt à débourser 22,3 milliards $ — doit forcément être un acteur reconnu et digne de confiance aux yeux des professionnels du marché. Cela réduit le nombre de candidats possibles à une dizaine de banques ou de grandes sociétés, tout au plus.
Ceux qui connaissent bien le marché des métaux précieux et surveillent quotidiennement les graphiques savent qu’à certaines heures, des acteurs vendent massivement des quantités ahurissantes d’argent — plusieurs millions d’onces. Ces ordres de vente visent à provoquer une chute brutale des cours dans les minutes qui suivent. C’est une technique bien connue, aussi déplorable soit-elle.
Cet acteur a utilisé la même technique, mais en sens inverse, avec un ordre massif destiné à faire monter les cours brutalement. Ce qui est très inhabituel.
Pourquoi ?
Dans mon article du 14 juillet 2025, intitulé "La Chine et la réévaluation des métaux précieux", je mentionnais un document gouvernemental chinois publié le 23 juin précédent, qui donnait des directives à l’ensemble des ministères et administrations pour développer la recherche minéralogique, rouvrir des mines réputées épuisées, améliorer les techniques de raffinage, de récupération, etc.
Et je commentais en disant :
"Tout cela ne serait qu’un gaspillage d’argent public, à moins que la Chine n’ait l’intention de faire fortement grimper le cours de l’or et de l’argent.
Si tel était le cas, les investisseurs seraient ravis de financer la recherche géologique, qui deviendrait enfin rentable pour l’or comme pour l’argent. Les anciennes mines épuisées retrouveraient une utilité, et de nouvelles techniques d’extraction, comme l’exploitation sous-marine, pourraient devenir économiquement viables.
Pour y parvenir, il faudrait laisser le cours de l’or grimper, tout en soutenant celui de l’argent afin de rétablir un ratio plus équilibré entre les deux métaux."
La Chine mène-t-elle le bal ?
Dans le "règlement de la République Populaire de Chine sur le contrôle de l’or et de l’argent » publié le 15 juin 1983, on trouve :
Article 4.
La Banque populaire de Chine est l'organisme d'État chargé du contrôle de l'or et de l'argent en République populaire de Chine.
Elle est chargée du contrôle des réserves d'or et d'argent de l'État ; de l'achat et de la vente d'or et d'argent ; de collaborer avec l'autorité responsable des prix des matières premières pour établir et gérer les prix d'achat et de vente de l'or et de l'argent ; de collaborer avec le service compétent pour examiner et approuver les opérations (y compris le traitement et la vente) des unités (ci-après dénommées « unités de gestion ») négociant des produits d'or et d'argent, des produits chimiques contenant de l'or et de l'argent, et de la récupération de l'or et de l'argent à partir de déchets liquides et solides résiduels ; de contrôler et d'inspecter le marché de l'or et de l'argent et de superviser l'application du présent règlement.
Contrairement à l’Occident, qui a tenté de faire disparaître de la mémoire collective le fait indéniable que l’argent est un métal rare et précieux — et qu’il fut la monnaie pendant six mille ans —, le gouvernement chinois associe systématiquement l’or et l’argent. C’est ce que montre une fois encore le document officiel du 23 juin 2025 évoqué plus haut.
Chentong Precious Metals
Avant 1978, la Chine vivait sous un régime d’économie planifiée : l’État contrôlait l’approvisionnement et la distribution de toutes les matières premières. Le ministère des Matières premières du Conseil d’État en était chargé et appliquait une politique unifiée d’achat et de vente des métaux précieux, tels que l’or et l’argent. À l’exception des entreprises relevant de ce ministère, aucune institution, entreprise ou particulier n’était autorisé à intervenir sur ce marché.
Après les réformes et la politique d’ouverture, le gouvernement chinois a progressivement abandonné ce système d’inspiration stalinienne pour introduire des mécanismes d’économie de marché à l’occidentale.
En 1993, lors de la réforme institutionnelle du Conseil d’État, le ministère des Matières premières a été supprimé et ses entreprises affiliées ont fusionné pour former China Chengtong Holdings Group Ltd. La majeure partie des activités de l’ancien ministère, y compris la chaîne d’approvisionnement en métaux précieux, a été reprise par Chengtong Holdings. Par la suite, China Chengtong Holdings a assuré le stockage et la logistique de transport, depuis la mine jusqu’à la distribution finale.
Chengtong Precious Metals a coopéré avec la Banque populaire de Chine et d’autres institutions de haut niveau pour concevoir et établir la Bourse de l’or de Shanghai, piloter la transition historique de l’argent — du système d’économie planifiée vers un système orienté marché —, organiser la cotation des produits Silver et participer à la conception des contrats Silver au Shanghai Futures Exchange.
La chaîne d'approvisionnement en argent de l'entreprise s'étend de l'amont à l'aval. Ses clients incluent les grandes compagnies minières d’or et d’argent, les raffineries, China Gold Coin Corporation, China Mint Corporation, China Banknote Printing Corporation, les principales banques publiques, Sinopec, les entreprises militaires ainsi que diverses agences gouvernementales. Elle approvisionne également les industries utilisatrices d’argent : alliages électriques (premier consommateur mondial), pâtes photovoltaïques, composants électroniques, impression de billets de banque, aéronautique et aérospatiale, 5G, semi-conducteurs, automobile, trains à grande vitesse, secteur pharmaceutique, consommables de soudage, cibles et investissements. Le célèbre Silver Panda chinois est l’un de leurs produits. La société affirme fièrement que ses matériaux et composants équipent les nouveaux chasseurs, les radars de dernière génération, les porte-avions à catapultes électromagnétiques, le vaisseau spatial Shenzhou, la station spatiale Tiangong, et bien d’autres programmes stratégiques.
China Gongmei Supply Chain est une filiale de Chengtong PM, principalement engagée dans l'entreposage, le transport, la livraison et d'autres activités. À ce stade, nous pouvons comprendre la question posée au début de cet article : pourquoi observe-t-on une baisse des stocks d’argent au SGE et, simultanément, une augmentation d’ampleur comparable au SFE ? La réponse est simple : China Gongmei Supply Chain est le seul coffre-fort de livraison désigné par le SGE, et le principal entrepôt d’argent du SFE. C’est donc la seule entité capable de transférer le métal du SGE vers le SFE.
La société n’achète et ne vend pas seulement directement aux mineurs et aux industriels : elle a également mis en place une chaîne d’approvisionnement inversée et agit comme agent pour les opérations d’import-export de ses clients. Cela inclut l’importation de minerais et de concentrés d’argent vers les raffineries nationales, ainsi que l’exportation de divers produits finis en argent vers l’Europe et les États-Unis. Les volumes en jeu sont sans précédent.
Chengtong PM est à la fois fournisseur, agent et prestataire de services. En un mot : ils gèrent tout.
La société achète de l’or et de l’argent sur les marchés internationaux — COMEX (États-Unis), TOCOM (Japon) et LBMA (Royaume-Uni). Elle indique également entretenir des relations de coopération stratégique étroites et durables avec de grandes banques internationales, des compagnies minières d’or et d’argent, ainsi qu’avec des acteurs majeurs tels que Standard Chartered Bank, ANZ Bank, plusieurs market makers de la LBMA ou encore Heraeus. Les informations publiées sur le site officiel de Chengtong Precious Metals montrent d’ailleurs que les banques d’investissement européennes et américaines, ainsi que les teneurs de marché de la LBMA, accordent une attention particulière à un client d’une telle importance.
Il est extrêmement probable que le groupe Chengtong PM ait été à l’origine de cet ordre de 400 millions d'onces, soit directement, soit par l’intermédiaire de l’un de ses partenaires habituels, avec pour objectif d’amorcer la réévaluation du cours de l’argent décidée par le gouvernement chinois.
Donc oui, c’est bien la Chine qui mène le bal.
Prix de l’argent vs. Prix de l'or
Malgré la hausse de vendredi — et celles des semaines et des mois précédents — il faut encore 78 onces d’argent pour acheter une once d’or.
Un niveau absurde quand on sait que le ratio de production minière de l’or et de l’argent est proche de 1/8,6, et que le ratio des produits dérivés rapporté dans les statistiques de la BIS tourne autour de 1/10.
Quelle que soit l’évolution du cours de l’or au cours des six prochains mois, la progression de l’argent devrait être, en relatif, bien plus spectaculaire.
Beaucoup seront surpris par les sommets que le métal pourrait atteindre en 2026.
Espérons que vous ayez déjà fait vos achats d’argent physique : cela pourrait devenir impossible plus vite qu’on ne le pense.
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