Introduction

Ce texte en deux parties est une fiche de lecture du livre d’Antal Fekete, "Le retour au standard or" paru en 2011 aux éditions Le Jardin des Livres.

Antal Fekete est né en Hongrie en 1932, il a été professeur d’économie et de mathématique en Allemagne, au Canada, en Roumanie et au Guatemala. Il a travaillé sur la monnaie à Washington pour le Congrès américain et il a notamment remporté le premier prix du Concours international des thèses sur les devises en 1996.

Dans son livre, il étudie les raisons fondamentales de la crise de 2008 et de la grande crise financière à venir. La cause profonde remonte, selon lui, à la destruction accidentelle de l’étalon-or et la nouvelle suprématie des billets de banque juste avant la Première Guerre mondiale. La fin du système de l’étalon-or international a eu comme conséquence de faire émerger une monnaie papier non transformable, amenant des taux de change flottants, des taux d’intérêt en mouvement constant et une dette en croissance perpétuelle. C’est ce que l’auteur tente de démontrer dans ce livre. 

La fin de l’étalon-or international et le financement de la Première guerre mondiale

La naissance de la monnaie papier telle que nous la connaissons aujourd’hui remonte à la loi de 1909 sur le Cours légal imprimé sur tous les billets. Cette mesure a introduit la monnaie papier en cours légal et surtout en moyen de paiement exclusif. Les billets de banque circulaient déjà largement avant 1909, mais leur acceptation était volontaire et non obligatoire, c’est-à-dire que l’on pouvait les échanger contre de l’or et plus précisément contre des pièces d’or. Il y avait donc deux moyens de paiement possibles (au choix) pour les citoyens et la règlementation de 1909 en a retiré un en sortant l’or du cours légal.

C’est la Banque de France qui a amorcé ce processus, suivie rapidement par la Reichsbank impériale d’Allemagne et le reste du monde peu de temps après. Cette mesure allait permettre de financer la Première Guerre mondiale à venir avec du crédit et la monétisation de la dette, c’est-à-dire la planche à billets : émission illimitée de billets de banque (papier) par l’État. Cette émission était illimitée, car désindexée de l’or ; pour tout billet en circulation avant la loi de 1909, il devait y avoir son équivalent en or dans une banque ce qui permettait d’éteindre la dette. S’il n’y a plus d’or, l’équivalent d’un billet papier n’est que de la dette. Cela signifie que pour la première fois dans l’histoire, les gouvernements français et allemand obligèrent leurs citoyens d’accepter la dette comme monnaie.

Lorsque la guerre éclata en 1914, toutes les pièces d’or disparurent de la circulation, car les banques refusaient les demandes de conversion or-billet. Les fonctionnaires et l’armée ont été forcés d’accepter des promesses en papier comme moyen de paiement final pour leurs services rendus, ce qui a permis de financer la guerre avec des crédits faits aux gouvernements sans intérêts. Il n’avait aucun moyen de financer une guerre d’une telle ampleur sans impôt et sans or. La loi de 1909 a donc permis l’endettement massif sans équivalent or, ce qui est une forme subtile d’impôt différé. Sans cette innovation, la Grande Guerre se serait certainement terminée plus tôt, car à l’époque, la faillite d’un camp ou d’un autre mettait automatiquement fin aux hostilités. En plus, la paix était authentique, car elle n’était pas basée sur une prédation économique supplémentaire, c’est-à-dire le paiement des réparations après-guerre qui ruina totalement l’Allemagne ensuite. 

​Les conséquences des expérimentations monétaires

La Grande Dépression des années 30 et le chômage sans précédent qui suivit dans la majorité des pays occidentaux ont été paradoxalement causés par la décision des vainqueurs de revenir à l’étalon-or après la Première Guerre. En effet, le système-or a été remis sur pied, mais sans le marché des effets réels qui s’appuyait sur des lettres de crédit payable à l’échéance en pièce d’or. Ne fuyez pas, je vais expliquer.

Ces lettres de crédit étaient un engagement de paiement en or d’un acheteur vis-à-vis d’un vendeur à l’international. C’est une créance un peu comme un chèque, à la différence qu’il peut s’échanger et partager la garantie de paiement, car il n’est pas attaché à un compte bancaire. Son règlement est promis et dû en or. Ce moyen de paiement était très utile aux économies, car ces lettres servaient de fonds de roulement des salaires d’une entreprise. Elles pouvaient circuler avant l’échéance ce qui permettait de produire et distribuer des biens que l’acheteur pouvait payer jusqu’à trois mois (91 jours) plus tard maximum et une fois arrivée à maturité ces lettres se transformaient en pièce d’or.

Pour simplifier, avec ce fonds de roulement, toute personne qui voulait travailler pouvait être embauchée, car son salaire pouvait être payé chaque semaine grâce à la production des biens en cours de fabrication, avant même qu’ils ne soient livrés au client final. Le système est un peu plus complexe, mais je simplifie. En tout cas, la loi du Cours légal de 1909 a également détruit ce système de marché des effets réels et, selon notre auteur, c’est la cause principale et non dite des taux de chômage massif durant la Grande Dépression.

Alors pourquoi cela a été fait ? Pour les vainqueurs de la Grande Guerre, il fallait bloquer le commerce international multilatéral qui s’appuyait sur l’or pour continuer de pénaliser l’Allemagne encore après le Traité de Versailles - Traité qui a mis fin au blocus ravageur sur ses marchandises. Pour ce faire, il fallait remplacer les échanges multilatéraux par des échanges bilatéraux et des effets de commerce à court terme. L’Entente a donc progressivement abandonné le crédit remboursable en or par le crédit artificiel bancaire contrôlé par les banques centrales sans en voir les conséquences et au final l’absence du marché des effets réels avec ses lettres de crédit-or ont finalement pénalisé les économies des pays vainqueurs.

Donc avant 1909, en fait surtout avant 1914, le commerce était multilatéral, c’est-à-dire que les importations étaient payées par l’émission, l’endossement et l’acceptation de lettres de change payables en or, avec l’échéance de 3 mois après expédition de marchandise. Ce système de standard or avec une propriété privée illimitée et non contrôlée de l’or permettait l’équilibre budgétaire des nations. La dette publique devait être tout simplement obligatoirement remboursée, de même que les dettes privées. Les dépenses publiques d’urgence étaient financées par des obligations à long terme et il n’y avait pas de planche à émettre des billets à l’infini. C’est grâce à ce système que le commerce mondial s’est fortement accru après Waterloo, de 1815 jusqu’à la Première Guerre mondiale.

Le retrait de l’or du cours légal représente en fait une dangereuse alliance entre des gouvernements et des banquiers. En échange du privilège de pouvoir créer des dépôts sans obligation de réserve d’or équivalente, les banques pouvaient, après 1909, acheter tous les Bons du Trésor (titres obligataires que l’État émet pour se financer par l’emprunt) du gouvernement qui n’avaient pas trouvé d’acheteurs sur le marché obligataire.

Le vol de l’or par le gouvernement américain

Ce système a eu des conséquences aux États-Unis. L’étalon-or international avait été refondé en 1927, mais était fragile, car tous les pays avaient aboli la convertibilité des billets en or et suspendu ou limité la circulation des pièces d’or. Seuls la livre sterling et le dollar étaient réellement convertibles en or, les autres monnaies n’étant convertibles qu’en dollar ou en livre.

En 1933, les États-Unis étaient les seuls à encore adhérer à l’étalon-or. Sans le système de la lettre de crédit-or et sans la possibilité pour un citoyen d’échanger avec, c’était peine perdue. Après la crise de 29, le président Franklin Roosevelt confisqua l’or de millions d’épargnants américains pour sauver Wall Street. Un ordre présidentiel interdisant de posséder de l’or a été émis de 1933 jusqu’en 1974. Le décret stipulait que toute personne qui s’avisait de garder de l’or sous forme de pièces, de lingots ou de certificats risquait soit 10 000 $ d’amende soit 10 ans de prison ou même les deux.

L’or volé aux Américains par Roosevelt a ensuite été envoyé à la fonderie, mais les pièces et les lingots en question n’étaient pas composés d’or pur, mais de 22 carats de raffinage alors que la norme standard était de 995 soit 24 carats. Roosevelt a donc fait l’erreur de faire des lingots sans raffiner l’or pour le mettre aux normes ce qui veut dire que cet or volé est facilement identifiable et non substituable… 

 

 

​La fin officielle et définitive de l’étalon-or

Le 15 août 1971, le président des États-Unis, Richard Nixon, suivit les conseils du prix Nobel d’économie Milton Friedman en désindexant le dollar de l’or, cette fois-ci de façon définitive jusqu’à aujourd’hui encore. Cela a été fait pour de nombreuses raisons, mais allons à l’essentiel.

Avant cette année-là, la dette américaine détenue par des banques centrales étrangères était garantie par des lingots d’or, c’est-à-dire que la dette de l’État était refinancée avec l’émission d’obligations adossées à l’or. Les obligations sont des titres qu’un État échange à la place des billets de banque. C’est une dette qu’il contracte. Un gouvernement échange une obligation pour emprunter ou pour payer quelque chose. La seule différence avec le Bon du Trésor est que l’obligation est une créance à rembourser à moyen/long terme, alors que le Bon du Trésor est à rembourser à court terme.

Mais avec la désindexation de l’or de 1971, les obligations arrivant à maturité peuvent être payées avec du papier non convertible en or, que l’on imprime avec la planche à billets. Ou plus simple encore, on remplace les obligations matures par de nouvelles obligations avec une date d’échéance encore plus lointaine. Vous comprenez le processus, à partir de ce moment-là, les obligations sont émises sans savoir si elles seront remboursées ou sans savoir l’effet qu’elles auront sur l’économie.

Et le remboursement de la dette n’est pas quelque chose de superflu. L’obligation de rembourser une dette permet avant tout la bonne allocation des ressources aux différents canaux de leur utilisation. C’est fondamental. L’obligation de rembourser oblige le gouvernement à l’économie, à la prévoyance, à l’équilibre des revenus et des dépenses. C’est une épée de Damoclès qui ajuste les créances, les engagements et limite l’expansion à outrance en éloignant les ressources des projets stériles, des non compétents, etc.

C’est facile à comprendre, imaginez les conséquences si une personne vous emprunte de l’argent et n'est pas obligée de vous rembourser. Cela change complètement la nature de l’acte et surtout, s’il continue de vous emprunter de l’argent alors qu’il ne vous a pas remboursé sa dette précédente. C’est à peu près le système économique d’aujourd’hui à l’échelle internationale et avec des sommes considérables. Le régime de la dette élimine la pression de la solvabilité ce qui pousse finalement à créer de l’argent que l’on ne rembourse pas et donc à faire un peu n’importe quoi avec.

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