L'analyste Luke Gromen évoque dans son dernier rapport hebdomadaire une transformation majeure concernant le marché obligataire américain : les rendements du Trésor augmentent alors même que les liquidités sont en train de se retirer du marché.
Pour la première fois en 48 ans, les rendements des obligations du Trésor américain à 10 ans ont augmenté en réaction à une diminution annuelle de la liquidité mondiale en dollars américains.
Nous avons atteint un niveau extrêmement bas de liquidité en dollars, mais les rendements n'ont pas réagi !
Normalement, plus la liquidité en dollars diminue, plus les rendements devraient baisser. Cependant, de façon très surprenante, l'inverse s'est produit ces dernières semaines.
Qu’est-ce qui a changé depuis les dernières périodes équivalentes de retrait de liquidités du marché ?
Cette fois-ci, trois indicateurs ont changé la donne : le ratio dette/PIB, le ratio déficit/PIB, et la position nette d'investissement international (NIIP)/PIB des États-Unis sont si élevés que ces retraits de liquidités n'ont plus le même effet sur les taux.
Les participants du marché obligataire s'attendent à une avalanche de nouvelles enchères du Trésor. En raison de cette abondance de l'offre à venir, il est compréhensible que les taux peinent à baisser, même lorsque les liquidités sont soustraites.
Pire encore, la Fed ne peut pas resserrer excessivement la liquidité en USD sans risquer de déclencher une spirale de la dette !
Résumons l'impasse dans laquelle se trouve actuellement la Fed :
Le gouvernement américain emprunte de l'argent en émettant des obligations ("Treasury Bonds"), et malgré la réduction de la liquidité mondiale, le rendement de ces obligations a augmenté.
C'est inhabituel, car en général, une diminution de la liquidité conduit à une baisse des rendements.
La situation actuelle s'explique par le niveau élevé de la dette publique américaine, du déficit et des obligations envers d'autres pays. Cela compliquerait le remboursement de la dette si la Fed tentait de réduire la liquidité pour maîtriser l'inflation.
Cela pourrait déclencher une spirale de la dette, où le gouvernement serait contraint d'emprunter davantage pour rembourser sa dette existante, ce qui aggraverait encore plus la situation.
Le Trésor se retrouve alors piégé dans cette spirale de la dette, d'autant plus que le refinancement américain s'effectue avec des échéances de plus en plus courtes.
Pour soulager le marché obligataire, le gouvernement américain a lancé un programme de rachat de bons du Trésor en juillet.
Le Trésor a publié le calendrier de son programme de buybacks : les opérations ont commencé le 6 août. Initialement fixés à 15 milliards $, les rachats ont été doublés et s'élèvent désormais à 50 milliards $ :
Le but de ces opérations est d'augmenter la demande de produits obligataires et de ranimer un marché paralysé par la hausse des taux de la Fed. En tout cas, cette mesure ajoute de la liquidité, alors même que la Fed s’est justement efforcée de retirer de la liquidité des marchés pour lutter contre l'inflation.
Ce qui semble motiver le Trésor actuellement est d'éviter à tout prix les perturbations liées au blocage du marché obligataire.
Ces mesures, ainsi que le revirement au Japon, semblent avoir réussi à apaiser les marchés ces derniers jours.
Mais cette semaine, c'est la Chine qui suscite à nouveau des inquiétudes parmi les analystes.
Les prêts bancaires de la Chine à l'économie réelle ont chuté pour la première fois en 19 ans, marquant un tournant préoccupant qui met en lumière pourquoi la faible demande intérieure est devenue un obstacle majeur à la croissance et à la reprise économique.
Bien que les taux d'emprunt restent attractifs, la demande semble se tarir, menaçant ainsi directement la croissance chinoise pour les mois à venir.
La baisse de la consommation est déjà visible sur le marché automobile, qui a enregistré des chiffres en forte diminution pour le mois de juillet :
Il semblerait que la crise immobilière chinoise se propage à l’ensemble de l’économie.
Le plus grand producteur mondial d'acier, China Baowu Steel Group, a averti que les aciéristes chinois sont confrontés à une crise prolongée en raison de l'effondrement du marché immobilier en Chine.
La faible demande a conduit à une surproduction d'acier, ce qui a fait chuter les prix et entraîné des pertes pour les raffineurs.
Les sidérurgistes chinois se tournent vers les marchés étrangers pour compenser, mais se heurtent à des barrières commerciales.
Selon Baowu, la situation actuelle est jugée plus grave que les crises de 2008 et 2015, malgré les tentatives des décideurs chinois pour relancer le marché immobilier.
Le secteur sidérurgique chinois est dévasté par une faible demande et une production industrielle en recul, tandis que l'effondrement du marché immobilier paralyse la plus grande économie d'Asie.
Les investisseurs choisissent pour l'instant de se tourner vers les marchés américains, en attendant plus de clarté sur le ralentissement brutal anticipé de l'économie chinoise. Depuis deux ans, la sous-performance du marché chinois par rapport au marché américain est particulièrement notable :
La crainte d'une vague déflationniste provenant de Chine pèse sur les matières premières et stimule l'accumulation de positions dans les ETF liés à l'or.
Les encours de ces ETF chinois ont augmenté pour le huitième mois consécutif, malgré des cours de l’or de plus en plus hauts :
Les primes sur l'or sont restées positives en Chine la semaine dernière, soutenant ainsi les niveaux des prix, qui ont atteint un nouveau record historique de clôture le 12 août :
Ce record de l'or survient alors que la demande d'investissements en or commence tout juste à décoller en Occident.
Selon les données du World Gold Council, les ETF mondiaux sur l'or ont connu leur plus forte augmentation d'encours depuis avril 2022, après que les fonds nord-américains ont finalement rejoint leurs homologues européens.
Notamment, toutes les régions ont enregistré des flux positifs ce mois-ci, les ETF occidentaux ayant contribué de manière significative. Les encours de l'ETF GLD ont commencé à remonter ces dernières semaines après une baisse quasi ininterrompue depuis 2022 :
Il sera important de suivre dans les semaines à venir si l'augmentation des probabilités de récession pour l'économie américaine se traduit par une hausse de la demande d'or. Dans ce cas, l'or physique deviendrait alors LA valeur refuge, à l'instar de ce qu'on observe en Chine, dans une économie en décroissance.
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