Le 8 septembre prochain, le gouvernement français se soumettra à un vote de confiance décisif. L’issue incertaine du vote de confiance survient alors que les tensions sont déjà visibles sur le marché obligataire. Les taux français à dix ans se négocient désormais au même niveau que ceux de l’Italie, ce qui ne s’était plus produit depuis 2005.
Ce rapprochement est lourd de sens : traditionnellement, les OAT françaises bénéficient d’une prime de crédibilité qui les distingue nettement des BTP italiens, jugés plus risqués. Cette prime est aujourd’hui en train de disparaître, signe que les investisseurs commencent à mettre la France dans la même catégorie que les émetteurs périphériques. En parallèle, l’écart de rendement avec le Bund allemand — qui sert de référence absolue pour la zone euro — s’élargit rapidement et se dirige vers des niveaux qui rappellent les prémices de la crise de la dette souveraine.
Autrement dit, le marché ne voit plus la France comme un “cœur de zone” à part entière, mais comme un pays en train de glisser vers la périphérie, avec un risque de financement accru.
Aux yeux des marchés, la France apparaît désormais comme le maillon faible du cœur de la zone euro. Une issue politique défavorable ou simplement floue ce jour-là suffirait à déclencher une défiance immédiate.
Une crise obligataire française évoluerait bien plus vite que celle de la Grèce en 2011. La différence tient à l’échelle et à la structure financière. La dette publique française dépasse 3 400 milliards €, soit près de 30% du stock total de dette de la zone euro, avec des besoins de refinancement de plus de 300 milliards € par an. Contrairement à la Grèce, qui représentait moins de 3% du PIB de la zone euro en 2011, la France est un émetteur central : tout incident de financement affecte immédiatement la crédibilité de l’euro dans son ensemble.
Le système bancaire français constitue un multiplicateur de risque : ses bilans sont chargés en OAT, avec un levier très supérieur à celui des banques américaines, et sa liquidité dépend fortement du marché interbancaire et du collatéral souverain. Si les OAT venaient à être refusées comme collatéral dans le repo, c’est la liquidité quotidienne du système bancaire français qui se gripperait. Dans un tel contexte, une crise obligataire ne resterait pas confinée au marché de la dette : elle se transformerait rapidement en pression sur le secteur bancaire. Les premiers signes de nervosité apparaissent déjà. En ce début de semaine, les banques françaises reculent en Bourse, avec BNP Paribas et Société Générale en première ligne. Mais il faut relativiser : ces valeurs, comme l’ensemble du secteur, sortent d’une année exceptionnelle, portée par la hausse des marges d’intérêt et la solidité des résultats semestriels. L’indice Euro Stoxx Banks, après avoir gagné près de 70% depuis janvier, a entamé une correction de court terme.
La bougie rouge récente illustre une prise de bénéfices plus qu’une panique généralisée, mais elle rappelle la sensibilité du secteur aux tensions obligataires. Le léger écartement des CDS bancaires et le repli de l’euro face au dollar signalent toutefois que les investisseurs commencent à tester la solidité du système. La correction reste contenue pour l’instant, mais elle souligne la vulnérabilité structurelle des bilans bancaires français à toute défiance sur la dette souveraine.
En cas de forte tensions sur le marché obligataire français, le scénario le plus probable reste celui d’une intervention de la BCE. Mais cette fois-ci, l’opération est beaucoup plus difficile que pour la Grèce ou l’Italie en 2011.
Pour chiffrer ce que représenterait une intervention de la BCE sur la dette française pendant six mois, il faut poser des ordres de grandeur réalistes. La France, aujourd’hui, c’est plus de 3 400 Mds € de dette publique et un besoin de refinancement annuel sur le segment moyen-long terme qui tourne autour de 320-350 Mds €, auxquels s’ajoute un stock élevé de bons du Trésor à court terme (BTF) qui se roulent en permanence. Sur une fenêtre de six mois, cela signifie typiquement 150-180 Mds € d’OAT/BTF à émettre ou à faire rouler côté moyen-long terme, et de l’ordre de 100-150 Mds € de BTF à enchaîner au gré des adjudications hebdomadaires. En situation de stress, si la demande de marché se contracte d’un tiers à la moitié, “l'écart” à combler par un acheteur de dernier ressort peut très vite atteindre 80-120 Mds € sur six mois rien que pour stabiliser la courbe sur les OAT, sans compter la fluidité quotidienne du court terme.
Rapportée aux précédents, l’échelle change tout. Les deux programmes grecs de 2010-2012 totalisaient environ 240 Mds € d’aide officielle sur plus de deux ans, via l’UE et le FMI, quand les achats directs de la BCE à l’époque (SMP) ont culminé autour de quelques centaines de milliards pour l’ensemble des périphériques, Italie et Espagne inclus. Dans un scénario français, un soutien “médian” de la BCE équivalant à 25-35 Mds € par mois pour amortir six mois de tension représenterait déjà 150-210 Mds € d’achats d’OAT, soit l’ordre de grandeur d’un plan grec… condensé sur un semestre et concentré sur un seul émetteur du cœur de zone. Un scénario plus défensif, où la BCE devrait couvrir la moitié des émissions nettes et sécuriser le roulage des BTF lors de semaines difficiles, pousserait aisément le total vers 200-250 Mds € sur six mois, en parallèle d’opérations de liquidité ciblées pour les banques (LTRO/TLTRO) afin de maintenir l’acceptation du collatéral souverain.
C’est précisément là que cette intervention serait plus difficile qu’en 2011. D’abord par la taille absolue : soutenir la France, deuxième pilier du marché euro, c’est accepter des montants mensuels qui rivalisent avec un QE, alors même que la BCE est en phase de resserrement de bilan. Ensuite par la proportion relative : concentrer 150-200 Mds € d’achats sur l’OAT en six mois déformerait fortement la clé de répartition, au risque d’être perçu comme un financement monétaire quasi direct d’un État, juridiquement et politiquement contestable en Allemagne et aux Pays-Bas. Enfin par la transmission financière : les banques françaises portent beaucoup d’OAT avec un levier supérieur à leurs homologues américaines ; si la BCE n’allait “que” sur le primaire/secondaire sans aussi soulager la tuyauterie du repo, la pression resterait forte sur la liquidité bancaire. En résumé, pour stabiliser six mois de stress français, on parle vraisemblablement d’un paquet combinant 150-200 Mds € d’achats d’OAT et des facilités de liquidité généreuses, soit une puissance de feu qui dépasse, sur la période, l’ampleur d’un pays périphérique en 2011 et qui rapproche dangereusement l’intervention de la ligne rouge du financement budgétaire.
Soutenir la France, c’est donc potentiellement devoir absorber 150 à 200 milliards € d’OAT sur un semestre, des montants équivalents à deux plans grecs condensés en six mois et concentrés sur un seul émetteur !
Une telle intervention déformerait la clé de répartition des achats, fragiliserait la crédibilité juridique de la BCE et serait politiquement contestée par l’Allemagne et les Pays-Bas, qui dénonceraient un financement monétaire déguisé. En pratique, l’acceptation d’un tel programme ne pourrait passer qu’avec une conditionnalité budgétaire stricte, c’est-à-dire une cure d’austérité imposée à la France en échange du soutien de Francfort.
C’est exactement ce qui s’était produit en Italie en 2011, lorsque Silvio Berlusconi, affaibli, avait dû céder la place à Mario Monti, un technocrate soutenu par Bruxelles et chargé d’appliquer un plan de rigueur. Mais la comparaison a ses limites. En France, la perspective d’un “Monti français” se heurte à un contexte social beaucoup plus explosif. Le 10 septembre, une grève nationale est déjà prévue. Si la rue paralyse le pays au moment même où les marchés obligataires s’emballent, toute tentative de mise sous tutelle budgétaire deviendrait politiquement intenable. Contrairement à l’Italie, la France ne peut pas compter sur un consensus parlementaire ou une résignation sociale. La grève empêcherait l’installation rapide d’un gouvernement technique et ferait éclater au grand jour la fragilité d’un exécutif imposé de l’extérieur.
Dans un tel scénario, l’austérité ne serait pas décidée par un gouvernement légitime, mais imposée par les marchés et les administrations techniques.
Mais concrètement, qu’est-ce que cela signifie ?
Bercy gèlerait des crédits et différerait des paiements pour éviter le défaut, tandis que la BCE conditionnerait son soutien à des engagements budgétaires que personne n’aurait la légitimité politique d’endosser. Bruxelles pourrait imposer une surveillance renforcée et dicter un cadre chiffré, mais son application serait chaotique. Ce serait une austérité de trésorerie, subie et improvisée, qui alimenterait encore plus la contestation sociale.
Si le blocage social devait se prolonger, deux issues extrêmes pourraient alors se dessiner :
- La première serait celle d’une austérité de fait : faute de pouvoir emprunter normalement sur les marchés, l’État serait contraint de réduire brutalement ses dépenses. Cela se traduirait par des retards de paiement sur les salaires publics, le gel de certains investissements et le différé de prestations sociales. Dans ce scénario, l’austérité ne serait plus un choix politique mais une réalité imposée par la contrainte financière.
- La seconde issue serait celle d’une crise politique majeure. Face à l’impossibilité de former un gouvernement crédible et de contenir la rue, le Président pourrait décider de dissoudre l’Assemblée nationale afin de tenter de rétablir une légitimité par les urnes. Mais une telle dissolution interviendrait dans un climat de panique financière et sociale, ce qui rendrait l’issue électorale incertaine et risquerait d’accentuer encore l’instabilité.
Le risque est donc clair : si le gouvernement échoue le 8 septembre et que la grève générale bloque le pays, la France pourrait basculer en quelques jours dans une crise obligataire et bancaire systémique, sans relais politique crédible pour mettre en œuvre la discipline budgétaire exigée par la BCE et l’UE. Ce serait un scénario inédit : une mise sous tutelle de fait du cœur de la zone euro, mais sans instrument politique pour la rendre viable. La contagion dépasserait immédiatement les frontières françaises : les marchés testeraient le Royaume-Uni, encore fragilisé par le précédent des Gilts en 2022, et le Japon, dont les taux sont déjà sous tension.
Le scénario central reste celui d’une intervention rapide de la BCE pour contenir les spreads. Mais l’échelle du problème français — 3 400 milliards € de dette, 300 milliards € de refinancement annuel, un système bancaire avec un “leverage” excessif— rend cette intervention beaucoup plus difficile à calibrer et à légitimer que par le passé. Si les conditions politiques et sociales empêchent toute mise sous tutelle ordonnée, le risque est celui d’une austérité imposée par la contrainte financière, dans un chaos politique et social. C’est ce mélange d’instabilité politique, fragilité obligataire, vulnérabilité bancaire et contestation sociale qui fait de la France un risque systémique unique en Europe aujourd’hui.
Nous ne sommes pas face à une certitude, mais à un risque croissant. Dans le scénario central, la France connaîtrait une forte tension obligataire, sans doute vite contenue par la BCE. Mais dans un environnement où les marchés scrutent la moindre faille, le vote du 8 septembre et la grève nationale en parallèle créent une fenêtre dangereuse.
Une crise obligataire française pourrait aller beaucoup plus vite que celle de la Grèce en 2011, parce que les montants sont plus importants, parce que les banques françaises sont plus exposées, et parce que la crise obligataire se propagerait immédiatement au Japon et au Royaume-Uni.
Dans un tel contexte, les valeurs refuges — or et argent physiques — retrouvent tout leur sens. Elles ne dépendent ni de la solvabilité d’un État ni de la solidité d’un système bancaire, et offrent un rempart tangible face à un environnement où la liquidité peut disparaître en quelques heures.
L’or coté en euros évolue actuellement sur une zone charnière. Depuis le début de l’année 2025, le métal jaune a dessiné une figure de consolidation en forme de drapeau haussier, classique dans une tendance ascendante puissante.
Après l’envolée spectaculaire de 2024 qui l’a porté de 1 800 € à plus de 3 000 €, le marché s’est inscrit dans un triangle de consolidation dont les bornes se resserrent progressivement. Nous sommes aujourd’hui en train de tester la borne basse de ce drapeau, un support technique majeur. Tant que ce seuil tient, la configuration reste positive et laisse envisager une nouvelle jambe de hausse dans les prochains mois.
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