Le sommet de Busan devait symboliser la réconciliation économique entre les deux plus grandes puissances mondiales. La Maison-Blanche a parlé d’un “accord historique” ; les médias américains ont repris le terme “accord” sans mentionner qu’aucun texte n’avait été signé. Tout reposait sur des promesses orales et une mise en scène soigneusement calibrée.
Pékin, de son côté, n’a publié aucune confirmation officielle : ni le MOFCOM, ni la Banque populaire, ni même COFCO, l’organisme d’État chargé des importations agricoles, n’ont repris les engagements évoqués par Washington. La seule trace du prétendu “deal” reste un communiqué américain vantant des concessions qui, côté chinois, n’existent nulle part dans les registres officiels.
Le volet agricole était censé être la vitrine de ce rapprochement : 12 millions de tonnes de soja américain dès la fin 2025, puis 25 millions par an jusqu’en 2028. Pendant quelques jours, les marchés y ont cru. Les prix du soja ont rebondi, les traders du Midwest ont salué un retour de la demande chinoise, et Trump a parlé d’une victoire totale pour les agriculteurs américains. Mais la réalité s’est vite imposée. Après un seul cargot expédié début novembre, les achats chinois ont cessé. Aucune nouvelle commande n’a été enregistrée depuis, et les volumes sont retombés à zéro en moins de deux semaines. Pékin a, comme souvent, laissé Washington s’auto-congratuler avant de refermer le robinet.
Sur les métaux critiques, la communication a été tout aussi trompeuse. Trump a annoncé la levée des restrictions chinoises sur les terres rares ; Or, la Chine n’a jamais levé quoi que ce soit. Elle a simplement mis en place un nouveau système, inspiré des pratiques américaines : le Validated End-User system. Ce mécanisme distingue les entreprises civiles autorisées à importer des terres rares, aimants ou alliages stratégiques, de celles liées au complexe militaro-industriel américain, désormais exclues. En pratique, Tesla, Apple ou Boeing (version civile) peuvent continuer à s’approvisionner, tandis que Lockheed Martin, Raytheon, Northrop ou SpaceX Defense voient leurs flux bloqués. Pékin respecte la lettre de sa promesse – faciliter les exportations – tout en en changeant l’esprit : elle livre, mais à qui elle veut.
Parallèlement, la Chine a renforcé le contrôle sur d’autres métaux stratégiques. Le 30 octobre, le MOFCOM a publié la circulaire 2025-68 encadrant les exportations de tungstène, d’antimoine et d’argent pour 2026-2027. Officiellement, il s’agit de “protéger les ressources et l’environnement”. Dans les faits, ces nouvelles règles imposent aux entreprises exportatrices un régime d’autorisation d’État qui permet à Pékin de décider, au cas par cas, des volumes et des destinataires. L’argent, utilisé dans l’électronique et les panneaux solaires, rejoint ainsi la liste des métaux considérés comme stratégiques. La Chine ne ferme pas ses frontières : elle choisit ses clients.
🚨 Les États-Unis ajoutent l'argent à la liste des « minéraux critiques ».
— Or.fr (@Or_fr_) November 7, 2025
Le ministère américain de l'intérieur (DOI) a ajouté l'argent, le cuivre et le charbon métallurgique à sa liste des « minéraux critiques », augmentant ainsi la probabilité que ces matériaux soient inclus… pic.twitter.com/CysJS6rrIj
Pendant que Trump claironnait la reprise du commerce, Pékin signait en parallèle un accord monétaire de 400 milliards de yuans avec la Corée du Sud et un plan quinquennal de coopération industrielle. Là encore, le contraste est saisissant : d’un côté, un “deal” américain sans texte ; de l’autre, un partenariat asiatique concret, signé, chiffré et publié. C’était le vrai motif du déplacement de Xi Jinping en Corée : renforcer les circuits de règlement en yuan et accélérer l’intégration financière régionale, pendant que Washington se berce d’illusions diplomatiques.
Deux semaines après Busan, il ne reste donc qu’un décor vide : des promesses non tenues, des flux agricoles gelés, un système de filtrage sur les terres rares et de nouvelles restrictions sur les métaux critiques. Les marchés ont acheté une photo, les commentateurs ont relayé une trêve sans texte, et le soja américain attend toujours son client. Dans les faits, la Chine poursuit sa stratégie de découplage sélectif : elle garde le contrôle sur les chaînes technologiques, sécurise ses ressources, et ne concède rien d’irréversible. Washington a annoncé un accord ; Pékin, elle, a signé des règles.
Trump a sans doute compris que ses tarifs à 100% sur les importations chinoises, brandis comme une arme électorale, commençaient à nuire directement à l’économie américaine. Les entreprises locales, déjà fragilisées par la hausse des coûts de financement, redoutaient l’impact inflationniste de nouvelles hausses douanières sur les biens intermédiaires et les produits de consommation. En réalité, son geste “d’apaisement” vis-à-vis de la Chine n’était pas un revirement idéologique mais une nécessité économique : il fallait offrir aux marchés le signe d’une désescalade avant que le stress de liquidité et la défiance vis-à-vis des Treasuries ne s’enclenchent.
Sur ce point, Trump a joué finement le sommet de Busan. Il a organisé la séquence médiatique parfaite : une rencontre avec Xi Jinping sous le signe de la réconciliation, des déclarations triomphales sur un “deal historique”, et une rhétorique calibrée pour produire l’euphorie boursière attendue. Wall Street n’avait besoin que d’une photo, pas d’un traité. Les indices ont bondi, le VIX s’est effondré, et le récit d’une “trêve commerciale sino-américaine” a suffi à neutraliser les inquiétudes à court terme. Mais au fond, le “deal” n’existe pas : aucun texte, aucun engagement formel, aucune signature.
Ce qui a été scellé, en revanche, c’est une forme de détente. Après plusieurs années de confrontation technologique ouverte, les deux pays ont trouvé un ton plus pragmatique, au moins temporairement. La Chine accepte de rouvrir certains canaux de discussion et de retirer quinze entreprises américaines de sa liste de contrôle des exportations ; les États-Unis assouplissent leurs tarifs et suspendent quelques mesures du département du Commerce. C’est modeste, mais suffisant pour que les marchés y voient une inflexion durable.
La détente est telle que Trump a même proposé d’ouvrir 600 000 places pour des étudiants chinois dans les universités américaines — une proposition inattendue, presque provocatrice pour sa base électorale.
C’est une rupture complète avec ses discours passés sur les visas H1-B et la méfiance envers les ressortissants étrangers. L’ancien président montre, encore une fois, son talent pour désarçonner : il passe sans transition de la confrontation à la main tendue, de la rhétorique nationaliste à la diplomatie d’image. Cette ambiguïté, qui trouble son électorat MAGA, rassure paradoxalement Wall Street : tant que Trump peut apaiser les tensions et doper les indices, la cohérence politique passe au second plan.
Le sommet de Busan n’a donc produit aucun accord commercial concret, mais il a offert ce que le marché réclamait : un narratif de détente et la promesse implicite d’une pause dans l’escalade. La Chine, elle, continue de resserrer ses contrôles sur le tungstène, l’argent et les terres rares, pendant que Trump capitalise sur l’illusion du “deal” pour maintenir la confiance. Une opération de communication magistrale, qui n’a rien changé au fond du rapport de force, mais qui a suffi à acheter du temps — et quelques points de hausse sur le Nasdaq.
Pas étonnant, dès lors, de voir le cours de l’or repartir à la hausse sur ce “non-deal”. Les investisseurs n’ont pas été dupes : derrière la façade d’apaisement diplomatique, la réalité reste celle d’un monde fragmenté, où les tensions stratégiques persistent et où la confiance dans les promesses politiques s’érode. L’or, lui, réagit non pas à la rhétorique, mais à la substance — et ce sommet de Busan n’en offrait aucune.
Les positions “papier” des fonds ont été partiellement débouclées dans la phase de stress de liquidité d’octobre, mais les achats physiques d'or n’ont jamais cessé. Les banques centrales, notamment celles de Chine (+10 tonnes), Turquie (+15 tonnes) et Inde, continuent d’accumuler. Même la Banque de Corée a annoncé qu’elle envisageait de reprendre ses achats d’or pour la première fois depuis 2013, un signal de long terme venant d’un pays historiquement ancré dans le dollar. Les flux sur Shanghai et le COMEX montrent encore des volumes de livraisons très élevés : plus de 58 000 contrats “stand for delivery” sur le mois d’octobre, soit presque le double du niveau moyen observé en début d’année.
Ce regain d’intérêt pour le métal jaune traduit une chose : le marché ne croit pas à la stabilité promise par la photo de Busan. L’épisode du “deal fantôme” rappelle que les politiques commerciales peuvent basculer du jour au lendemain, que les engagements ne valent que dans les communiqués, et que la confiance dans le dollar reste conditionnelle.
Chaque signe de relâchement entre Washington et Pékin se transforme en répit pour les actions, mais en signal d’alarme pour ceux qui savent que la paix commerciale repose désormais sur une mise en scène, pas sur un équilibre durable.
Alors que le soja s’arrête net, que les métaux stratégiques restent sous contrôle chinois, et que la désescalade américaine se résume à un communiqué sans signature, l’or retrouve naturellement son rôle d’ancrage. Non pas parce qu’il profite du chaos, mais parce qu’il est le seul actif qui n’a besoin ni d’un deal, ni d’une promesse, pour inspirer la confiance.
La reproduction, intégrale ou partielle, est autorisée à condition qu’elle contienne tous les liens hypertextes et un lien vers la source originale.
Les informations contenues dans cet article ont un caractère purement informatif et ne constituent en aucun cas un conseil d’investissement, ni une recommandation d’achat ou de vente.