Cette semaine, les signaux de tension financière sont devenus tangibles.
Mercredi, la tuyauterie du système monétaire américain a commencé à grincer : le SOFR — le taux de financement interbancaire garanti par des bons du Trésor — a franchi le Discount Rate de la Fed, autrement dit le taux d’emprunt d’urgence normalement réservé aux banques en détresse. En clair, il est désormais plus coûteux de se financer sur le marché que d’aller frapper directement à la porte de la Fed.

Ce phénomène, rarissime hors période de crise, signale une chose simple : le cash se raréfie, même pour les institutions solides.
Contrairement à ce que certains commentateurs laissent entendre, cette flambée du SOFR n’est pas encore un effondrement du shadow banking (“finance de l'ombre”), mais elle en annonce peut-être les premières fissures.
Le shadow banking, c’est tout ce qui ressemble à une activité bancaire — prêter, emprunter, titriser des créances — mais sans être une banque. Ce sont les fonds de crédit privés, les sociétés de leasing, les fintechs de prêts aux ménages, ou encore les véhicules de titrisation détenus par des assureurs ou des fonds. Ce système parallèle ne reçoit pas de dépôts, ne bénéficie pas de garantie publique et ne peut pas se refinancer auprès de la Fed. En revanche, il dépend entièrement du marché du repo et du coût du financement à court terme pour fonctionner.
Or, ce sont précisément ces circuits qui se grippent.
Depuis plusieurs semaines, les faillites se multiplient dans les maillons périphériques du crédit américain : First Brands et le prêteur automobile TriColor ont été accusés de pratiques de prêts frauduleuses ; la société de financement Kabbage, spécialisée dans le crédit aux PME, a déposé le bilan ; et plusieurs banques régionales, comme Western Alliance ou Zions Bancorporation, ont reconnu des pertes importantes sur des portefeuilles de prêts revendus à ces entités hors bilan. Autrement dit, les risques qui avaient été “déplacés” hors du système bancaire reviennent maintenant frapper les bilans des établissements traditionnels.
C’est là que le lien entre le SOFR et le shadow banking devient explosif.
Plus le coût du financement monte, plus ces acteurs non bancaires — qui vivent à crédit — se retrouvent asphyxiés. Ils doivent brader leurs actifs pour lever du cash, accentuant la pression sur le marché.
Et cette fois, le Trésor américain ajoute sa propre couche de stress.
Les enchères massives de bons du Trésor absorbent chaque semaine des dizaines, parfois des centaines de milliards de liquidité. Les dealers, chargés d’acheter ces titres pour le compte du marché, doivent emprunter toujours plus de cash pour les financer. Leurs bilans se saturent, leur levier grimpe, et le coût de ce financement explose.
C’est le serpent qui se mord la queue : le Trésor émet pour trouver du cash, mais ce faisant, il en retire du système.
Mercredi, cette tension s’est matérialisée brutalement. Les spreads du Repo se sont élargis, certains desks ont peiné à lever du levier, et les taux overnight ont décollé. Jeudi, une nouvelle adjudication n’a fait qu’amplifier la pression. Et la semaine prochaine s’annonce encore plus difficile : le shutdown fédéral continue de retarder les paiements du Trésor, tandis que le bouclage fiscal de fin de mois approche — période durant laquelle les entreprises retirent massivement du cash de leurs comptes pour s’acquitter de l’impôt, aggravant la contraction des réserves bancaires. Chaque jour qui passe, chaque adjudication supplémentaire, ajoute une tension cumulative dans la plomberie du système.
Le cours de l’or traduit cette tension à sa manière. Depuis le début de la semaine, le métal jaune consolide autour de 4 150 à 4 200 $ l’once, sans signal de rupture :

Ce repli n’a rien d’un désintérêt des investisseurs : il reflète simplement la rareté du dollar. Quand le financement se tend, les fonds vendent temporairement leurs positions les plus liquides — dont l’or — pour répondre à leurs appels de marge. Ce n’est pas une fuite, c’est un réflexe de survie : dégager du cash dans un marché où le cash devient rare.
Historiquement, ces phases de consolidation dans un environnement de stress monétaire précèdent toujours des reprises violentes. Dès que la Fed ou le Trésor devront injecter de la liquidité pour éviter un blocage du Repo, l’or repartira, porté par la même logique que toujours : quand la plomberie craque, on rouvre les vannes.
Pendant ce temps, la scène politique mondiale ajoute sa dose de confusion. Donald Trump a promis un “meeting historique” avec Xi Jinping la semaine prochaine en Corée du Sud — une annonce largement relayée par les médias américains sans aucune confirmation de Pékin. Un bluff diplomatique, donc, destiné à maintenir l’illusion d’un dialogue, alors même qu’aucun calendrier n’existe. Et comme si cela ne suffisait pas, Trump a brandi la menace de tarifs de 150% sur les importations chinoises. Un chiffre tonitruant mais totalement inapplicable : les systèmes douaniers américains ne pourraient pas recalculer ces taxes en quelques jours, les transitaires seraient paralysés et les ports saturés. Cette menace n’est pas une politique commerciale, c’est un effet de manche — une négociation à ciel ouvert.
Les marchés l’ont bien compris : le théâtre continue, mais la confiance s’érode peu à peu.
Le SOFR grimpe, les dealers sont saturés, les faillites s’accumulent dans le shadow banking, le shutdown se prolonge, les T-bills s’entassent, et l’or respire. Les marchés tiennent encore, mais sous perfusion.
Le vrai stress se lit désormais dans le SOFR, dans le Repo, et dans le souffle court des dealers. Nous ne sommes pas encore dans une crise du crédit, mais déjà dans une crise du collatéral. Et c’est toujours par là que tout commence.
Une crise du crédit naît lorsque les emprunteurs ne peuvent plus rembourser : les défauts s’enchaînent, les banques coupent les prêts et l’économie ralentit.
C’est exactement ce qui s’était produit en 2008, lorsque des ménages surendettés avaient cessé de payer leurs hypothèques, provoquant la faillite des produits titrisés qui en dépendaient.
Une crise du collatéral, en revanche, intervient avant même les défauts : elle touche la qualité et la disponibilité des garanties qui soutiennent le crédit. Autrement dit, ce n’est pas encore l’emprunteur qui fait défaut, mais le système qui doute de la valeur des gages qu’il s’échange.
Dans le monde d’aujourd’hui, tout financement repose sur un actif mis en garantie — un bon du Trésor, une obligation, un prêt titrisé.
Quand ces actifs deviennent trop nombreux, trop risqués ou trop illiquides, la confiance s’érode : les prêteurs exigent des marges plus élevées, ou refusent carrément de prêter.
C’est exactement ce que montre la montée du SOFR : le cash ne disparaît pas, mais circule plus difficilement parce que chaque acteur devient plus exigeant sur la qualité du collatéral qu’il accepte.
Cette méfiance se propage en silence.
Un fonds de crédit hésite à rouler ses positions ; une banque refuse un Repo jugé trop risqué ; un dealer, saturé de T-bills, ne peut plus prêter de cash.
Rien ne casse encore, mais tout se grippe un peu plus chaque jour.
C’est la phase la plus dangereuse, celle où le système paraît encore stable mais où la liquidité réelle s’évapore.
Dans une crise du crédit, la peur est visible — les faillites se multiplient.
Dans une crise du collatéral, elle est silencieuse — c’est le financement lui-même qui se fige.
La reproduction, intégrale ou partielle, est autorisée à condition qu’elle contienne tous les liens hypertextes et un lien vers la source originale.
Les informations contenues dans cet article ont un caractère purement informatif et ne constituent en aucun cas un conseil d’investissement, ni une recommandation d’achat ou de vente.