Aux Etats-Unis en 2013, les rachats d’actions ont battu tous les records : les entreprises cotées ont acheté pour 600 milliards de dollars de leurs propres actions. Depuis 2009, c’est plus de 1.000 milliards qui ont ainsi été rachetés, soit environ 10% de la capitalisation boursière, c’est dire l’ampleur du phénomène. Les entreprises qui marchent bien, ou plus simplement qui réduisent leurs coûts, accumulent du cash, mais comme les perspectives de croissance sont faibles, elles n’investissent pas et se retrouvent avec une trésorerie disproportionnée. Le meilleur exemple est Apple, qui possèderait 160 milliards de dollars de liquidité et qui, après bien des réticences, a commencé à racheter ses propres actions, pour 40 milliards jusqu’ici. Un rachat d’actions se traduit normalement par une hausse du cours : la valeur de l’entreprise ne bouge pas, mais le nombre d’actions diminue, donc le prix de chaque action doit monter. Il s’agit d’un cadeau fait à l’actionnaire.

L’ampleur de ces rachats d’actions apporte un indice supplémentaire de l’absence de véritable reprise économique aux Etats-Unis. Mais ce chiffre de 600 milliards de dollars doit aussi être mis en regard d’un autre : les 1.020 milliards de dollars créés par la Fed durant l’année 2013 avec son plan de Quantitative easing (85 milliards par mois multiplié par 12). D’un côté, la Fed crée de la monnaie papier, de l’autre les entreprises détruisent du papier, pas la monnaie, bien sûr, mais leurs actions. D’un côté, de la liquidité est crée, de l’autre elle est détruite, comme s’il fallait compenser.

En fait, les deux phénomènes se renforcent l’un et l’autre pour pousser à la hausse le cours des actions. Sur les 85 milliards du QE sur 2013, 45 servent à acheter des bons du Trésor et ainsi à financer le déficit budgétaire, et 40 servent à racheter des crédits hypothécaires (MBS, Mortgage-backed security) de mauvaise qualité aux banques, de façon à soutenir le marché immobilier. Ainsi, 40 milliards de dollars vont dans la poche des banques, qui peuvent par surcroît emprunter auprès de la Fed à 0%. Ensuite les banques replacent ces liquidités sur les marchés, notamment à Wall Street, ce qui fait monter les cours. Puis les entreprises rachètent leurs propres actions, ce qui fait encore progresser les cours… C’est une fusée à deux étages en quelque sorte ; la quantité de dollars en circulation augmente, et simultanément la quantité de titres diminue.

La liquidité, elle, transite par le marché actions et se retrouve dans les poches des actionnaires, c'est-à-dire des ménages disposant d’un patrimoine conséquent, ou des sociétés et des fonds. Pour ces ménages cela produit ce qu’on appelle un "effet richesse", une augmentation de leur patrimoine, mais basé sur de la liquidité excédentaire, c'est-à-dire une bulle. Ce mécanisme est, bien sûr, très instable. Une partie de cet argent est dépensé et il provoque un petit surcroît de croissance économique, ce qui permet ensuite à la Fed, aux politiques et aux grands médias de claironner que l’économie reprend ; mais tout cela n’est qu’un jeu d’ombres.

Il est amusant de voir que la Fed et les grandes entreprises, en l’occurrence, ne répondent pas à leur fonction première (garantir la valeur de la monnaie, investir et augmenter ses profits), et préfèrent manipuler ce dont elles ont la responsabilité et qui doit servir de mesure objective (le dollar, les actions). Comme si, face à la déprimante situation de l’économie réelle, il ne restait plus que des subterfuges.

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