Europcar va-t-il devenir un nom doublement maudit ? Pour la faillite de l’un des plus grands groupes mondiaux de location de voitures, mais aussi pour un événement quasiment absent de la presse économique mais tellement déterminant : les CDS ne se sont pas activés.
Rappelons qu’un CDS (Credit Default Swap) est un produit d’assurance qui permet de se protéger d’un défaut sur un crédit. Il a été créé en 1994 par JP Morgan, par une équipe dirigée par la célèbre financière Blythe Masters. Par exemple, un investisseur important, type hedge fund, qui possède un gros paquet d’actions d’une société très endettée, pourra acheter des CDS sur cette société : si elle fait faillite, et ne peut donc plus rembourser ses prêts, ses actions ne valent plus rien, mais les CDS, qui se déclenchent alors, rapportent de l’argent à l’investisseur, ce qui lui permet de s’en sortir sans trop de dommages. Mais c’est aussi un produit spéculatif : on peut en acheter même si l’on n’est pas directement concerné par le risque, simplement pour parier. Comme si on pouvait souscrire une assurance incendie sur la maison de son voisin en espérant qu’elle parte un jour en fumée afin de toucher le pactole…
Lors de la crise des subprimes, ce sont les CDS qui causèrent la faillite, le 15 septembre 2008, le même jour que Lehman Brothers, de American International Group (AIG), qu’il fallut, lui, sauver en catastrophe puisqu’il était un des principaux assureurs américains. AIG avait créé une filiale pour vendre des quantités de CDS, notamment sur Lehman Brothers, persuadé que cette banque prestigieuse ne ferait jamais défaut…
Le marché des CDS, ni régulé ni centralisé comme les Bourses, a connu une bulle en 2007 en atteignant un montant global de plus de 55.000 milliards de dollars. Désormais il a diminué mais il pèse encore 9.000 milliards de dollars (la moitié du PIB des États-Unis), et il constitue un segment important des produits dérivés (inscrits au hors-bilan des banques, qui échappent donc aux normes Bâle III, ce qui relativise leur efficacité…). Ceci dit, ces produits existent, au-delà de la simple spéculation, et ils répondent à des besoins d’autant plus importants qu’il y a de la dette partout (on peut aussi acheter des CDS sur des pays).
Voici qu’arrive l’incident Europcar. Le loueur de voitures, très endetté, a été poussé à la faillite par la crise du Covid-19, les confinements, l’effondrement du tourisme. Et, comme l’explique Les Echos, les CDS ne se sont pas déclenchés ! Les acheteurs de ces protections, qui avaient pourtant payé des primes en contrepartie, n’ont absolument rien touché. En effet, pour connaître le montant du paiement dû au titre du CDS, il faut d’abord déterminer la valeur de l’obligation. Or, comme l’explique l’article, "cette valeur ne correspond pas aux cotations des intermédiaires de marché, mais elle doit se déterminer en passant par un processus d’enchère. Le problème c’est que très peu d’obligations ont été apportées au processus, car l’essentiel du gisement était bloqué suite au processus de restructuration. Cette rareté de la dette a fait grimper les prix jusqu’à 100% de la valeur faciale", ce qui a mécaniquement réduit à zéro l’indemnité due aux détenteurs de CDS.
Cet incident est extrêmement grave : nous vivons dans un monde surendetté (les États, les banques, de nombreuses grandes entreprises), et le principal outil pour se couvrir contre le risque de défaut d’une dette vient d’échouer sur un cas emblématique, et accessoirement de montrer à ceux qui ne veulent pas faire face à leurs obligations comment manœuvrer pour s’y soustraire. Les CDS sont déjà dangereux en eux-mêmes, du fait de leur opacité et de la diffusion incontrôlée du risque qu’ils engendrent, mais s’ils se mettent à dysfonctionner, si la sécurité qu’ils offrent devient aléatoire, un effet domino peut se produire en cas de crise conséquente. Un élément supplémentaire qui rend notre montagne de dette encore plus instable...
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