Il est de bon ton en France de dénoncer le capitalisme américain, d’en moquer les excès et l’instabilité, spécialement dans le domaine de la finance. La dernière crise financière, celle des subprimes en 2008, venait effectivement des États-Unis, et un tel événement semble inconcevable dans une France si fière de ses "banques universelles" et de ses instances de régulation. Pourtant, lorsqu’on regarde les chiffres concernant les grandes banques des deux côtés de l’Atlantique, on constate que le risque se situe clairement en France.
Tout d’abord, première particularité, on sait que les deux économies ont des poids très différents puisque le PIB des États-Unis représente 7,5 fois celui de la France, et pourtant leurs quatre principales banques sont de taille équivalente ! Les bilans de JP Morgan, Bank of America, Wells Fargo et Citigroup pèsent au total 8671 milliards de dollars, tandis que ceux de BNP Paribas, BPCE-Natixis, Crédit Agricole et Société Générale pèsent 8330 milliards de dollars (les chiffres proviennent du blog de Jean-Pierre Chevallier). Résultat, les quatre grandes banques américaines représentent 44,5% du PIB des États-Unis, alors que les quatre grandes banques françaises représentent trois fois le PIB de la France ! La conséquence est limpide : en cas de grave crise bancaire, Paris ne pourrait pas y faire face.
Mais justement, comment son capitalisées ces banques ? Autrement dit, quel est le risque systémique ? C’est la deuxième particularité : les banques françaises souffrent de fonds propres nettement inférieurs à leurs consœurs américaines. Les quatre grandes banques françaises ont un effet de levier moyen de 25,53 (de 21,92 pour le Crédit Agricole à 31,41 pour la Société Générale), ce qui signifie qu’elles ont 25,53 euros d’engagements pour 1 euro de "cash", de liquidité. Un ratio démentiel : une perte sèche de seulement 1/25e de leur bilan, soit 4%, consomme tous leurs fonds propres et les met techniquement en faillite. L’effet de levier de Lehman Brothers au moment de sa chute, le 15 septembre 2008, était du même ordre (31). Pour les banques américaines, aujourd’hui, l’effet de levier s’établit à moins de la moitié (11,63), ce qui s’avère nettement moins imprudent, même si le risque demeure évidemment.
Les marchés sont bien sûr au courant de cette réalité et, c’est la troisième et dernière particularité, ils la sanctionnent durement : la capitalisation (la valeur sur le marché boursier) des quatre banques américaines s’élève à 1080 milliards de dollars contre seulement 180 pour les banques françaises, six fois moins, alors qu’elles sont de taille équivalente, on le rappelle.
Par un ironique retournement de situation, les grandes banques françaises incarnent tous les maux et les excès que les dirigeants français attribuent à "l’ultralibéralisme" des USA. Mais le responsable ici n’est pas le libéralisme, c’est plutôt le "capitalisme de connivence" qui lie étroitement les dirigeants des banques avec ceux du pouvoir, au point de les rendre aveugles au risque.
En cas de grave crise bancaire, nous l’avons dit, l’État n’aurait pas les capacités de faire face ; il a en conséquence déjà pris ses dispositions : ponction des comptes bancaires (directive BRRD) et blocage de l’assurance-vie (loi Sapin 2), c’est-à-dire faire payer les déposants. Quand ce cataclysme arrivera, il sera toujours temps de trouver un prétexte pour le mettre sur le compte du "capitalisme financier américain"…
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