Les tensions s'accroissent entre l'Allemagne et la Banque Centrale Européenne, et cette fois elles s'expriment ouvertement, à travers une intervention du ministre des finances Wolfgang Schäuble devant le parlement allemand, le Bundestag. L'homme fort d'Angela Merkel occupe le poste clé des finances depuis 2009, ses déclarations ne sont donc pas à prendre à la légère.
Wolfgang Schäuble commence d'abord par exprimer ses réticences face à la volonté de la Banque Centrale Européenne, récemment annoncée par Mario Draghi, d'acheter des prêts titrisés ainsi que des obligations bancaires, c'est-à-dire de continuer à apporter des liquidités aux banques et de faire enfler le bilan de la BCE. Ensuite il pointe un vrai problème de fond dont nous avons déjà parlé ici, celui du conflit d'intérêt dans lequel va se retrouver la BCE. En effet, à partir du mois de novembre, celle-ci doit s'occuper de la supervision des 120 principales banques de l'Union européenne. Elle va donc étudier leurs comptes en profondeur, mesurer leur solidité financière, passer en revue l'ensemble de leurs actifs. Et dans le même temps, elle pourra acheter ces mêmes actifs qu'elle connaîtra comme personne sur le marché. La BCE sera juge et partie, sans avoir de comptes à rendre à aucune autorité, décidant seule de sauver ou pas telle ou telle banque. Etant donné le penchant laxiste de Mario Draghi, on peut surtout prévoir qu'il aura tendance à renflouer indéfiniment des banques devant être restructurées, ce qui aura pour conséquence de dégrader encore le bilan de la BCE...
Wolfgang Schäuble demande justement la séparation, au sein de la BCE, de la politique monétaire et des missions de supervision bancaire. Certes, mais il aurait fallu y penser avant et confier cette supervision à une autre structure ! Et puis sérieusement, si une telle séparation est concédée par Mario Draghi, quelle valeur aura-t-elle ? Les grandes banques nous vendent l'existence d'une "muraille de Chine" entre le département crédit (qui détient de ce fait des informations pointues sur les entreprises que le marché ignore) et celui des fusions et acquisitions, l'expérience montre qu'il ne faut pas lui accorder beaucoup de valeur.
En plus des mises en garde du ministre des finances, d’autres sources de conflits existent. La cour constitutionnelle de Karlsruhe pourrait bloquer un éventuel plan de Quantitative easing sensé venir en aide à un pays en difficulté (il s’agit du programme OMT annoncé en septembre 2012 par Draghi). D’une toute autre nature, les succès électoraux du nouveau parti AfD, Alternative fur Deutschland (anti euro), qui grignote sur l’électorat de la CDU, celui d’Angela Merkel, pourraient pousser Berlin à durcir ses positions face à la BCE.
L'euro était un "super deutsche mark" lors de sa création, il a été vendu comme tel aux marchés. Les crises de la Grèce, de Chypre, des dettes souveraines en 2011 (les taux italiens et espagnols qui flambent) ont déjà obligé à une large intervention de la Banque Centrale Européenne, bien plus que ce que souhaitaient les Allemands. La poursuite d'une politique laxiste et opaque, au moment où la Fed réduit son QE et parle de remonter ses taux, accentue les divergences. L'euro a déjà perdu 10% en quatre mois face au dollar, une telle glissade ne se voyait pas au temps du deutsche mark ! Cela ne peut pas plaire à Berlin. Il est difficile de prévoir comment un clash pourrait se matérialiser, mais on y progresse à grands pas.
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