Nous avons parlé de la "grande rotation" la semaine dernière, c'est-à-dire le déplacement des investisseurs des obligations vers les actions. Un autre mouvement de fond semble se produire concomitamment : le retrait des capitaux des marchés émergents et leur retour vers les pays développés. Selon Morgan Stanley, 760 millions de dollars ont ainsi fui les fonds investis en actifs émergents lors de la semaine du 14 août, dont 590 millions rien que pour les fonds asiatiques, actions et dette confondues, il s'agit de la troisième semaine de repli consécutive (L’Agefi).

Le vent est-il en train de tourner concernant les pays émergents ? Il est vrai que les mauvaises nouvelles s’accumulent : la croissance s’affiche en baisse en Chine, en Inde, en Indonésie ou en Thaïlande, l’inflation fait son retour en Argentine et au Brésil. Plus grave, la crédibilité des statistiques économiques nationales est parfois mise en doute comme en Chine. De plus en plus d’experts dénoncent l’écart grandissant entre le PIB affiché par le pouvoir à Pékin et des chiffres plus concrets comme la consommation d’électricité ou le fret ferroviaire…

Ceci met en lumière un problème de fond des pays émergents. Lorsqu’un pays part de très bas, qu’il abandonne l’économie planifiée très en vogue encore jusque dans les années 80, qu’il libéralise la production et le commerce, très clairement la croissance est au rendez-vous. Mais après ? Pour que l’économie continue de grandir il faut démanteler les grands monopoles d’Etat, éviter que la corruption ne soit endémique, faire en sorte que le droit des contrats et le droit de propriété soient reconnus, et malheureusement ce n’est souvent pas le cas. Et la "sanction" se traduit par une croissance qui se met à plafonner.

En Inde, comme dans de nombreux autres pays, le cadastre se révèle très incomplet. On estime que 80% des affaires de justice (et 10% des meurtres !) concernent des problèmes fonciers. Comment imaginer que l’agriculture puisse réellement se développer dans ces conditions ? Face à ses difficultés économiques, New Dehli réagit de la plus mauvaise des façons, à savoir en recourant aux méthodes coercitives comme le contrôle des changes (les particuliers ne pourront plus sortir que 75.000 dollars par an au lieu de 200.000 précédemment). Comment s’étonner ensuite que les investisseurs étrangers quittent le pays ! L’Argentine et d’autres pays ont resserré leur contrôle des changes (et Chypre, pourtant dans la zone euro rappelons-le). En Inde toujours, l’or constitue on le sait l’un des principaux placements, notamment pour les plus pauvres qui n’ont pas accès au système bancaire : le pouvoir vient pourtant de décider de relever de 10% les taxes à l’importation du métal précieux ! La note à payer, en termes de ralentissement économique, excédera largement le rendement de cette taxe, soyons-en sûr.

Alors oui les nouvelles sont mauvaises, elles traduisent l’essoufflement d’un modèle de développement et, ce qui est plus grave, l’incapacité à passer à une étape supérieure, celle qui permettrait une croissance plus "intensive".

Les capitaux américains et européens semblent donc vouloir se rapatrier sur leurs terres d’origine. Mais pour aller où ? Essentiellement sur les marchés actions qui sont surévalués et tenus à bout de bras par les banques centrales. Les désillusions risquent d’être sévères, mais cela est une autre histoire.

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