Le brusque accès de panique provoqué la semaine dernière par la Banque Nationale Suisse (BNS) révèle que nous sommes tous devenus complètement dépendants des banques centrales, à un niveau pathologique. Certes, la décision de la BNS de rompre avec sa politique d’arrimage avec l’euro était inattendue, sa direction ayant même rappelé, trois jours auparavant, qu’elle s’y tiendrait. Mais ce décrochage s’avérait tout de même prévisible : l’euro a perdu 15% par rapport au dollar en quelques mois, la BNS devait bien lâcher prise un jour ou l’autre. En outre, pour maintenir la parité 1,20 CHF = 1€, la BNS devait acheter des euros contre des francs suisses, et faire ainsi gonfler son bilan qui atteint désormais 80% du PIB de la Suisse ; cela ne pouvait pas continuer.

L’ampleur des réactions ne manque pourtant pas d’étonner : à la bourse de Zurich les actions chutent, les investisseurs considérant que les prix des produits exportés vont s’apprécier, alors que les grandes sociétés suisses sont largement internationalisées et seront au final peu affectées. Le secteur des montres souffrira un peu mais pas tant que ça : il est en situation de quasi monopole mondial (si on veut acheter une montre de luxe autre que suisse, on fait quoi ?). Bref, c’est au contraire la décision de la BNS de suivre coûte que coûte la politique de la BCE qui s’avérait dès le départ irrationnelle et vouée à l’échec.

L’effroi provoqué par cette décision soudaine démontre la dépendance complète des marchés envers les banques centrales. Le pétrole, qui irrigue nos économies, peut bien passer de 100 dollars le baril à 40 dollars en quelques mois, les marchés financiers absorbent tranquillement la nouvelle, tout comme la glissade de l’euro ou l’effondrement du rouble. Le net ralentissement de la croissance chinoise ne semble pas non plus les inquiéter, ni la rétrogradation de la dette italienne par S&P à BBB-, un cran au-dessus des "junk bonds".

Par contre, les déclarations de Mario Draghi et de Janet Yellen sont disséquées à la virgule près, et toute bonne nouvelle ou toute déception, du moins perçues comme telles, se traduisent instantanément sur les marchés. Et nous qui pensions que les marchés s’intéressaient à l’économie ! Non, c’est de l’histoire ancienne : les investisseurs ont compris que les prix des actifs sont gonflés à l’hélium par les banques centrales, c’est donc de ce côté qu’il faut regarder et décrypter.

Ceci dit, puisque l’on parle de pathologie, il existe en psychologie quelque chose qui s’appelle "le retour du réel", et en général ça fait mal. Cela peut être la Grèce qui fait un bras d’honneur à l’Europe, la bulle immobilière qui explose en Chine, le secteur du pétrole de schiste qui s’effondre aux Etats-Unis, ou tout autre événement qui affecte l’économie réelle, justement. Et puis le court-circuit de la BNS nous avertit aussi que même les banques centrales évoluent à l’intérieur de contraintes, et que celles-ci peuvent les pousser dans une impasse d’où elles ne sortent qu’en faisant volte-face. On imagine les dégâts si la BCE ou la Fed nous faisaient un coup "à la BNS"…

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