Après le Brexit, après Donald Trump, c’est au tour de l’Italie de prendre le contre-pied d’une "pensée unique" de moins en moins dominante. L’effet de surprise en moins car les sondages, cette fois, ne se sont pas trompés, mais la presse étrangère prend la mesure de l’événement en utilisant largement le terme "Italexit". La coalition de droite regroupant la Lega de Matteo Salvini et Forza Italia de Silvio Berlusconi arrive en tête avec 37% des voix, suivie du Mouvement 5 étoiles créé par le comique Beppe Grillo, mais emmené cette fois par le jeune Luigi Di Maio, qui obtient 32,6%. La coalition de centre-gauche du Président du conseil des ministres sortant Matteo Renzi termine troisième, à 22,8%. Les deux formations arrivées en tête étant eurosceptiques, très critiques vis-à-vis de l’euro et opposées à l’accueil des migrants, cela signifie que 70% des Italiens refusent en bloc la politique menée à Rome jusqu’ici, et à Bruxelles. Comme on dirait dans Les Tontons flingueurs, "c’est du brutal".
Oui mais voilà, nous sommes en Italie et l’instabilité gouvernementale risque de perdurer malgré ce vote très clair. En effet, la loi électorale donne la majorité à la coalition qui a dépassé les 40%, ce qu’aucune n’est parvenue à faire. Aussi bien Luigi Di Maio, leader du Mouvement 5 étoiles, que Matteo Salvini, arrivé devant Berlusconi et, donc, premier parti de la coalition de droite, revendiquent le poste de Président du conseil, mais sans disposer d’une majorité. C’est le Mouvement 5 étoiles qui détient la clé de cet imbroglio : jusqu’ici opposé à toute coalition, il semble désormais moins arrêté sur cette position, et en outre il a abandonné son référendum sur la sortie de la zone euro, rejoignant ainsi les membres de la coalition de droite, même s’ils partagent tous une forte défiance vis-à-vis la monnaie européenne. Cependant un scénario tout à fait probable est de nouvelles élections…
Et l’euro justement, va-t-il supporter ce nouveau coup de boutoir ? L’Italie est le pays européen qui possède la plus importante dette publique d’Europe, en valeur absolue (2200 milliards d’euros) et en pourcentage du PIB (132%, seule la Grèce la dépasse). C’est aussi le pays ayant le système bancaire le plus malade (hormis la Grèce et Chypre) avec 263 milliards d’euros de créances douteuses selon le dernier décompte de la BCE. Le début de remontée des taux d’intérêt va mettre l’Italie sous une forte pression.
Un graphique permet de représenter les déséquilibres croissants au sein de la zone euro, ce sont les balances Target2. Rappelons brièvement de quoi il s’agit. L’euro n’est pas une monnaie unique, contrairement à ce qu’on dit, mais une monnaie hybride ; en effet, la création de la Banque centrale européenne (BCE) ne s’est pas accompagnée de la disparition des banques centrales nationales ; elle s’y est superposée. L’ensemble forme le Système européen de banques centrales (SEBC), et des compensations financières ont lieu entres elles. Chacun peut le constater en prenant des billets dans son portefeuille : le numéro de série commence par une lettre, et il y a de fortes chances que ce soit le U si l’on se trouve en France, le S en Italie, le X en Allemagne, etc. Concrètement, quand un Italien achète une Mercedes, cela se traduit par une créance de la Banque centrale allemande sur la Banque centrale italienne. Ainsi l’Allemagne exportatrice se retrouve avec des créances croissantes sur les pays du sud qui, eux, accumulent les dettes, elle affiche ainsi un excédent de plus de 800 milliards d’euros, et l’Italie un déficit de plus de 400 milliards (cf Eurocrisismonitor). Une situation aussi divergente n’est pas tenable. En somme, l’euro ne semble pas vraiment plus gouvernable que l’Italie, comme s’il fallait attendre une vraie crise pour crever l’abcès.
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