Depuis plus d’un demi-siècle, les États-Unis ont remplacé le Royaume-Uni en tant que première puissance internationale. Leur force militaire et monétaire, les deux premières d’un pays hégémonique, reste sans égale. L’administration Biden cherche à faire perdurer cette superpuissance, mais le monde se transforme. La mondialisation est remplacée par le protectionnisme, le loyer de l’argent se renchérit, l’illusion d’un environnement mondial pacifié laisse place à l’instabilité, et la démocratie s’affaiblit jusqu’à se substituer peu à peu à l’autoritarisme.

Au premier plan, l’économie américaine donne l’illusion de la stabilité.

Une inflation toujours… persistante

Les défis internationaux se multiplient, tout comme les enjeux nationaux. Dans ce contexte émergent, où se dessine le monde de demain, l’inflation est devenue une nouvelle réalité aux États-Unis, comme ailleurs. Depuis l’arrivée de Biden au pouvoir, les prix à la consommation ont augmenté de près de 20%, avec de très fortes hausses sur le coût des produits de première nécessité. Comme prévu, l’inflation ne se réduit pas à 2% et se stabilise désormais. Les prix à la production, qui donnent une indication de l’évolution future des prix, prennent même une trajectoire haussière. Et la Réserve fédérale américaine, comme les autres banques centrales, cherche toujours à maintenir un coût réel du crédit le plus faible possible afin de limiter le poids de l’endettement. Au prix d’un appauvrissement des ménages.

D’un autre côté, si l’inflation globale reste élevée, sur le plan énergétique, le prix du pétrole reste étonnamment faible. En particulier dans une période de crise énergétique et de tensions géopolitiques. Alors que la guerre à Gaza a entraîné la mort d’au moins 36.000 âmes, les pays producteurs de pétrole tels que la Russie, l’Arabie Saoudite, la Chine et l’Iran pourraient bien décider de provoquer un choc pétrolier. Mais leurs intérêts nationaux semblent prédominer. Et de nombreux États membres de l’organisation des pays exportateurs de pétrole, tout comme ceux des BRICS, restent pour beaucoup alignés sur la position des pays occidentaux. Les États-Unis n’ont que peu de soucis à se faire sur ce plan.

Une situation budgétaire maintenue par la force du dollar

Jusqu’alors, les États-Unis ont évité la récession grâce à un soutien budgétaire sans précédent. La politique monétaire restrictive s’est substituée à des plans d’investissements massifs comme le Chips Act, l’Infrastructure and Jobs Act ou encore l’Inflation Reduction Act. Ces programmes ont permis d’accroître le volume de liquidités alors que la remontée des taux d’intérêts produit l’effet inverse. Le marché de l’emploi, dopé par ce soutien budgétaire, montre une résilience extrêmement forte. La croissance s’en retrouve renforcée. Selon le FMI, les États-Unis devraient connaître cette année une croissance presque deux fois plus importante que celle des autres pays du G7. Avec, en 2024, une croissance attendue de 2,7 %, et de 1,9 % en 2025.

Cette bonne santé économique permise par la politique budgétaire repose largement sur la confiance internationale dans le dollar. Car la forte demande de dollars dans le monde permet aux États-Unis de creuser leurs comptes publics sans que la monnaie américaine ne se déprécie. Mais cette hégémonie repose aussi sur une distribution abondante de dollars à travers le monde. Or, la remontée des taux d'intérêt limite l’accès à la monnaie américaine. Et la dédollarisation progressive du monde impose aux États-Unis, et plus particulièrement à la Fed, d'augmenter davantage ses taux d'intérêts pour que le dollar reste tout autant attractif. Cette tendance n’est pas sans conséquence : la charge de la dette ne cesse d’augmenter (les États-Unis dépassent désormais 1 000 milliards de dollars d'intérêts trimestriels), le pays enregistre une dette de 35 000 milliards de dollars et un déficit de 7,5 % du PIB.

Des défis financiers multiples

L’économie américaine fait face à une course contre le temps. Comme tout Empire condamné à une chute inévitable, les États-Unis cherchent à retarder leur échéance par l’émission de nouvelles dettes, l’instrument de contrôle du temps.

À moyen terme, la situation financière américaine ne peut véritablement s’améliorer. Ceux qui estiment que l’ère des taux d’intérêts bas et négatifs reviendra font fausse route. Si quelques baisses seront provoquées pour soutenir l’économie, la révolution des taux d’intérêts n’en est qu’à ses débuts et redéfinit les conditions du système financier américain. D’autant que les pressions inflationnistes persistantes conduisent à maintenir des taux d'intérêts élevés pendant longtemps.

Dans cette nouvelle réalité, l’administration Biden se trouve confrontée à des défis financiers aussi divers que celui de la volatilité du marché obligataire, de l'immobilier commercial, de la dette privée, de la fluctuation du dollar... Le renchérissement du loyer de l’argent accroît la pression sur les ménages et les entreprises, mais aussi sur les petites et moyennes banques qui enregistrent une violente chute de leurs bénéfices. Si le programme inédit de sauvetage, le Bank Term Funding Program (BTFP), a fourni une bouée de sauvetage au système financier américain, son rôle est désormais réduit car il a cessé d'accorder de nouveaux prêts en mars dernier.

Une volatilité en demi-teinte sur les marchés

La croissance est aussi ralentie par la concentration du système bancaire américain. La diminution progressive du nombre de banques limite l'octroi de crédits et entraîne un affaiblissement de l’activité économique et du tissu industriel. Comme les petites et moyennes banques distribuent 50% des crédits outre-Atlantique, leur diminution réduit la circulation monétaire dans l’économie.

Cette concentration atténue aussi, à court-terme, la volatilité des marchés actions. Aujourd’hui plus que jamais, les principaux indices boursiers américains reposent essentiellement sur les performances des plus grandes entreprises, ainsi que les attentes liées à l'intelligence artificielle. Les valeurs technologiques, qui ont gagné près de 30% depuis le début de l’année, portent ces indices. Près de 80% de la performance du S&P500 provient d’Amazon, Apple, Microsoft, Alphabet… Certaines entreprises comme Nvidia, désormais valorisé à 2 800 milliards de dollars, jouent aussi un rôle non négligeable et permettent de masquer les difficultés d’autres secteurs.

D’un autre côté, depuis quelques semaines, le marché international des devises se tend avec l'affaiblissement concurrentiel du yen et du renminbi notamment. Le Japon a dépensé un montant record de 9,8 milliards de yens (62 milliards de dollars) depuis début mai pour soutenir sa monnaie, qui atteint ses plus bas niveaux depuis 34 ans… Et la Chine semble vouloir orchestrer une dévaluation du renminbi pour stimuler la croissance (et ce malgré la vente croissante d’obligations américaines). Les tensions géopolitiques sont aussi une cause supplémentaire de fortes fluctuations monétaires (souvent liés d’ailleurs).

Par ailleurs, bien que les banques centrales continuent de s’aligner sur la politique monétaire de la Fed, le ralentissement économique dans de nombreux pays risque de conduire à des baisses de taux, comme le prévoit la BCE en juillet.

Le marché obligataire reste le plus sous pression. Près de 10 milliards de dollars d’obligations d’entreprises américaines de haute qualité risquent d’être réduites au rang de « junk bonds » (« obligations pourries »). Cette évolution aura une influence sur les spreads de crédits, soit l'écart du taux d'emprunt entre une société et l'État. D’autant que les États-Unis empruntent dans des conditions jamais vus depuis une décennie, avec un taux de référence à 10 ans qui atteint 4.5%, compliquant davantage la tâche de la Fed.

Cette volatilité reflète aussi les véritables attentes concernant les baisses de taux aux États-Unis. Comme l’inflation dépasse les prévisions depuis le début de l’année, les espoirs des investisseurs quant à une baisse des taux s’amenuisent. Un tel mouvement de la part de la banque centrale serait toutefois qu’une preuve de son incapacité a lutté contre l’inflation. Et serait tout autant guidé par des considérations économiques et financières que politiques, étant donné l’imminence des élections américaines.

L’incertitude politique au cœur de tous les défis

Dans le dernier rapport de la Réserve fédérale sur la stabilité financière, l’institution met en lumière différents aspects en analysant notamment la valorisation des actifs, les emprunts des entreprises et des ménages, l'effet de levier et les risques de financement. Mais le risque le plus significatif reste celui de l'incertitude politique, comme en témoignent les réponses des investisseurs. Exacerbée par l'escalade des tensions géopolitiques et la guerre commerciale menée notamment par la Chine, cette montée de l’incertitude réduit l'investissement et incite les ménages à épargner.

Cette année électorale historique, où plus de la moitié du PIB mondial est concernée par des élections, n'a toutefois pas déstabilisé les marchés pour le moment. Les principales élections ont eu lieu dans les économies émergentes, là où les candidats sortants ont le plus souvent été réélus. Les changements éventuels ne peuvent venir que des pays occidentaux, aux États-Unis, en Europe ou encore au Royaume-Uni. L’environnement politique sera d’évidence transformé mais il n’en est rien pour l’économie financiarisée. Le souvenir de Liz Truss, dont la politique thatchérienne n’aura tenu que quelques jours, a témoigné de toute l’incapacité de faire prédominer, aujourd’hui, la politique sur l’économie. Le marché est devenu si puissant que même les décideurs les plus radicaux finissent par s’incliner.

D’ici là, les perspectives économiques américaines restent scellées par la politique monétaire de la Fed, dont les choix sont guidés avant tout par la volonté de retarder une crise financière anticipée. Mais aussi par la reconfiguration des équilibres mondiaux alors que le monde se transforme à une vitesse jamais vue, et que les États-Unis craignent, aujourd’hui plus que jamais, de perdre leur superpuissance.

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