Il faut signaler cette nouvelle atteinte à la sécurité de l’épargne des Européens : le projet de scission des banques de l’Union Européenne est en train de disparaître corps et biens. Le projet n’était au départ même pas très ambitieux, par scission il fallait surtout entendre filialisation, rien de plus. La Commission voulait obliger les banques européennes à loger dans une entité distincte leurs activités de spéculation sur les marchés, de façon à les distinguer des dépôts des épargnants. En cas de perte importante ou d’accident type Kerviel, il s’agissait, autant que faire se peut, de protéger les économies des déposants.

Michel Barnier, le commissaire de la Commission précédente, s’appuyait sur le rapport Liikanen publié en octobre 2012 et qui affirmait que "le trading pour compte propre doit être assigné à une entité distincte" de façon à limiter les risques pesant sur la banque toute entière. Ce projet s’inspirait de la "Volker Rule" des Etats-Unis et du rapport Vickers (2011) au Royaume-Uni, qui défendent la même idée. Il ne s’agit pas de revenir à une séparation stricte entre les dépôts et les activités de marché comme au temps du Glass-Steagall Act, pris dans la foulée de la crise de 29 et qui dura jusque dans les années 90, mais simplement d’établir une ligne de démarcation.

Cependant, c’était encore trop pour les banques européennes, trop jalouses de leur modèle de "banque universelle" et qui ne veulent pas que l’on vienne mettre son nez dans leurs affaires. Elles pratiquent un lobbying forcené pour tuer ce texte et, malheureusement, elles sont en passe d’y parvenir. L'eurodéputé suédois Gunnar Hökmark (PPE) mène la charge à travers un rapport qui sera discuté à la fin du mois de janvier. A ses yeux, "rien ne dit que le trading soit plus risqué que le prêt bancaire", ce qui en dit long sur les compétences du personnage.

La nouvelle Commission, issue des dernières élections européennes, ne devrait pas manquer d’entériner l’enterrement de cette réforme. Les Etats-Unis inscrivent cette filialisation dans leurs textes avec le Dodd-Frank Act, le Royaume-Uni fait de même avec le Banking reform bill, mais la zone euro fait cavalier seul et préfère le statu quo. Les leçons de la crise ne sont pas tirées : depuis 2008 le nombre de banques se réduit, celles qui survivent deviennent de plus en plus grosses, au moins pourrait-on exiger que leurs activités deviennent plus lisibles et que des digues internes soient levées, mais en Europe ce ne sera pas le cas.

Voici une raison supplémentaire pour l’épargnant européen de s’inquiéter. Manifestement, la protection de son épargne ne fait pas partie des priorités de la Commission de Bruxelles, et le pouvoir du lobby bancaire demeure à son zénith puisqu’il parvient à se débarrasser d’une règle finalement relativement peu contraignante. La "banque universelle", que nos banques brandissent comme une formule magique, est surtout un modèle opaque et fragile, secret et confus, une source de risque en lui-même. Mais jusqu’ici tout va bien.

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