La Fed entame donc la réduction de son Quantitative easing (QE). De 85 milliards de dollars par mois, la "planche à billets" a ralenti à 75 milliards il y a un mois, puis à 65 milliards mercredi dernier. Pour bien comprendre ce qui se passe, il faut savoir que ce QE, lorsqu’il tournait à son rythme de croisière de 85 milliards de dollars par mois, se partageait entre 45 milliards d’achat de bons du Trésor et 40 milliards d’achat aux banques de crédits hypothécaires (MBS, Mortgage-backed security). C’est le premier poste qui diminue, et passe donc de 45 à 20 milliards, tandis que le second se maintient au même niveau.
La baisse des achats de bons du Trésor s’explique par la diminution du déficit budgétaire, qui est passé du niveau abyssal de 10% du PIB en 2009 (comme la Grèce en proportion, plus de 1.000 milliards de dollars) à 7% en 2012, avec une prévision (optimiste) de 4% en 2013-2014 (l’année budgétaire commence en septembre). Par contre, le maintien des 40 milliards d’achats de crédits hypothécaires démontre que les bilans bancaires sont encore remplis de créances immobilières douteuses que seule la Fed accepte d’acquérir.
Il faudra observer la suite et voir si Janet Yellen suivra cette inflexion de Ben Bernanke, maintenant qu’elle dirige officiellement la Fed depuis le 31 janvier, car à ce rythme (- 10 milliards par mois) le QE sera ramené à zéro cet été. Cependant les créances immobilières pourries des banques seront, au moins en partie, encore présentes ; pourront-elles le supporter seules ? Le déficit budgétaire n’aura bien sûr pas disparu cet été, l’Etat fédéral pourra-t-il se financer intégralement sur les marchés sans faire monter les taux ? Voici de lourdes interrogations.
D’autant que ce repli du QE est justifiée par Bernanke par la baisse du taux chômage (6,7%) dont chacun sait qu’il est moins provoqué par des créations d’emplois que par le découragement des chômeurs et leur sortie des statistiques. Ce repli du QE est aussi expliqué par le retour de la croissance, qui dépasse certes les 2% annuels mais demeure balbutiante. Il existe surtout un "effet richesse" provoqué par la hausse de Wall Street, mais pas de véritable redémarrage de l’investissement des entreprises… Tout ceci est bien fragile.
Ben Bernanke n’a-t-il pas fait un cadeau empoisonné à celle qui lui succède ? N’a-t-il pas enclenché une baisse pour partir avec une image positive, tout en sachant qu’elle n’était pas tenable ? Et puis cet hypothétique arrêt complet du QE laisserait entier le problème de toutes ces liquidités injectées dans l’économie à la faveur des différents plans de Quantitative easing depuis mars 2009 et qu’il faudra retirer un jour (en vendant ces bons du Trésor et ces MBS que la Fed a acheté). Le bilan de la Fed dépasse les 4.000 milliards de dollars, soit un quart du PIB des Etats-Unis, contre moins de 1.000 en 2007 avant la crise. Ces 3.000 milliards de liquidités constituent une menace pour la stabilité des prix, et pour l’économie tout court. D’un autre côté les risques demeurent, dans les bilans bancaires, dans la bulle du Dow Jones, dans l’absence de véritable reprise. Et la crise des pays émergents vient encore assombrir les perspectives. Oui, cela ressemble à un cadeau empoisonné.
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