France 5 diffusait dimanche une très intéressante série de documentaires sur le trafic de drogue. Pour l’anecdote, ce sont des Français qui en sont à l’origine, à l’époque de l’Indochine, puis ensuite vers les États-Unis via la "French Connection". Pas de quoi pousser des cocoricos… bref. Dans le troisième et dernier volet, "Sur la piste de l’argent sale", (en replay jusqu’au 6 octobre), le documentaire explique carrément (à partir de 45’) que c’est l’argent de la drogue qui a sauvé le système bancaire de la faillite lors de la crise de 2008.
Une affirmation exagérée ? Il faut rappeler que le journaliste-enquêteur Roberto Saviano, rendu célèbre avec son livre sur la mafia, Gomorra (2007), affirmait la même chose dans son ouvrage suivant, dont on a malheureusement moins parlé, "Extra pure, voyage dans l’économie de la cocaïne" (2014). Il y consacre tout le onzième chapitre.
Seuls les barons de la drogue possédaient d’énormes liquidités au moment où toutes les banques en manquaient, explique le documentaire. Le chiffre de 350 milliards de dollars blanchis durant cette période cruciale est avancé. D’anciens trafiquants passés par la case prison et désormais rangés expliquent qu’ils étaient accueillis à bras ouverts dans les succursales lorsqu’ils venaient avec des valises pleines de billets. Le directeur de l’ONU chargé de la lutte contre la drogue et le crime affirme que "pas une seule banque internationale n’a été épargnée".
Pour les banques, blanchir est une opération gagnante : les condamnations sont légères, uniquement pécuniaires, elles résultent d’arrangements négociés loin des caméras de télévision, et les dirigeants ne sont jamais inquiétés. De toute façon, selon un responsable de la lutte contre le blanchiment cité dans le documentaire, seulement environ 1% de cet argent sale est retrouvé et confisqué.
Les affaires continuent : le documentaire cite le cas du Soudan du Sud, un pays créé en 2011, un des plus pauvres du monde, et dont l’activité principale est… les banques, "en liaison directe avec le Luxembourg". Plus récemment a éclaté le scandale de la Danske Bank, la principale banque danoise, accusée d’avoir blanchi, entre 2007 et 2015, la somme faramineuse de 200 milliards d’euros ! Le directeur général a été simplement remercié, même pas déféré à la justice, l’impunité continue. Et au niveau international, il ne s’agit que d’une banque de taille moyenne…
Comme le dit gravement un intervenant du documentaire : "Cet argent a un prix, c’est l’altération des relations sociales et humaines. Parce que cet argent donne un pouvoir aux gens qui le distribuent, avec des règles du jeu qui ne sont pas les nôtres. Donc ça met en cause tout l’édifice social." On nous assomme avec la fraude fiscale, sans même parler de l’optimisation (largement compréhensible quand les impôts deviennent trop élevés), alors que la vraie menace pour nos sociétés est celle-là.
Cette menace vaut pour les banques, et donc les épargnants. Que se passerait-il en cas de nouvelle crise bancaire ? Les barons de la drogue pourraient-ils faire tomber une banque, pour faire un exemple et impressionner, comme la Fed avec Lehman Brothers ? Par-delà les coups d’éclat, une lente et profonde perversion du système bancaire est à craindre, et il n’y a là rien de rassurant.
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