Une entreprise vaut au moins ce que valent ses actifs : ses locaux (si elle est propriétaire), ses machines et équipements (au prix de l’occasion), ses créances, montant duquel on retranche ses dettes. Il s’agit de sa valeur comptable. En bourse, normalement, une entreprise vaut plus que sa valeur comptable, parce que le management utilise au mieux les différents facteurs de production et la matière grise de ses salariés pour créer de la valeur. Le tout (bien géré) vaut plus que ses parties. Il semble d’ailleurs inconcevable que la valeur d’une société soit durablement inférieure à sa valeur comptable, sinon les actionnaires aurait intérêt à la fermer, à la vendre à la découpe, et ils empocheraient alors une confortable plus-value. Pourtant ce phénomène arrive parfois, et il traduit quelque chose d’inquiétant : des "cadavres dans les placards", des bombes à retardement, des risques cachés qui sont mal identifiés et qui ferait chuter la valeur de la société si l’on s’avisait vraiment de les évaluer de façon transparente.
C’est précisément ce qui se produit pour la totalité du secteur bancaire européen. Selon une note d’UniCredit, le ratio prix sur valeur comptable (Price to Tangible Book Ratio, PTB) moyen des banques européennes approche désormais 0,5. Les banques européennes valent en bourse environ la moitié de leur valeur comptable, c’est dire la quantité de cadavres qui se trouvent dans les placards ! Un chiffre proche du plus bas atteint en 2012 lors de la crise des dettes publiques européennes.
Les situations sont très variables : seules deux banques (les nordiques KBC et Danske) peuvent se prévaloir d’un ratio supérieur à 1. À l’inverse, certaines sont vraiment mal en point comme UniCredit (0,22), Commerzbank (0,24) ou Deutsche Bank (0,26). La capitalisation boursière de la banque allemande représente seulement 26% de sa valeur comptable "officielle", celle qu’elle affiche dans son bilan, ce qui montre le peu de confiance que les investisseurs accordent à ce chiffre, et les inquiétudes qu’ils nourrissent pour les bombes à retardement logées dans ses comptes (montant gigantesque des produits dérivés, procès et amendes à répétition, mauvaise gestion, et sans doute d’autres surprises à découvrir). Les banques françaises offrent un ratio moyen de 0,36, la meilleure (ou plutôt la moins mauvaise) étant BNP Paribas (0,56).
Cette situation très malsaine démontre que la crise de 2008 n’a pas été digérée, que les risques sont sous-évalués, que la confiance n’est pas revenue, et que les marchés ne sont pas totalement dupes. Si les valeurs bancaires sont autant massacrées en bourse, il y a bien des raisons ! L’affichage de bénéfices en progression relève de la pure communication, alors que les Écuries d’Augias n’ont pas été nettoyées. D’ailleurs l’économiste en chef de la Deutsche Bank a récemment réclamé un plan de renflouement de 150 milliards d’euros pour les banques européennes, "l'Europe est gravement malade et elle doit se pencher très rapidement les problèmes existants, ou faire face à un accident" affirme-t-il. On notera avec ironie que les banques les plus mal en point (UniCredit, Deutsche Bank) ne manquent pas, à l’occasion, de lucidité sur la situation catastrophique du secteur bancaire européen, mais il n’est pas certain que cela suffise à les sauver.
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