Dans notre texte du 28 avril intitulé "Le piège de l’assurance-vie va bientôt se refermer" (à cause des taux négatifs qui laminent leurs rendements), nous expliquions que l’Allemagne avait promulgué une loi permettant de modifier les clauses des contrats de façon unilatérale au cas où les assureurs se trouveraient en difficulté. "Ce sera sans doute bientôt le cas en France…" écrivions-nous. Eh bien c’est fait !

Au détour d’un amendement à la loi Sapin 2, l’article 21 bis envisage une situation de crise sévère pour les assureurs, qui proviendrait soit d’une prolongation des taux négatifs, soit au contraire d’une forte remontée qui ferait chuter la valeur des obligations existantes ("prévenir l’apparition de mouvements de hausses excessives sur le prix des actifs de toute nature ou d’un endettement excessif des agents économiques"). Que devrait alors faire le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF), qui dépend du ministère de l’économie ? Tout simplement bloquer les contrats d’assurance-vie :

  •  "Limiter temporairement l’exercice de certaines opérations ou activités, y compris l’acceptation de primes ou versements ;
  •  Suspendre ou restreindre temporairement la libre disposition de tout ou partie des actifs ;
  •  Suspendre, retarder ou limiter, pour tout ou partie du portefeuille, le paiement des valeurs de rachat, la faculté d’arbitrages ou le versement d’avances sur contrat."

Concrètement, les clients de l’assurance-vie verraient le versement de leurs primes s’arrêter net, et ils ne pourraient plus sortir de leurs contrats pour récupérer leur argent. Tout cela "temporairement" bien sûr, le temps que la crise soit réglée… à moins, plus sûrement, qu’ils ne subissent une coupe sombre afin d’éviter la faillite des assureurs. Voici la "BRRD de l’assurance-vie", l’équivalent de la ponction des comptes bancaires pour les banques en situation de faillite.

Lors des débats en commission des finances, des députés ont dénoncé la précipitation avec laquelle cet article était inclus dans la loi :

- "Pourquoi cette affaire compliquée est-elle traitée par le biais d’un amendement du rapporteur ?"
- "Cette proposition a un impact potentiel considérable, mais comment l’analyser sérieusement alors qu’à seize heures dix, les amendements ne nous étaient pas encore accessibles ?" [il est 16h45]
D’autres ont eu des sueurs froides :
- "Cet amendement me terrorise. A-t-on le droit de restreindre aussi fortement le droit des contrats ?"
- "La rédaction de l’amendement ne serait pas différente si vous aviez décidé la fin de cette forme d’épargne que sont les contrats d’assurance vie."
Le rapporteur a clairement annoncé la couleur dès le début des débats :
- "L’amendement, élaboré en concertation avec le Gouvernement, tend à renforcer les pouvoirs du Haut Conseil de Stabilité Financière en lui donnant la faculté juridique de soumettre le secteur de l’assurance à un régime macroprudentiel contraignant, inspiré du régime macroprudentiel applicable au secteur bancaire [BRRD], en cas de risque systémique avéré."

Mais finalement l’article 21 bis sera adopté sans problème lors de cette commission et, deux semaines plus tard, en séance publique.

Les assureurs ont suivi les banquiers, les détenteurs de contrats d’assurance-vie sont désormais soumis au même régime que les clients des banques : "C’est ton argent… sauf si j’en ai besoin." Et ce besoin risque bientôt de se manifester : les taux négatifs font plonger les revenus des assureurs et écrasent les marges bancaires. On ignore quand le "grand reset" aura lieu, mais on sait désormais, sans l’ombre d’un doute, qu’il se fera sur le dos des épargnants.

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