Au cours des derniers mois, la Chine a lancé une véritable offensive en faveur des DTS tandis qu’en même temps, nous avons observé un ralentissement – mais pas un arrêt – de ses achats d’or. Qu'en penser ? S’agit-il d’un changement de stratégie des chinois, qui se tourneraient vers les DTS (de la monnaie fiduciaire) et s'éloigneraient de l’or physique ?
Plusieurs notes au sujet des DTS ont été publiées par le FMI lors des six derniers mois. La Chine a annoncé son intention de diversifier ses réserves internationales de change, du dollar US vers les DTS, et on la suspecte de s’être secrètement procuré des milliards de DTS sur le marché secondaire, via le FMI. Déjà en 2009, après la crise financière, le président de la Banque populaire de Chine (PBoC), Zhou Xiachuan, avait proposé que les dollars US soient remplacés par les DTS. Les actions et déclarations récentes de la Chine indiquent une préférence pour les DTS.
Cependant, dans un récent article, je soulignais que la Chine comprenait très bien les risques et les faiblesses associées aux DTS, et qu’elle se préparait à un échec possible des DTS en accumulant de l’or. Les DTS sont composés de quatre devises fiduciaires et, à partir d’octobre 2016, de cinq devises qui se trouvent au coeur des problèmes affectant le système monétaire international. En cas d'effondrement systémique, cette diversification sera sans valeur. Dans le même article, Zhou Xiaochuan préconisait une réforme du système monétaire international : « Le but souhaité est de créer une devise de réserve ‘supra-souveraine’ déconnectée des nations individuelles, pouvant demeurer stable à long terme, et qui éliminerait les déficiences inhérentes à l’usage de devises nationales, basées sur le crédit. » Les mots clés ici sont « déconnectée des nations individuelles », ce qui signifie déconnectée des devises locales (dollar US, euro, livre, yen, Yuan). Il a aussi parlé des DTS comme étant « la lumière au bout du tunnel pour la réforme du système monétaire international ». Il a aussi déclaré : « Nous devrions songer sérieusement à donner un rôle plus important aux DTS. Les DTS ont les caractéristiques et le potentiel pour devenir une devise de réserve supra-souveraine » SI elle est déconnectée des devises sous-jacentes.
La récente création par la Chine d’une nouvelle banque mondiale, l’Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB), pour concurrencer la Banque mondiale, contrôlée presque entièrement par les États-Unis, montre qu’elle se prépare à un conflit avec les États-Unis au cours de ce processus de « dédollarisation » du système monétaire international. La Chine cherche à obtenir le soutien de la communauté internationale pour contourner les États-Unis, au cas où les Américains feraient obstacle.
J’ai dit plusieurs fois que, pour que les DTS fonctionnent, il devait y avoir consensus au niveau international, particulièrement au G20, ou tout du moins au G5 (États-Unis, Union européenne, Chine, Russie et Japon). C'est pourquoi j’ai suivi de près les réunions du G20. À la récente réunion du G20 à Hangzhou, la Chine a montré que, derrière l’apparence de consensus, il subsiste de forts désaccords entre les États-Unis et, surtout, la Chine et la Russie.
Avant le début du sommet du G20, la Chine et les États-Unis ont montré qu'ils n’avaient nullement l’intention de faire des compromis. Ne sous-estimez pas l’importance du "scandale du tapis rouge" à l’arrivée de Barack Obama. Chaque détail d’une visite officielle est préparé minitieusement à l'avance par les agents du protocole. Obliger le président des États-Unis à descendre de son avion par une porte arrière, sans tapis rouge, est révélateur des tensions entre les États-Unis et la Chine, et d'une forte résistance des États-Unis. Les symboles sont très importants en géopolitique. Comparez cet accueil à ceux reçus par Vladimir Poutine et les autres dirigeants mondiaux.
Je pense que la Chine se sert des DTS comme une étape vers une remise à zéro du système monétaire international, et non comme une fin en soi. La Chine comprend bien les pièges et les défauts des DTS sous leur forme actuelle, comme l’a indiqué le directeur de la PBoC dans un article de 2009. La Chine comprend qu’elle ne peut y arriver seule, et elle utilise une excellente stratégie, basée sur L’Art de la guerre, de Sun Tzu, écrit il y a 2 500 ans. La stratégie vise à encercler l’adversaire en bâtissant une coalition, tout en sapant la coalition de l’adversaire, afin de l’empêcher de vous encercler. Ces deux dernières années, la Chine a signé plusieurs accords commerciaux qui visent clairement à éliminer le dollar du commerce international autant que possible, et je dirais qu’elle a bien réussi, pour le moment. Il s'agit d'un processus de dédollarisation du système monétaire international. Une récente publication sur le site du FMI au sujet du processus de dédollarisation du monde démontre le défi de taille qui se dresse devant les États-Unis et le dollar.
En dépit de son offensive en faveur des DTS, la Chine continue d’accumuler de grandes quantités d’or, pour se protéger de leur exposition au dollar US, mais aussi comme assurance, au cas où les États-Unis opposeraient un veto à la remise à zéro du système monétaire international. Il est clair que la Russie est un partenaire solide de la Chine dans ce processus de dédollarisation. Dans un article écrit l’an dernier, je disais que l’or était le talon d’Achille du dollar. Il s’agit du titre d’un chapitre de Currency Wars, un livre écrit en 2007 par un auteur chinois, Hongbing Song, qui n’a jamais été traduit en anglais, mais qui l’a été en français, langue que les dirigeants chinois comprennent bien.
La Chine sait très bien qu’un mouvement, tel que proposé par le FMI, vers « un système de réserve multidevises » basé sur les DTS, eux-mêmes basés sur les devises nationales sous-jacentes (dollar US, euro de l’Union européenne, livre britannique, yen japonais et le Yuan chinois), ne durera pas. Elle comprend aussi ce que Robert Mundell, prix Nobel d’économie, a dit dans un discours (The International Monetary System in the 21st Century : Could Gold Make a Comeback?) en 1997 :
« Les États-Unis ne parleront pas de réforme monétaire internationale… parce qu’une superpuissance n’encourage jamais une réforme monétaire internationale à moins qu’elle ne voit cette réforme comme une opportunité de détruire une menace à sa propre hégémonie. Les États-Unis ne proposeront jamais une alternative au système actuel, parce que c’est un système où ils peuvent maximiser leur droit de seigneuriage. Les États-Unis seront le dernier pays à accepter une réforme monétaire internationale qui mettrait fin à ce banquet gratuit. » Les nouveaux DTS donnent toujours un avantage, même réduit, au dollar US.
Le président russe Vladimir Poutine a déclaré aux journalistes présents au Forum économique de St-Pétersbourg en 2014 : « Pour nous, la Russie et la Chine, il est important que ces réserves d’or et de devises soient stockées de manière rationnelle et sécuritaire… et nous devons ensemble réfléchir à la manière de s’y prendre, en tenant compte de la situation difficile de l’économie mondiale. » Cela me laisse penser que la Chine et la Russie collaboreraient, et qu’elles pourraient même comploter sur le marché de l’or.
La Chine et la Russie, et même l’Inde, d’une façon différente, accumulent de l’or avec en tête un objectif d’environ 9 000 tonnes, ce qui les placerait dans le club des gros détenteurs, les Majors. Les États-Unis en ont environ 8 000 tonnes, et la zone euro, près de 11 000 tonnes. L’Inde, qui possède entre 18 000 et 30 000 tonnes d’or – en incluant l’or détenu en privé et celui des temples – essaie de le monétiser, comme la Turquie, afin d’atteindre ce même objectif de 9 000 tonnes.
On suppose que la Chine a accumulé approximativement 18 000 tonnes d’or, ces dernières années. Selon un rapport du World Gold Council, il y a près de 100 000 bijouteries en Chine, qui stockent principalement de l’or 24 carats. Le marché est dominé par des produits basiques de 24 carats, qui représentent environ 85% du marché, en volume. Selon un officiel chinois, les dirigeants chinois considèrent l’or des citoyens comme partie intégrante des réserves du pays dont on pourrait se servir en cas d’urgence. Comme vous pouvez l’observer dans le graphique ci-dessous, la Chine a accumulé de grandes quantités d’or pour ses réserves officielles de change. En Chine, tout comme en Inde, l’or est synonyme de monnaie.
En date de septembre 2016, la Chine aurait accumulé 1 828 tonnes. J’ai toujours pensé que la Chine sous-déclare ses réserves officielles d’or, et qu’elle possède déjà entre 4 000 et 6 000 tonnes sur un autre compte que celui de la PBoC, prêtes à être transférées à la PBoC lorsque ce sera stratégiquement intéressant pour la Chine. Plusieurs institutions chinoises sous contrôle de la PBoC détiennent de grandes quantités d’or. La State Administration of Foreign Exchange (SAFE) et la China Investment Corporation appartiennent à la PBoC, et elles achètent de l’or pour elle. Le Shanghai Gold Exchange (SGE) détient aussi de grandes quantités d’or, et il est aussi sous contrôle de la PBoC. De supposées banques privées, dont l’État chinois détient la majorité des parts, accumulent aussi de grandes quantités d’or. La Chine a étudié de près l’expérience de la Corée du sud qui, après la crise économique de 1997, avait demandé à ses citoyens de vendre leur or à l’État. Souvenez-vous de ce que j’ai dit plus tôt : selon un officiel, les dirigeants chinois considèrent l’or des citoyens comme faisant partie des réserves du pays.
Les deux graphiques ci-dessous montrent l’accumulation d’or par la Chine depuis la crise financière mondiale de 2008. Avec seulement 2,4% de ses réserves internationales en or, la Chine reste loin derrière la Russie et ses 16,5%, un niveau bien supérieur aux 10% recommandés par l’ancien économiste du FMI, Kenneth Rogoff.
Les réserves d’or en tant que pourcentage du PIB est une meilleure mesure de la monnaie réelle disponible pour soutenir l’économie, et laisse présager la puissance relative qu’une nation aurait si un nouvel étalon-or était introduit. Dans le graphique ci-dessous, nous pouvons constater que la Russie est en excellente position, tandis que la Chine est loin des États-Unis, de l’Union européenne, de la Russie et de la moyenne mondiale de 1,6%.
L’an dernier, la Chine et la Russie ont été les plus grands acheteurs d’or pour leurs réserves officielles. 36% des achats d’or du secteur officiel ont été effectués par la Chine. Combinés, la Chine et la Russie représentent 84% des achats d’or et, malgré un déclin en début d'année 2016, il semble bien que la Russie et la Chine continuent d’acheter d'importantes quantités d’or pour leurs réserves internationales.
Comme je l’ai dit plus tôt, les DTS ne sont qu’une étape dans la longue stratégie chinoise visant à éliminer le « privilège exorbitant » du dollar. L’or sera appelé à jouer un rôle majeur dans les négociations. Si l'obtention d'un consensus au G20 échoue, la Chine se prépare avec de l’or. L’or constitue un actif stratégique utilisé par la Chine et la Russie dans leur guerre contre l’hégémonie américaine, et il est le talon d’Achille du dollar. N’oubliez pas que les DTS seront aussi bons ou mauvais que les devises sous-jacentes. Si elles s’effondrent, les DTS s’effondreront aussi.
Comme l'indique Jim Rickards dans son dernier livre, The New Case for Gold, il existe différentes mesures de la masse monétaire (M3, M2, M1, M0). Dans une économie monétaire, ajoute-t-il, vous pouvez dire que les réserves d’or d’un pays sont la véritable monnaie. Il appelle ces réserves d’or des pays de la monnaie « M-sous-zéro ».
L’or est considéré, tant par la Chine que par la Russie, comme un atout majeur dans les négociations sur la remise à zéro du système monétaire international, et elles continueront d’en accumuler jusqu’à ce qu’elles rejoignent le club des 9 000 tonnes.
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