La rentrée s’annonce mouvementée aux États-Unis. La banque centrale américaine (Fed) devrait, pour la première fois depuis cinq ans, abaisser ses taux. Alors que le marché de l’emploi reste fragile, que le spectre d’une récession plane toujours et que la guerre commerciale accroît l’incertitude, cette décision montre surtout que le grand cycle financier démarré aux États-Unis touche à son terme.
La politique de Trump ne tombe pas par hasard. Le président américain veut contrôler l’histoire longue dans une durée aussi restreinte que celle de son mandat. En renouant avec le protectionnisme, il n’a qu’un seul objectif : préserver l’hégémonie américaine. Il sait que celle-ci décline et que sa chute est proche si rien n’est fait pour l’arrêter. De nombreux indicateurs financiers sont dans le rouge : premièrement, la dette du pays a récemment franchi les 37 000 milliards $, soit 108 000 $ par citoyen américain. Le déficit budgétaire atteint 8% du PIB, or la lente dédollarisation du monde empêche le pays de pouvoir creuser son déficit indéfiniment. Le déficit commercial s’élève lui aussi à un niveau très élevé, 1200 milliards $, ce qui signifie que les États-Unis importent désormais deux fois plus qu’ils n’exportent. Les faillites d’entreprises ont également augmenté de 20% l’année dernière, un rythme historique. Pour les ménages américains, la dette totale atteint 17 500 milliards $, un niveau jamais vu, avec des dettes sur carte de crédit dépassant un record à 1300 milliards $ et avec des taux d’intérêt moyens supérieurs à 20%. Les taux d’intérêt hypothécaires dépassent en moyenne 7%, compliquant davantage l’accès au logement, l’âge médian des acheteurs aux États-Unis étant déjà à 56 ans, alors qu’il était à 31 ans en 1981. Dans ce contexte, le taux d’épargne des ménages est évidemment retombé plus bas, à 3,5% désormais, soit au niveau de la crise financière de 2008.
De l’autre côté, la dette des uns étant l’actif des autres, les marchés américains se portent toutefois on ne peut mieux. Les deux principaux indices, le S&P500 et le Nasdaq, continuent de toucher des sommets du fait des nouvelles valeurs de croissance. Et la capitalisation boursière totale des entreprises du pays représente plus de 45 000 milliards $, soit près de 170% du PIB. Enfin, les États-Unis restent la destination privilégiée de l’épargne mondiale.
Cette financiarisation à outrance laisse toutefois des traces. Hormis les conséquences sociales et politiques, les États-Unis n’ont cessé de se désindustrialiser. Depuis plusieurs décennies, les prêts bancaires se sont essentiellement dirigés vers l’achat d’actifs financiers (immobilier, actions…) plutôt que vers l’investissement productif. Aujourd’hui, la production de biens ne représente plus que 10% du PIB du pays, le reste étant lié aux services. Or ces derniers ne produisent que très peu de valeur réelle contrairement aux biens. Un tel modèle ne peut donc être considéré comme pérenne. Pour cette raison, dans un monde où la rareté s’impose, Trump recourt au protectionnisme pour faire de nouveau du pays une puissance manufacturière.
L’ambition américaine paraît toutefois compromise, la transition d’une économie financiarisée à une économie industrialisée s’avérant, dans ce sens, difficilement réalisable. C’est bien la financiarisation du pays qui a créé sa désindustrialisation, car les capitaux se dirigent vers les valeurs les plus rentables à court-terme plutôt que vers les secteurs liés à l’investissement productif, peu rentables ou trop coûteux. Ensuite, non seulement la désindustrialisation du pays remonte à plusieurs décennie, mais les chaînes de valeur se sont parallèlement déplacées de l’Ouest vers l’Est, notamment vers les nouveaux dragons asiatiques, où le coût de la main-d’œuvre demeure particulièrement faible. De plus, la production de nombreux composants industriels cruciaux (semi-conducteurs, batteries, terres rares…) est aujourd’hui localisée majoritairement en dehors des États-Unis, notamment en Asie. D’où l’émergence, dans une course mondiale à l’accumulation, de tensions géopolitiques entre puissances, notamment entre les États-Unis et la Chine. Enfin, même dans l’industrie, la production est fortement automatisée et nécessite beaucoup moins d’emplois qu’auparavant. En 1980, l’emploi industriel représentait 20% du PIB du pays, aujourd’hui c’est moins de 8%. Chercher à ramener les anciens emplois d’usine, comme lors d’un temps révolu, constitue un objectif illusoire qui risquerait d’affaiblir la compétitivité du pays.
Cette politique pourrait toutefois recevoir le soutien de la banque centrale américaine. Avec des financements ciblés et une réorientation des crédits vers l’industrie, notamment à travers le développement des banques régionales, la Fed pourrait aider le protectionnisme de Trump. Mais la banque centrale, contrainte par les limites de son mandat, subit cette politique plutôt qu’autre chose. Alors que l’inflation ne descend plus en dessous de 2%, l’application des tarifs douaniers accentuera la pression sur les prix, ce qui va compliquer son objectif d’inflation et créer davantage d’incertitude sur les marchés. D’autant que Trump presse l’institution de baisser davantage ses taux — tout en exprimant son souhait de remplacer le président de la Fed — au risque de relancer l’inflation vers une nouvelle spirale... Les deux à trois baisses de taux attendues dans les prochains mois ne feraient qu’alimenter cette tendance.
Si l’ambition trumpiste est pleine de contradiction, sa politique ne peut toutefois être comprise que par une analyse du temps long. Dans une période où les enjeux financiers sont si forts, et où la première puissance mondiale a conscience que sa suprématie est menacée, les incohérences se mêlent à l’emploi de la force, qui devient la dernière option. C’est l’aveu d’une crise de confiance dans le pays, d’une impuissance marquée. D’où le lancement d’une guerre commerciale contre le reste du monde, des sanctions contre d’autres pays, du retrait d’organisations internationales, etc. Mais les effets pervers de ces mesures se manifestent déjà. La politique des États-Unis apparaît à bien des égards contre-productive : le dollar ne cesse de se déprécier. Alors que Trump veut renforcer l’attractivité du pays, les investisseurs étrangers s’éloignent de la monnaie américaine. À tel point que les banques centrales détiennent aujourd’hui plus d’or que de bons du Trésor américains… Et les acheteurs d’or se situent de l’autre côté de la planète, à l’Est, où ils dessinent les contours d’un nouveau monde, comme le montre encore le récent rassemblement des présidents indiens, chinois et russes lors du sommet de l’OCS, pour renforcer leurs liens.
🚨 Les banques centrales étrangères détiennent désormais officiellement plus d'or que de bons du Trésor américain, pour la première fois depuis 1996. pic.twitter.com/D8DjtLFjxl
— Or.fr (@Or_fr_) August 28, 2025
La politique américaine ne changera donc rien au fait que le pays avance dans l’illusion de la stabilité, portée par la toute-puissance de son secteur financier qui ne progresse qu’en affaiblissant les conditions globales du pays. Ce contraste a été visible dans tous les pays qui ont connu une période d’hégémonie, de l’Italie du Moyen-Âge à l’Angleterre de la Révolution industrielle en passant par les Pays-Bas lors de la Renaissance. Or, tous ont connu la même fin : un pouvoir monétaire et militaire qui s’affaiblit conjointement face à l’émergence de nouvelles puissances. Car d’une chute naît un règne, d’une crise naît une espérance, d’une création naît une destruction…
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