L’élection de Donald Trump à un second mandat marque-t-elle un tournant ? À l’échelle des États-Unis, c’est possible. Mais sur le cours de l’histoire, il y a peu de chances. Son ascension au pouvoir n’est que le miroir de l’époque actuelle, propice à une montée du nationalisme du fait des échecs de la mondialisation. Sous l’étendard du Make America Great Again 2.0, le programme économique du président réélu est donc signe de patriotisme. Il combine un protectionnisme agressif, une dérégulation massive et des réductions d’impôts ciblées. Ces Trumponomics révèlent l’image du nouveau président : combative, parfois autoritaire, mais résolument tournée vers la domination. Au-delà de l’euphorie post-élection se dessine toutefois un tableau complexe, marqué par des difficultés financières colossales, des inégalités sociales croissantes et plus largement une puissance américaine déclinante.
Les premiers jours qui ont suivi l’élection de Trump ont été placés sous le signe de l’enthousiasme. La confiance des consommateurs a connu une nette augmentation, les résultats de l’emploi sont bons et les salaires surpassent l’inflation. Les marchés financiers continuent de grimper, que ce soit le S&P, les valeurs technologiques, le bitcoin, ou encore l’ensemble des actifs de court-terme. Cette montée rappelle les années Reagan, où la dérégulation et les politiques fiscales avaient favorisé le cours des marchés.
Mais l’époque a changé. Contrairement aux années 1980, où les États-Unis dominaient un monde encore peu globalisé, le pays évolue aujourd’hui dans un contexte très différent. À l’échelle nationale, il reste frappé par des fractures sociales majeures et une fuite en avant financière, où sa stabilité intérieure dépend de la confiance internationale dans le dollar (en constante diminution) et de la puissance militaire du pays. À l’échelle internationale, l’histoire s’inscrit à rebours des États-Unis, étant donné que le monde rejette aujourd’hui plus que jamais son passé (donc la domination américaine) comme nous le fait rappeler le champ lexical en vogue : démondialisation, décolonisation, décentralisation… Les interdépendances économiques ont permis à de nouveaux acteurs de s’imposer, tels que la Chine, l'Inde ou d'autres puissances émergentes, et empêchent les États-Unis de faire la pluie et le beau temps.
Malgré tout, pour les mois et les quatre années à venir, Trump compte bien faire entendre la domination américaine. Et pour ce faire, le protectionnisme sera au cœur de sa stratégie. Les importations chinoises pourraient être soumises à des droits de douane de 60 % ou à des tarifs ciblés, tandis que d’autres partenaires commerciaux verront leurs exportations vers les États-Unis taxées à hauteur de 10 à 20 % (sur l’équivalent de 3000 milliards de dollars d’échanges) notamment pour l’industrie automobile européenne. Ces mesures vont servir à renouer avec le tant prisé « patriotisme économique » et réduire le déficit commercial américain, une obsession de longue date pour le président américain. Elles risquent toutefois d’avoir des effets secondaires très importants, aussi bien économiques que politiques. En 2018, une initiative similaire avait déjà conduit à des tensions entre la Chine et les États-Unis et une dépréciation de 10 % du yuan chinois, ce qui avait rendu les produits américains moins compétitifs. Par ailleurs, des effets sur l’inflation sont à attendre, dans un contexte où la Fed n’arrive toujours pas à s’en débarrasser. Cette hausse des prix créerait alors les conditions d’un bras de fer entre Trump et le président de la Réserve fédérale américaine, ce qui laisse penser à une remise en cause de l’indépendance de la banque centrale (Au fond, le nouveau président américain n’attend que le remplacement de Jérôme Powell en mai 2026 pour un successeur soumis à ses pressions politiques).
La politique commerciale trumpiste aura d’autres conséquences internationales. Les chaînes d’approvisionnement, déjà fragilisées par la pandémie et les tensions géopolitiques, pourraient être gravement perturbées. Les économies fortement exportatrices, comme celles de l’Allemagne ou du Japon, vont subir des pertes massives et les conséquences dans un pays comme dans un autre risque de conduire à des surenchères. Des plans de subventions massives et ciblées vont se multiplier partout dans le monde, alors que l’on assiste à une rapide réorganisation des échanges commerciaux Lors de la guerre commerciale qui avait opposé les États-Unis et la Chine en 2018, une étude du FMI avait estimé les effets indirects de ce conflit à plus de 700 milliards de dollars à l’économie mondiale. Au regard des circonstances actuelles, on peut réviser ce chiffre à la hausse d’au moins 30%... Un duel est d’ailleurs de nouveau lancé avec la deuxième économie du monde. Et face à cette menace, la Chine entend déjà utiliser de puissants leviers. Le gouvernement Xi Jinping pourrait utiliser sa position dominante sur les terres rares, essentielles à la fabrication de nombreux produits technologiques, ou encore orchestrer une dépréciation contrôlée du yuan, pour faire pression face à l’impact des taxes américaines.
Ces tensions commerciales vont accélérer la création de blocs économiques rivaux mais aussi l’affaiblissement des institutions comme l’OMC, le FMI ou la Banque mondiale. Parallèlement, les BRICS et autres pays alliés vont poursuivre la mise en place de nouvelles institutions et infrastructures internationales pour s’imposer comme leader. Dans ce nouvel ordre, quelques pays vont émerger comme des puissances, notamment les nouveaux dragons asiatiques, là où les perdants seront ceux qui ne disposent pas d’un programme de long-terme (comme en Europe) dans un monde où le pragmatisme est de mise.
L’administration Trump compte également soutenir l’industrie financière, extrêmement puissante dans le pays. Les réductions d’impôts de 2017, qui avaient déjà bénéficié aux grandes entreprises et aux ménages les plus aisés, seront prolongées d’après ses récentes déclarations. Il souhaite réduire l'impôt sur les sociétés à 20 %, voire à 15 % pour les entreprises qui produisent aux États-Unis. Ce type de mesure profitera à des acteurs très vastes, mais surtout au secteur bancaire et aux petites/moyennes capitalisations. D’autant que les conditions financières s’améliorent : la Fed assouplit sa politique monétaire, le gouvernement Trump prévoit l’allègement de réglementations antitrust (favorable aux fusions et acquisitions), et l’épargne reste très forte dans le pays. À court terme, le dollar devrait aussi se renforcer grâce aux politiques fiscales et tarifaires, mais rien ne peut faire changer la tendance baissière de long-terme, soumise par la contrainte historique et temporelle.
Dans l’ensemble, les investissements seront donc stimulés, autant que la compétitivité des industries américaines sera renforcée dans les mois à venir. Ces mesures s’accompagnent toutefois de contradictions, comme le fait que la politique migratoire prévue pour être nettement plus restrictive (objectif de réduction du flux migratoire à 750 000 entrées par an, et la possible expulsion de 11 millions de migrants sans-papiers) entraînera une forte réduction de la main-d’œuvre. Elles peuvent également avoir des impacts financiers coûteux. Face à une économie déjà fragilisée, le nouveau président américain envisage de réduire les dépenses fédérales de 2 000 milliards de dollars. Mais la situation financière américaine reste très fragile : le déficit est abyssal et la dette publique massive. En seulement quatre ans, cette dernière a augmenté de 12 000 milliards de dollars, soit l’équivalent de l’ensemble de la dette accumulée au cours des deux premiers siècles de l’histoire américaine. N’oublions pas que la dette n’a pas de parti, car le capital pas de moral. Sous le premier mandat de Trump, la dette avait continué de croître à un rythme similaire à celui de ses prédécesseurs. Aujourd’hui, elle dépasse 120 % du PIB et les seuls intérêts à payer coûtent d’ores et déjà plus de 1 000 milliards de dollars par trimestre. Cette trajectoire met en péril la stabilité financière des États-Unis tout comme elle érode la confiance dans le dollar. Quand on sait que la dédollarisation du monde s’accélère, tout laisse à croire que Trump risque d’user de nouveaux leviers pour poursuivre l’hégémonie de la monnaie américaine…
À court terme, les Trumponomics promettent donc une relance économique et un regain d’influence pour les États-Unis. Mais Trump ne peut inverser le cours de l’histoire. Or celle-ci s’inscrit sans la puissance américaine. Une montée de l’inflation face à une Fed prise dans un dilemme, une dette devenue insoutenable, une polarisation économique accrue, et des tensions géopolitiques, vont inévitablement précipiter de nouveaux chocs. Les États-Unis affichent leur ambition de rester dominants, mais le prix à payer pour la stabilité internationale est très élevé. Le monde est devenu une prison sans gardiens, et il faut se battre pour avoir les clefs.
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