Dans la seconde moitié du 20ème siècle, la Corée du Sud, Taïwan, Singapour et Hong Kong étaient communément appelés les « dragons asiatiques » en référence à leur forte croissance industrielle des décennies durant. La crise asiatique de 1997 était ensuite venue sonner le glas de ces années extraordinaires. Désormais, alors que le monde se transforme, l’Indonésie, le Vietnam, les Philippines et la Malaisie (tous membres de l’ASEAN) se différencient. Anciennement nommés les tigres asiatiques, ces quatre pays connaissent une véritable expansion économique et disposent de forts leviers de croissance, malgré le retour du protectionnisme et les tensions géopolitiques.

De nos jours, le PIB de l’Asie représente près de 30% du PIB mondial, et ce chiffre ne cesse d’augmenter. L’Indonésie, le Vietnam, les Philippines et la Malaisie (appelons « IVPM ») jouent un rôle non négligeable dans cette évolution. Leurs atouts incontournables les différencient, tant sur la scène internationale que dans la région. En particulier, ils disposent de réelles forces démographiques caractérisées par une classe moyenne consommatrice et une population relativement jeune (près de la moitié de la population est âgée de moins de 30 ans), une économie hautement digitalisée qui permet une hausse de la productivité et des relais de croissance, ainsi qu’un système éducatif en amélioration qui favorise le marché du travail. Grâce à ces ressources, ainsi qu’un positionnement géographique idoine (entre deux océans, proches d’autres États à forte croissance) et des positions diplomatiques qui jettent des ponts de compréhension, ils seront au cœur du commerce international dans les années à venir. Leurs échanges commerciaux avec certaines superpuissances dont les États-Unis, la Chine, l’Union européenne et le Japon, ne vont cesser d’augmenter. Au cours de la prochaine décennie, la croissance annuelle de ces pays « IVPM » atteindra plus de 4%.

 

Source : The Harvard Gazette

 

D’un point de vue financier, ils affichent tous des niveaux d’endettements publics et privés raisonnables. Malgré un fort recours à l’emprunt pendant la crise sanitaire, ils conservent un endettement public inférieur à 65% du PIB. L’Indonésie dispose même d’une dette publique d’environ 40% par rapport à sa croissance, en raison de l’instauration de règles budgétaires semblables à celles de la zone euro (avec une limite de déficit à 3% et de la dette à 60%), qu’elle respecte cependant. D’un point de vue économique, ils ont démontré, en 2023, une forte croissance (bien qu’en deçà des attentes) malgré le ralentissement international. L’an dernier, le PIB du Vietnam et de l’Indonésie ont progressé de plus de 5%, celui des Philippines de 6%, et celui de la Malaisie légèrement moins avec 3.8% en raison de sa plus forte dépendance à l’environnement mondial. Quant au niveau de vie par habitant, celui-ci n’a cessé d’augmenter lors des dernières décennies, contrairement à d’autres pays de la région dont la Chine et la Thaïlande, qui connaissent un ralentissement depuis plusieurs années.

 

 

De plus, malgré la forte reprise économique en 2021 et les tensions géopolitiques, l’inflation est restée globalement maîtrisée dans la région (la hausse des prix n’a dépassé 5-6% dans aucun de ces pays), signe de modèles économiques résilients.

Ils peuvent aussi compter sur une politique monétaire « raisonnable ». Les différentes hausses de taux d’intérêt depuis le déclenchement de l’inflation mondiale ont permis d’attirer des capitaux étrangers sans entraîner de fortes dépréciations face au dollar. Comme aucun de ces pays ne fait partie d’une union monétaire, cette dépréciation a favorisé la compétitivité de chacun de ces États à court-terme, et n’a que faiblement impacté l’évolution des prix. Enfin, ils affichent des taux de chômage extrêmement bas, inférieurs à 3.5%, et même proche de 0% pour la Thaïlande au regard des chiffres officiels.

Des opportunités d’investissements pour les entreprises mondiales

Avec des coûts de fabrication des plus faibles, ces nouveaux ateliers du monde apparaissent comme des opportunités d’investissements pour les entreprises mondiales. D’autant que depuis la pandémie, les problèmes logistiques, et les tensions internationales qui demeurent, de nombreuses sociétés cherchent à diversifier leurs chaînes d’approvisionnement et décident de s’implanter dans ces pays. Le ralentissement chinois et la forte hausse du niveau de vie de la classe moyenne ont aussi entraîné de profondes transformations qui leur sont favorables.

En plus du faible coût de la main d’œuvre qu’ils présentent, ces quatre pays se démarquent par des coûts énergétiques compétitifs ainsi que de nombreux avantages fiscaux, comme au Vietnam où les premières années d’installation permettent aux entreprises d’être exonérées fiscalement. De plus, leurs présences respectives dans des secteurs clés, en particulier celui du digital, attirent. Par exemple, la Malaisie, est un acteur incontournable de l’industrie des semi-conducteurs dont le marché automobile nécessite en grande quantité, et qui s’inscrit plus largement au cœur des enjeux technologiques. L’Indonésie, de son côté, investit massivement dans l’utilisation des batteries électriques, tandis que le Vietnam joue un rôle majeur dans l’industrie des appareils électroniques, en particulier des téléphones portables (Samsung Electronics y localise une de ses usines de production) et des ordinateurs. Quant aux Philippines, le programme « Build Better More » de l’actuel président comprend de lourds investissements d’infrastructures dans des secteurs très diverses, qui attirent notamment les entreprises de services qui cherchent à externaliser sur l’île.

Des ressources naturelles stratégiques

Ces pays sont par ailleurs riches en ressources naturelles stratégiques. L’Indonésie dispose des plus importantes réserves mondiales de nickel (dont l’utilisation est essentielle pour les batteries électriques) représentant 25% de la production mondiale. La Malaisie dispose d’importantes quantités de gaz et de pétrole, tandis que le Vietnam est riche en charbon, dans un monde où les énergies fossiles représentent encore 80% de la production totale.

Ils disposent aussi d’importantes ressources agricoles. L’Indonésie est notamment l’un des principaux producteurs et exportateurs de café et de cacao. Tandis que la Malaisie est le premier pays producteur et exportateur d’huile de palme et d’étain, lui permettant une influence non-négligeable dans sa politique étrangère. Grâce à de larges terres agricoles le Vietnam et les Philippines produisent, de leur côté, d’importantes quantités de riz.

Pour des raisons diverses, l’or tient une place importante dans certains de ses pays. Les Philippines et l’Indonésie sont considérés comme les États les plus riches en or, malgré des réserves toutefois peu exploitées. Au-delà de l’importance que peut avoir le métal jaune dans les traditions locales, l’or joue un rôle stratégique. Malgré des positions diplomatiques qui ne les incitent pas à augmenter leurs réserves d’or, certains entendent introduire le métal jaune dans leur système monétaire. En Malaisie notamment, le Premier ministre a émis l’hypothèse en octobre dernier d’utiliser le dinar-or comme monnaie de réserve. Aux Philippines, l’ex-président Rodrigo Duterte a fait voter, en 2019, une loi facilitant les achats d’or de la banque centrale via des négociants, dans l'objectif de « renforcer le niveau des réserves internationales, qui sont le premier rempart du pays contre les chocs économiques externes. » La banque centrale des Philippines est ainsi la plus grande détentrice d’or parmi le groupe IVPM, avec 164 tonnes dans ses réserves.

Un modèle intérieur ambitieux et résilient

Forts d’une population totale d’environ 500 millions d’habitants, des dynamiques démographiques favorables et une augmentation du niveau de vie par habitant, ils présentent tous une forte consommation intérieure (par opposition à la Chine). En Indonésie par exemple, la consommation privée représente environ 53 % du PIB et progresse à un rythme annuel de plus de 5%. Par extension, les défis auxquels sont confrontés leurs habitants (eau, transport, logement...), liés notamment à la forte urbanisation, entraînent des besoins criants en termes d’infrastructures, qui stimulent la croissance.

 

  

Une de leurs forces tient aussi dans la capacité à innover constamment afin de s’inscrire dans le monde de demain. La construction d’une multitude de smart cities (des villes intelligentes fortement digitalisées) en témoigne. Leur développement dans ces pays ne cesse de s’intensifier grâce à la création du ASEAN Smart Cities Network (ASCN). Au sein de l’association commerciale asiatique, les recettes prévues sur le marché des smart cities devraient afficher un taux de croissance annuel d'environ 12% d'ici 2028.

Malgré tout, ces pays font face à des défis majeurs parmi lesquels des inégalités parfois très élevées (en dépit d’un net recul de l’extrême pauvreté), un accès à la santé souvent compliqué, et une forte corruption chez certains d’entre eux, notamment en Philippines et au Vietnam.

Comme pour tous les États à forte croissance, la principale question reste de savoir s’ils sacrifieront ou non, à terme, leur stabilité nationale au profit d’ambitions extérieures. Les nombreux enjeux qui s’ouvrent à eux, notamment en termes sociaux et politiques, devront être privilégiés. Enfin, alors que leurs pôles financiers se développent rapidement, ils devront conserver un modèle financier stable s’ils souhaitent garder le contrôle de leur économie.

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