Par Fabien Buzzanca
L’entrée en vigueur de récents accords internationaux accentue un peu plus le retour en force de l’or au sein du système monétaire. Acheté massivement par plusieurs banques centrales ces dernières années, le métal jaune pourrait bientôt (re) devenir la proie des banques commerciales. L’économiste Philippe Herlin nous aide à y voir plus clair.
Y aura-t-il un avant et un après 29 mars 2019 pour le trading de l'or ? C'est à cette date que des accords internationaux dans le cadre des réformes de Bâle III sont entrés en vigueur. Ils modifient en profondeur les contraintes des banques en matière d'achat d'or, en mettant le précieux métal au même niveau de risque que le cash. Ou plutôt d'absence de risque. De quoi pousser les banques commerciales à une nouvelle ruée vers l'or ?
Le 29 mars dernier, l’#or a fait un retour en force dans le système bancaire et financier https://t.co/6QGPfpoVKo pic.twitter.com/hFDMDcHPuU
— Or.fr (@Goldbroker_FR) April 10, 2019
Philippe Herlin, docteur en économie du Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM), a livré à Sputnik France son analyse. Il nous parle des conséquences possibles de ces nouvelles règles bancaires. Entretien.
Sputnik France : Vous dites que le 29 mars 2019 est une date historique concernant l'or… Que s'est-il passé ?
Philippe Herlin : À cette date, sont entrées en vigueur des réglementations dans le cadre des accords de Bâle III. Cela ne fera sûrement pas les gros titres, mais c'est important. En gros, ils servent à garantir la solidité financière des banques. C'est la Banque des règlements internationaux (BRI), la banque centrale des banques centrales, qui en est à l'origine. Les accords concernent notamment les montants des fonds propres nécessaires aux banques pour résister en cas de crise. L'une des nouveautés principales depuis le 29 mars concerne l'or. Avant cette date, l'or était considéré comme un actif à risque. Quand une banque en achetait, elle était obligée d'augmenter ses fonds propres en conséquence afin de se protéger des variations de cours. Comme cela coûtait de l'argent aux banques d'acheter l'or, ce mécanisme les dissuadait de le faire. Dorénavant, l'or est entré dans la catégorie des actifs de confiance. Il est au même niveau que le dollar ou l'euro. Plus besoin d'augmenter les fonds propres en cas d'achat. Cela peut inciter les banques à se remettre à acheter de l'or. C'est un changement historique majeur.
SF : Selon vous, l'or est un actif de choix en cas de crise majeure…
PH : Lors d'un krach bancaire, la perte de confiance se diffuse à la vitesse de la lumière. Tout un tas d'actifs sont fuis comme la peste par les banques. Cela peut même concerner des obligations d'États souverains. Mais personne ne doute de la valeur de l'or. Personne ne perdra jamais confiance en l'or. C'est l'actif de confiance universel. L'autre avantage se situe au niveau de l'importance du marché de l'or. Une banque qui aurait des difficultés pourrait très facilement vendre plusieurs tonnes d'or et récupérer des liquidités rapidement. L'or est un outil extrêmement important en cas de crise, car il permet d'obtenir de la liquidité et c'est justement le manque de liquidité qui conduit aux faillites. Remettre l'or dans le jeu apporte une vraie sécurité au système bancaire et je pense que la BRI l'a compris.
SF : Les banques centrales, surtout celles des pays émergents, augmentent leurs réserves d'or à vitesse grand V depuis des années. Mais la nouveauté pourrait se situer dans l'achat massif d'or par les banques commerciales…
PH : C'est très intéressant. C'est un mouvement qui vient de loin. Les banques centrales, qui ont participé elles-mêmes à l'élaboration des réglementations de Bâle III, se sont mises à acheter massivement de l'or depuis plusieurs années. Au niveau mondial, elles étaient vendeuses nettes dans les années 90-2000 et maintenant la tendance s'est inversée. Cela concerne majoritairement les pays émergents comme la Russie, la Chine ou la Turquie. Reste qu'il s'agit d'un mouvement de fond qui semble accréditer la thèse que l'or retrouve une place de choix dans le système bancaire. Et avec Bâle III, les banques commerciales pourraient, à leur tour, se mettre à acheter de l'or. Je pense que cela serait une très bonne chose. Cela apporterait de la solidité au système. Et il en a grandement besoin. Il y a beaucoup trop de dettes et d'effets de levier.
SF : Doit-on s'attendre à une montée des cours de l'or ?
PH : C'est envisageable. Les banques centrales achètent déjà de gros volumes et si les banques commerciales s'y mettent, cela augmentera davantage la demande. L'offre est limitée. Nous produisons entre 2.000 et 3.000 tonnes d'or chaque année. Il n'y a pas eu de découverte de filon majeur récemment donc, comme dans tout marché, si la demande surpasse l'offre, les prix sont censés monter.
SF : Reste la question du trading d'or papier…
PH : C'est la manipulation des cours que l'on connaît. Quand l'or se met à monter, on constate très souvent des "drops" massifs de contrats de vente d'or papier pour inverser la tendance. C'est difficile de savoir qui est derrière. Reste qu'il est évident que les banques centrales ne veulent pas que le cours de l'or monte, pour deux raisons. Déjà, elles en achètent et ne veulent pas le payer cher. Ensuite, un cours de l'or haut montre une défiance vis-à-vis des monnaies. Mais peut-être que nous basculons dans autre chose avec Bâle III.
SF : Peut-on dire que le 29 mars 2019 marque le début du retour de l'or dans le système monétaire international ?
PH : Oui, je crois. Même si les achats massifs d'or par les banques centrales pouvaient aussi être considérés comme le début de cette période. Mais nous n'avions pas de date précise. Si les banques commerciales se mettent à acheter de l'or, elles pourront échanger cet actif et le remettre dans le circuit. Il est possible que le 29 mars représente le début de la fermeture de la parenthèse ouverte le 15 août 1971 quand le Président américain Richard Nixon a mis fin à la convertibilité du dollar en or.
Source originale: Sputniknews
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