Le décollage de l’or n’est pas dû à l’inflation : qu’elle ralentisse ne diminue donc pas le potentiel du métal précieux.
Le bilan de la plupart des actifs au cours de l’année écoulée a été plutôt médiocre. L’or est l’un des rares actifs à avoir enregistré un gain. Il ne s’agit pas d’un gain majeur, mais d’un gain malgré tout.
L’or a vraiment décollé depuis fin octobre dernier, passant de moins de 1 630 $ l’once à plus de 1 920 $ aujourd’hui. Il s’agit d’une fluctuation importante (17,8%). Que se passe-t-il ?
On pourrait dire que c’est lié à l’inflation. Le problème avec cet argument est que l’inflation est (officiellement) en baisse depuis quelques mois. Par ailleurs, l’or a semblé sous-performer massivement par rapport à la très forte inflation que nous avons connue au début de l’année dernière.
Donc, pourquoi sommes-nous en train d’assister à un pic de l’or ? La réponse la plus probable se trouve du côté des banques centrales et de la géopolitique.
Les banques centrales, et en tête celles de la Russie et de la Chine, ont acheté 399 tonnes d’or au troisième trimestre de 2022. (Les données du quatrième trimestre ne sont pas encore disponibles.)
C’est la plus grande quantité d’or jamais achetée par les banques centrales en un seul trimestre. Il représente plus de 1% de tout l’or détenu par toutes les banques centrales réunies. Si ce rythme se poursuit ou augmente, cela représenterait une augmentation de plus de 4% par an des réserves d’or des banques centrales.
L’or dans les coffres de la Chine
Jetons un coup d’œil à la Chine. L’Administration nationale des changes (ou SAFE) de la Chine a annoncé le 7 janvier que la Chine avait ajouté 30 tonnes à ses réserves d’or officielles en décembre 2022. Cette annonce s’ajoute à une annonce antérieure, selon laquelle la Chine a ajouté 32 tonnes au mois de novembre.
Ces annonces sont significatives non seulement en raison de l’ampleur de ces augmentations, mais aussi parce que c’est la première fois que la Chine annonce des augmentations de ses réserves officielles d’or depuis septembre 2019. Alors, pourquoi maintenant ?
La première chose à comprendre est que la Chine ne s’est pas contentée d’acheter autant d’or sur le marché au cours des deux derniers mois, puis de le déclarer en temps voulu. La Chine possédait cet or depuis le début. Elle l’a simplement conservé hors des livres de comptes du SAFE.
Cette annonce n’était qu’une décision politique pour permettre à l’or d’apparaître dans les comptes. Il ne fait aucun doute que la Chine possède au moins 1 000 tonnes d’or détenues de cette manière, voire beaucoup plus.
La question que les investisseurs doivent se poser n’est donc pas de savoir où la Chine a obtenu cet or (elle l’avait depuis le début), mais pourquoi elle a décidé de rendre publique une augmentation de ses avoirs désormais. Comme pour tout ce qui se passe en Chine, les véritables raisons sont cachées et les annonces publiques sont pour la plupart des mensonges.
Néanmoins, il existe des méthodes d’inférence pour comprendre ce que les Chinois préparent.
Le dollar : victime de son propre succès
Cette annonce concernant l’or intervient à un moment où la Chine et le monde entier connaissent une pénurie croissante de dollars. Il se peut que les Chinois souhaitent simplement renforcer la confiance dans leur position de réserve.
Et puis il y a la géopolitique. Beaucoup de pays souhaitent désormais ne plus dépendre entièrement de leurs réserves en dollars, les Etats-Unis ayant abusé des sanctions financières pour geler certains actifs, y compris les réserves des banques centrales de Russie, de Syrie, d’Iran, de Corée du Nord, du Venezuela, etc.
Ils s’efforcent donc de réduire leurs réserves en dollars et inventent de nouvelles formes de monnaie pour les paiements internationaux. Des pays comme la Chine, le Brésil et l’Inde se détournent du dollar de peur d’être les prochains sur la liste des sanctions.
Dans ce contexte, Bloomberg a récemment fait état d’une récente réunion de fonctionnaires et d’experts d’Asie du Sud-Est, organisée par un groupe de réflexion à Singapour. Le rapport a révélé que les participants craignaient tout autant que les Etats-Unis soient allés trop loin dans l’armement du dollar pour faire pression lors de conflits géopolitiques.
George Yeo, un ancien ministre des Affaires étrangères de Singapour, est allé jusqu’à dire que « le dollar américain est une malédiction pour nous tous ». Il a poursuivi en affirmant que « si vous armez le système financier international, des alternatives se développeront pour le remplacer ».
L’ancien ministre du Commerce de l’Indonésie Thomas Lembong a fait l’éloge des banques centrales d’Asie du Sud-Est qui ont développé des systèmes de paiement numériques utilisant les monnaies locales. Il a également exhorté les responsables gouvernementaux à trouver de nouveaux moyens d’éviter de dépendre largement du dollar américain.
« Je crois depuis très longtemps que la diversification des devises de réserve est absolument essentielle », a déclaré M. Lembong.
Même les « amis » des États-Unis en ont assez
Ce qui est étonnant dans ce rapport, c’est que les critiques de la politique américaine en matière de devise proviennent d’alliés fiables et de pays qui ont traditionnellement favorisé le dollar. Il y a eu une énorme accumulation de réserves américaines en dollars dans toute l’Asie du Sud-Est à la suite de la crise monétaire mondiale de 1997-98.
Cette politique de constitution de réserves de précaution visait à empêcher une nouvelle ruée sur les banques locales et à fournir un fonds de secours pour les importations essentielles, telles que la nourriture et le pétrole.
Aujourd’hui, cet actif ressemble davantage à un passif potentiel, car les Etats-Unis utilisent le dollar pour menacer les pays qui ne soutiennent pas la position de l’administration Biden sur l’Ukraine ou ses politiques sur la transition énergétique.
Si des pays au sein de l’Asie du Sud-Est se joignent à des rivaux sérieux comme la Russie et la Chine pour réduire leur dépendance à l’égard du dollar américain, cela ne peut que signifier un dollar plus faible et peut-être plus d’inflation à venir.
Cela signifiera également une hausse considérable des prix de l’or, car l’or est la seule alternative au dollar ou à d’autres devises comme l’euro qui puisse être utilisée comme arme contre eux.
En effet, stocker de l’or est une mesure défensive qui les protège des sanctions. L’or physique en dépôt sécurisé ne peut être gelé, saisi ou interdit numériquement. C’est de l’or, tout simplement, et c’est de l’argent bien placé dans les mains de son détenteur.
La Russie et la Chine placent un plancher sous le prix de l’or
Pour en revenir brièvement à la Chine, l’annonce de ce pays intervient quelques semaines seulement après que la Russie a annoncé qu’elle avait doublé le plafond des avoirs en or autorisés dans son fonds souverain, le faisant passer de 20 à 40%. Cela créera une demande d’environ 100 tonnes d’or au cours de l’année à venir.
Si la Chine continue d’ajouter une trentaine de tonnes métriques à ses réserves au moment même où la Russie s’apprête à acheter 100 tonnes, le prix de l’or deviendra de facto un plancher, tout en soutenant la hausse de 20% du prix de l’or à laquelle nous avons assisté depuis quelques mois.
La Russie et la Chine pourraient agir de concert pour faire comprendre au monde entier que le dollar est dépassé et que l’or est le nouvel actif de réserve fondamental (comme il l’était avant 1971). Nous pourrions être les témoins d’un tournant critique dans le système monétaire international.
En bref, la Russie, la Chine et les autres nations que j’ai mentionnées sont en train de « militariser » l’or, comme une arme dans la guerre financière en cours qui entoure la guerre en Ukraine. Comme la Russie et la Chine figurent parmi les cinq premiers producteurs d’or au monde, elles peuvent acheter de l’or dans leurs propres mines en utilisant la monnaie locale.
Cette tactique minimise leur besoin en dollars puisqu’ils paient avec de l’argent qu’ils impriment eux-mêmes. Dans le même temps, elle augmente la valeur de leur propre or, car elles privent les marchés mondiaux d’une production importante.
Pour les investisseurs en or, c’est une excellente nouvelle. Voici pourquoi…
Alors que la demande d’or s’accélère, la production mondiale totale d’or est restée stable au cours des six dernières années. La combinaison d’une production stable et d’une demande croissante exercera une pression à la hausse sur les prix de l’or. Les banques centrales sont opportunistes, et achèteront très certainement si un creux se produit.
C’est la recette d’une hausse constante des prix. Il n’est pas trop tard pour acquérir de l’or si vous n’êtes pas déjà positionné.
Source originale: La Chronique Agora
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