Points clés :

- Avec l'intelligence artificielle et la gestion passive de plus en plus de gérants sont déresponsabilisés.

- Les indices boursiers sont influencés par ces gestionnaires passifs qui se contentent de suivre la tendance.

 


Olivier Delamarche : Avec l'intelligence artificielle, on va vous sortir des aides à la gestion etc., parce qu'on ne veut surtout pas prendre la moindre responsabilité. C'est de se dire : "Bon, pourvu qu'il ne se passe rien. De toute façon, personne n'a rien décidé, puisqu'on était quinze autour de la table. Donc je pourrai toujours dire que je n'étais pas d'accord !"

Il y a autre chose que d'investir dans du Tesla, par exemple. Il y a des choses plus malignes.

Richard Détente : Ça me gêne toujours ce genre de choses, parce que les placements à la mode qui sont conseillés sont des sociétés déjà naturellement chères par rapport à leurs cours historiques. Quand on est à deux écarts types au-dessus du cours historique...

OD : Pourquoi toutes les institutions poussent sur les marchés actions ? Parce que ça leur rapporte plus de pognon, c'est tout.

RD : Sur les commissions.

OD : Évidemment.

RD : Mais pourquoi conseiller les valeurs déjà surcotées ?

OD : Parce que, comme ça, vous ne prenez pas de risques.

Qu'est-ce que fait un gérant aujourd'hui ? Déjà, sachez qu'il n'y a plus de gérants. Ça n'existe plus. Ce sont des algos, ou des comités de gestion avec 25 personnes qui ne prennent surtout pas de décisions. Car prendre une décision, c'est s'engager et faire quelque chose... C'est dangereux. Aujourd'hui, ce sont des algos.

Quand vous avez un algo qui doit répliquer un indice, plus une valeur monte, plus son poids dans l'indice monte, plus il doit en acheter. Ça n'a pas de fin. Ce sont donc toujours les mêmes qui montent.

De plus, pourquoi prendre un risque sur une valeur que les gens ont oublié, qui n'est pas une valeur phare, à la mode ? Vous allez mettre ce genre de valeur dans un portefeuille. Si ça se passe bien, c'est-à-dire que vous gagnez des sous dessus, personne ne vous dira merci. Si ça se passe mal, on va venir vous voir en disant : "Mais qu'est-ce qui vous a pris d'aller acheter cette valeur que personne ne connaît et sur laquelle vous avez perdu de l'argent ?". Donc, tout le monde fait la même chose.

C'est d'ailleurs ça qui représente un risque majeur. Le jour où il faudra sortir, tout le monde sortira des mêmes valeurs. Vous risquez d'avoir un sérieux excès à la baisse sur ces valeurs-là. Autant qu'il y a eu un excès à la hausse. C'est toujours le même principe.

Quand vous rentrez dans une valeur, il y a toujours de la liquidité. Vous avez toujours des vendeurs dans ce cas là. Mais quand vous voulez sortir, il se trouve que vous sortez tous en même temps. C'est le principe de la salle de cinéma à laquelle on met le feu : Il y a une sortie, celui qui est près de la porte arrive à sortir, les autres meurent.

RD : Lorsqu'on pense à la gestion d'un portefeuille action, on s'imagine un gars qui arrive le matin et lit ses pages saumon ou son New York Times... Après une analyse financière, il se dit : "Bon, bah, allez, telle société..." ; "Cette société se lance dans des investissements, mon portefeuille est à cinq ans pour mes clients etc."

Mais là, on est en train de dire que les gestionnaires n'existent plus. C'est un algo qui gère ça et le but est de répliquer un indice. Tesla monte, par exemple, je vais alors acheter du Tesla, parce que si l'action continue de monter, ça va suivre l'indice. Et si Tesla chute, alors l'indice va chuter aussi, donc je pourrais me cacher derrière en disant : "L'indice est tombé, mais ce n'est pas moi, je n'étais même pas là... ce n'est pas de ma faute, c'est le contexte mondial, etc."

En gros, vous êtes en train de dire que la gestion de portefeuille s'est complètement déresponsabilisée. Il n'y a plus de capitaine. J'imaginais un baroudeur de 50-60 ans qui dit : "Attendez, cette boîte il faut investir parce qu'à court terme..."

OD : Bien sûr que non. La gestion s'est industrialisée, comme l'ensemble des boîtes. Vous avez des boîtes de plus en plus grosses, de plus en plus puissantes... Le problème est que c'est ingérable...

Vous êtes une grosse boîte, par exemple la Société Générale, qui gère des centaines de fonds. Comment voulez-vous avoir une star de la gestion ? Un mec qui réfléchirait vraiment. Que va t-il se passer avec lui ? Il va gagner de l'argent et tous les autres, qui sont nuls, vont en perdre. Si vous êtes géré par celui qui en a perdu, qu'allez-vous faire ? À la fin de l'année, vous allez voir le patron de la Société Générale pour lui dire : "Pourquoi je ne suis pas géré par le mec qui gagne du pognon ?" ; "Pourquoi je suis géré par le débile du coin ?". La Société Générale est emmerdée, d'accord ? Donc, elle préfère avoir 25 nuls qu'un bon et 24 nuls. Et comme vous ne pouvez pas avoir 25 bons... fais ton choix, camarade. C'est simple.

En plus, aujourd'hui, la grande majorité des gestions, ce sont des algos, des ETF. On fait une réplique du CAC 40, ont fait une réplique du secteur "machin"... Ce n'est pas de la gestion. La majorité sont des algos qui vont gérer suivant le truc qu'on leur aura mis. Plus ça monte, plus c'est bon et donc, plus je paie. Ne demandez pas à un algo de réfléchir.

Le gérant tel qu'on l'a connu il y a 30 ans est une espèce en voie de disparition. Il y a quelques boîtes de gestion dans lesquelles vous avez des vrais gérants, mais le reste...

Tout ce qui est gestion dans les banques etc., c'est surtout : "Ne pas faire différemment des autres". Vous prenez un risque si vous faites quelque chose de différent parce que, si vous vous plantez, personne ne sera là pour vous aider. Tandis que quand vous vous plantez en même temps que tout le monde...

RD : C'est dû à quoi ? Normalement, dans une économie qui fonctionne, il y a un truc qu'on appelle la compétition qui fait que celui qui réussit gagne des clients et celui qui se plante perd des clients. Il y a une sélection qui se passe comme ça.

OD : Justement, comme ça, vous êtes dans la partie molle.

RD : D'où vient ce phénomène ? Du fait que les banques sont trop grosses et qu'au final elles sont partout à la fois ?

OD : La gestion se "Bayrouise". C'est centriste. C'est ni vert ni rouge. Ce n'est rien. Ce n'est pas simplement la gestion, mais une tendance dans tous les métiers du monde.

RD : C'est trop compliqué de prendre des risques ? Celui qui prend des risques ne gagne rien ?

OD : Non, il ne gagne rien. Il ne gagne que des coups. S'il prend des risques et qu'il gagne, on ne va pas le remercier, c'est normal.

RD : S'il bat le marché, il va gagner des clients, non ?

OD : Non, il ne gagnera pas des clients. Il va simplement continuer gentiment et puis, statistiquement, un jour il va se planter... Alors là, on ne lui pardonnera pas. Il faut être dans le moule. Si vous sortez du moule, vous prenez un risque car, en cas de plantage, tout le monde va vous tomber dessus. On vous dira : "Mais qu'est-ce qui t'a pris d'aller là-dessus ?". Si vous avez la même chose que tout le monde : "Je ne suis pas un génie, donc j'ai fait la même chose que tout le monde. On ne pouvait pas savoir et je suis désolé, vous avez tout perdu". Ça s'est passé comme ça à chaque crise. Vous dormez comme un bébé puisque vous n'êtes pas responsable.

Aujourd'hui, on voit ça dans beaucoup de secteurs, dans beaucoup de métiers, où le but est de ne pas devenir une cible quand il y a un plantage. C'est pour ça qu'on fait des comités de gestion où on trouve des gérants puis des représentants syndicaux, des gens qui n'ont jamais fait de Bourse etc. Quand une décision est prise collectivement, vous diluez la responsabilité. C'est le cas dans les banques. Vous savez qui gère tel fond à la Société Générale ? Personne ne connaît le nom du gérant ! Pourquoi ? Mais parce qu'il ne faut surtout pas le connaître. Comme ça, ils ne sont pas emmerdés. On ne veut pas une tête qui dépasse, car c'est difficile à gérer. Donc, vous avez de plus en plus, avec l'intelligence artificielle, des aides à la gestion, etc. On ne veut surtout pas prendre la moindre responsabilité : "Bon, pourvu qu'il ne se passe rien. De toute façon, personne n'a rien décidé puisqu'on était quinze autour de la table. Donc, je pourrai toujours dire que je n'étais pas d'accord !"

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