Dan Popescu : Bonjour, mesdames et messieurs, ici Dan Popescu pour Goldbroker.com. J’ai aujourd'hui le plaisir d’accueillir Egon von Greyerz. Egon est le fondateur et directeur associé de Matterhorn Asset Management et de Goldswitzerland. Il est aussi actionnaire et membre du conseil d’administration de Goldbroker.com. Egon avait prédit les problèmes actuels l’économie mondiale il y a plus de 10 ans. En 2002, alors que le prix de l’or était de $300 l’once, Matterhorn recommanda à ses clients d’investir jusqu’à 50% de leurs actifs en or physique, et de le stocker en dehors du système bancaire. Egon cumule une longue expérience et une grande connaissance du marché de l’or... et un bon timing. En fait, je ne connais pas beaucoup de personnes qui sont entrées dans le marché de l’or aussi tôt que lui. Si je me souviens bien, en 2000-2002, l’or était une « relique du passé », on annonçait la mort de l’or… bonjour, Egon.

Egon von Greyerz : Bonjour dan, même si c’est la fin d’après-midi, ici, en Suisse ! C’est un plaisir de vous parler.

Effectivement, à l’époque, il n’y avait pas beaucoup d’intérêt pour l’or, qui était à $300, après avoir été à $250. Les gens n’étaient pas intéressés par l’or pour préserver leur patrimoine. J’ai toujours été intéressé par la gestion de risque et, plus particulièrement, les pertes possibles associées à ces risques… et, pour moi, c’était évident que c’était la chose à faire. Dans les années 90’, j’ai vu que le monde allait tout droit vers un désastre financier et économique… on ne sait jamais combien de temps cela peut prendre, mais pour préserver son patrimoine, il faut se procurer une assurance avant l’incendie. C’est pourquoi, en 2002, alors que l’or était mal-aimé, sous-évalué, je pensais qu’il constituerait le meilleur moyen pour les investisseurs de protéger leurs actifs, à condition d'acheter de l’or physique et de le stocker en dehors du système bancaire.

 

Dan Popescu : Un référendum sur l'or et la banque centrale va bientôt avoir lieu en Suisse (30 novembre), et je crois que c'est un évènement très important, surtout si le ‘Oui’ l'emporte. Un sondage révélé hier semble indiquer que, si le vote avait eu lieu hier ou aujourd’hui, le résultat aurait été assez serré, avec un léger avantage pour le ‘Oui’. Comment voyez-vous ce référendum ? Je crois que la Banque nationale suisse (BNS) devra acheter plus de 1.500 tonnes d’or…

Egon von Greyerz : Je suis activement impliqué dans ce référendum parce que j'aide les personnes à l'origine de l’initiative « Sauvez l'or de la Suisse ». Évidemment, les premiers résultats sont encourageants, mais ce n'est que le début… 13.000 personnes, c’est quand même un grand échantillon… on ne sait pas si cela reflète l’opinion de tous les suisses. Pour le moment nous n'avons pas fondé le comité du ‘Oui’ à l'initiative, la campagne n’a pas encore été lancée officiellement; il y aura une conférence de presse demain (jeudi 23 oct.), à Berne, et ensuite, ce sera le lancement de la campagne traditionnelle, avec les affiches et les dépliants envoyés dans toutes les maisons, comme lors de toutes les campagnes référendaires en Suisse.

J’ai aussi suggéré, et c’est ce que nous allons faire, de faire une campagne sur les médias sociaux, et ça, ce n’est pas dans les habitudes des suisses. Car, comme nous savons, le groupe d’âge des 18-44 ans, dans le monde entier, ne lisent pas les journaux tous les jours et ne regardent pas souvent la télé, ils font tout sur leurs portables ou leurs tablettes… alors, pour atteindre les gens, il faut utiliser les médias sociaux en temps réel, comme Facebook, par exemple. Vous pouvez toucher 80% des suisses de 18 à 44 ans, uniquement via Facebook. Je parle de gens qui ont l’âge de voter. C'est un complément intéressant pour la campagne, et nous verrons bien comment cela fonctionnera.

Étant donné que la campagne n’est pas encore lancée officiellement, nous sommes relativement sereins, surtout que la population n'a pas encore vraiment pris conscience des enjeux du référendum. Vous savez, les suisses ont des affinités avec l’or, cela a toujours été une tradition de détenir de l’or en Suisse, même si ces dernières années c’est un peu moins le cas, avec toute cette impression monétaire. La Suisse a imprimé plus de monnaie que beaucoup d’autres pays.

Cette campagne est très importante pour la Suisse et elle pourrait aussi l'être pour le monde entier. Alors, nous avons hâte de voir comment vont se dérouler ces six semaines prochaines.

 

Dan Popescu : Si le vote est négatif, il n'y aura pas de changement, alors qu'un vote positif changerait beaucoup de choses. Le marché va t’il essayer d’anticiper l’achat de 1.500 tonnes d’or que pourrait effectué la Banque nationale suisse ?

Egon von Greyerz : Je crois que si le ‘Oui’ passe, cela changera la donne, pas seulement à cause de cet achat d’or. Si cette initiative qui, rappelons-le, est une initiative privée, est acceptée au référendum, elle fera partie de la constitution suisse. Le gouvernement et la banque centrale ne pourront rien y changer. Le seul moyen serait de faire un autre référendum national. Donc, c’est très important.

À propos des 1.500 à 1.700 tonnes d’or à acheter, le montant dépendant du prix de l’or et de la taille du bilan de la BNS, selon l'initiative, ils ont 5 ans pour acheter cet or. Donc ils n’auraient pas à le faire le lendemain. Mais ils devront le faire d’ici cinq ans, ce sera inscrit dans la loi. Mais ce n’est pas seulement l'achat d'environ 1.700 tonnes d’or qui est important, mais aussi le fait que cela établira une nouvelle tendance pour les banques centrales mondiales. Parce que, premièrement, et cela fait partie de l’initiative, elles voudront rapatrier leur or dans leur propre pays. Comme vous savez, la plupart des banques centrales ont aujourd’hui une partie de leur or à l’étranger, surtout à Londres, New York… un peu à paris, un peu au Canada. Dans le cas de la Suisse, 1/3 de son or se trouve au Royaume-Uni et au Canada. Et la Banque centrale de Suisse nous dit que l’on doit avoir de l’or à l’étranger, car c’est plus facile si on souhaite le vendre rapidement. Tout d'abord, les banques centrales ne devraient pas traiter l’or comme un jouet qu’elles peuvent vendre et acheter comme bon leur semble, mais elles devraient, au contraire, l’utiliser pour protéger les finances de leurs pays et leurs devises. L’argument selon lequel il faut détenir de l’or à l’étranger pour pouvoir le vendre n’est pas valide… on peut très bien le vendre depuis son propre pays.

La BNS et le gouvernement suisse sont contre l’initiative pour la simple raison qu’ils veulent faire ce que chaque gouvernement et banque centrale du monde occidental font, c’est-à-dire imprimer de la monnaie, acheter des votes… car c’est ce qu’ils font, en réalité. Tout va tellement mal, l’économie est mal en point, et ils impriment de la monnaie pour faire plaisir aux gens et acheter des votes. Et c’est ce qui arrive en Suisse, également.

Le bilan de la BNS est, en termes relatifs, bien plus élevé que celui des banques centrales européennes. Afin de garder la valeur du Franc suisse faible, ils ont imprimé plus de 400,000 milliards CHF depuis juin 2008 ! Et ce, surtout pour acheter des actifs libellés en euros et en d’autres devises… parce que leur devise est liée à l’euro (le taux plancher euro/franc suisse est fixé à 1.20).

Pendant des décennies, le Franc suisse a été une devise forte, l’économie de la Suisse a été forte. Je me souviens, quand j’ai commencé à travailler en Suisse, en 1969, le dollar valait 4,30 Francs suisses… Aujourd’hui, le dollar ne vaut que 0,90 Franc suisse. On peut donc voir qu’il y a eu une forte appréciation du Franc suisse pendant toutes ces années et, encore plus important, durant toute cette période, la Suisse a prospéré, avec une devise forte, une inflation faible et une économie forte.

Mais aujourd’hui, malheureusement, les banquiers des banques centrales, qui ont souvent été formés dans les banques d’investissement et les hedge funds, utilisent les mêmes méthodes partout, en manipulant l’économie et les devises… et ils pensent que c’est nécessaire pour garder le Franc suisse faible. Ont-ils lu leurs livres d’histoire ? Parce que, dans ces livres, c’est très clair… et ils n’ont pas besoin de chercher trés loin pour découvrir que la Suisse a prospéré avec une devise forte. Aucun pays n'a prospéré sur le long terme avec une devise faible et en imprimant une tonne de monnaie, à l’exception, à court terme, des États-Unis, car le dollar est la monnaie de réserve mondiale. Je ne dirais pas qu’ils prospèrent… mais ils arrivent à gérer une économie avec une dette monumentale. Mais comme je l’ai dit, en Suisse, le bilan de la BNS représente plus de 80% du PIB.

Et 80% du PIB, lorsqu'on compare avec la Fed, de qui l’on se plaint d’avoir imprimé trop de monnaie… la Suisse a imprimé 400 milliards de Francs suisse et la Fed $16,000 milliards, mais cela ne représente que 25% du PIB aux États-Unis. Le bilan de la Fed représente 25% du PIB alors que celui de la BNS est de 80% !

La Suisse est déconnectée, elle imprime trop de monnaie, et si jamais le Franc suisse venait à s’apprécier d'un coup, 400,000 CHF d’actifs pourraient perdre de la valeur dramatiquement… pas seulement en Francs suisses, car ils détiennent des actifs, je ne dirais pas sans valeur, mais risqués, en instruments de dette libellés en euros.

C’est vraiment malheureux pour moi, un Suisse, de voir mon pays, jadis le plus prudent et le plus conservateur au monde lorsqu'il s'agit de finance et d’économie, devenir maintenant comme tous les autres. Mais, comme je l’ai dit, le secteur bancaire est trop gros pour le pays. Les banques suisses représentent environ sept fois le PIB, ce qui les met dans la même catégorie que Chypre… et le système bancaire, là-bas, s’est virtuellement effondré. Et si les choses tournent comme en 2007-2009 – et je crois que ce sera le cas – le système bancaire Suisse sera fortement exposé, à cause de sa taille par rapport à la taille de l’économie de la Suisse.

 

Dan Popescu : Vous avez mentionné quelque chose, et j’ai reçu plusieurs questions à ce sujet ces derniers jours… comment fonctionnent les référendums en Suisse ? On m'a demandé s’il était possible, pour le gouvernement suisse, de renverser le référendum, ou d’annuler ses effets ?

Egon von Greyerz : C’est un bon point. C’est pourquoi la Suisse est un si merveilleux pays. Le pouvoir appartient au peuple. N’importe qui peut lancer un mouvement, une initiative privée comme celle-ci, qui a de l’importance à ses yeux, sur n'importe quelle question. Tout ce que vous avez à faire, et tout le monde peut le faire, est de recueillir une liste de 100,000 signataires. Si vous recueillez ces 100,000 signatures, comme dans le cas de l'initiative sur l'or, vous obtenez le droit que votre question fasse l'objet d'un référendum. Il se peut que vous ayez à attendre un an ou deux au maximum, car il y a un calendrier… mais une fois qu’une initiative est acceptée, comme je l’ai dit, elle fait partie de la constitution.

Donc, le gouvernement ne peut rien y faire; il doit accepter les termes du référendum tels qu’ils sont, sans aucune altération. Et une fois qu’il fait partie de la loi, ils ne peuvent rien y changer. La seule chose qu’ils puissent faire est de proposer un autre référendum… c’est le peuple qui décide, et non le gouvernement.

 

Dan Popescu : J’ai entendu dire qu’une campagne contre l’initiative aurait été lancée, surtout depuis ce récent sondage favorable. Comme en Écosse, le gouvernement américain et d’autres gouvernement tentent d'intervenir dans les médias… ainsi que la BNS qui se serait réveillée et aurait entamé une attaque majeure contre l’initiative…

Egon von Greyerz : Oui, vous avez absolument raison. Il n’y a pas deux camps, officiellement… il y a le camp du ‘Oui’ à l'initiative, et l’opposition, en fait, c’est le gouvernement. Officiellement, ils ne sont pas supposés faire campagne contre nous, mais ils le font. Et, ces deux dernières semaines, ils ont fait des déclarations… la ministre des finances, par exemple, a dit que l’or est un actif risqué et que, donc, il ne fallait pas en détenir.

C’est bizarre, car l’or, en Francs suisses, s’est apprécié de plus de 200%, ces dernières 15 années. Ou, dans l'autre sens, le Franc suisse a perdu 50% par rapport l’or sur la même période. Et sur 100 ans, c’est bien pire, car il a perdu 90% par rapport à l’or. La ministre ne comprend pas que c’est le Franc suisse qui est un actif risqué, et pas l’or. Mais c’est de la propagande gouvernementale… et vous avez la banque centrale qui dit que ça serait désastreux pour le pays d'avoir un Franc suisse fort, que nous devons avoir la liberté de manipuler notre devise et d’imprimer de la monnaie, et qu'il ne faut pas détenir 20% de nos actifs en or physique, comme proposé par le référendum…

Alors, oui, cette propagande a débuté, il y a quelques semaines, et elle continue, mais on n’a pas encore vu de véritables représentants du camp du ‘Oui’ dans les médias car la campagne débute officiellement demain (jeudi 23 oct.) avec une conférence de presse. Vous savez, les suisses sont très indépendants et ils n’aiment pas se faire dicter les choses par le gouvernement. Par conséquent, ce sondage est légèrement en faveur du ‘Oui’. Les gens n’ont pas écouté les doléances du gouvernement. Mais ce n'est que le début, donc on doit prendre tout cela sérieusement, car il y aura sans doute beaucoup plus de propagande de la part du gouvernement. J’espère que nous aurons l’opportunité, dans le camp du ‘Oui’, de faire valoir nos arguments de manière sensée, de façon à ce que les gens comprennent les enjeux.

 

Dan Popescu : Puis-je vous poser une dernière question ? Notre temps est limité, mais je dois vous la poser… Je voudrais savoir ce que vous pensez de la banque centrale de Chine qui accumule de l’or ? Nous n’avons rien entendu encore, mais pourrait-il y avoir une annonce des chinois (au sujet de leurs réserves d’or) qui serait peut-être aussi importante que ce référendum ? Que pensez-vous des chinois, de la banque centrale chinoise, qui achètent de l’or pour leurs réserves ?

Egon von Greyerz : C’est fascinant ce qui se passe. L’Occident est en train de perdre tout son or, la majorité de manière secrète, car les bullion banks et les banques centrales ne révèlent pas si tout l’or qu’ils ont vendu ou loué sur le marché existe vraiment… personne ne sait, car il n’y a eu aucun audit des réserves d’or des banques centrales, mais plusieurs éléments indiquent que beaucoup d’or a quitté les bullion banks et les banques centrales.

Ce qui est intéressant est que, auparavant, tout cet or était loué ou vendu/acheté par ces banques centrales entre elles, donc tout cet or restait dans les coffres à Londres. Cela s’équilibrait, car cet or appartenait toujours à quelqu’un. Mais maintenant, c’est la Chine qui est le gros acheteur, et elle prend livraison de cet or, dont une grande partie via la Suisse, car ils transforment les lingots de 400oz en lingots d’1kg, la taille que les chinois préfèrent.

Et cette tendance se poursuit… le mois dernier, j’ai vu quelques statistiques, et il y avait beaucoup d’or acheté à Londres, envoyé en Suisse pour y être raffiné avant de partir pour la Chine. Donc ça continue, et la Chine est clairement en train de construire des réserves massives d’or. Comme vous dites, nous ne savons pas combien d'or détiennent les chinois… officiellement, ils ont 1.000 tonnes, mais les estimations sont beaucoup plus élevées, de l’ordre de 3.000 tonnes, voire beaucoup plus. Et les États-Unis ne possèdent certainement pas les 8,000 tonnes qu’ils disent avoir… c’est un changement important.

Et je suis sûr qu’il y a beaucoup de double comptabilité pour l’or... le même or doit apparaître dans le bilan des banques centrales, des bullion banks et des ETF. Mais la Chine prend constamment livraison de l'or physique, et je crois qu’à un certain moment, d’ici un an ou deux, ou plus tard, le marché paniquera vraiment lorsqu’il se rendra compte qu’il n’y a presque plus d’or physique en Occident.

 

Dan Popescu : Merci beaucoup, Egon… malheureusement, c’est tout le temps que nous avons. Au nom de Goldbroker.com, je vous remercie d’avoir partagé vos connaissances du marché de l’or avec nous et j’ai hâte de vous reparler à nouveau après le référendum. Merci encore, Egon.

Egon von Greyerz : Merci à vous, et on se reparle après le référendum.

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