Tom Schoenberg and Matt Robinson

David Liew apprenait rapidement. Même pas un an après avoir débuté en tant que trader en métaux chez Deutsche Bank, à Singapour, il blaguait déjà avec un collègue sur leurs derniers gains.

"Les techniques… du maître", écrit-il dans un tchat après avoir conspiré avec un collègue pour faire bouger les prix des contrats à terme sur l’or, tandis que Liew exécutait une transaction. À plus de 50 reprises en un an, Liew et ses collègues ont utilisé de faux ordres pour manipuler les prix, une pratique illégale nommée spoofing.

Après avoir plaidé coupable à des accusations de fraude et accepté de coopérer, Liew est devenu un témoin principal du gouvernement pour les procureurs des États-Unis enquêtant sur la question de savoir si les traders de grandes banques ont conspiré pour manipuler les prix de l’argent, de l’or, du platine et du palladium. Les tchats qu’il a eu avec ses collègues – qui font partie d’un affidavit du FBI déposé à Chicago et mis sous scellé – offrent un aperçu de l’enquête ouverte il y a deux ans par le département de la justice sur les activités d’une douzaine de grandes banques.

Selon des sources proches du dossier, les États-Unis s’apprêteraient à entamer d’autres poursuites criminelles pour spoofing contre des traders de Wall Street, la manipulation s'étalant au-delà du marché des métaux précieux. En collaboration avec la Commodity Futures Trading Commission (CFTC), les procureurs de la division criminelle du département de la justice à Washington ont instruit plusieurs affaires de spoofing depuis l’adoption de la loi financière Dodd-Frank, en 2010, qui a rendu cette pratique illégale.

"La légende"

Lors de son plaidoyer, Liew a décrit la manière dont il conspirait avec d’autres traders, de sa banque et de deux autres institutions. Il se réfère à "la légende", sans mentionner de nom, d'une autre banque internationale non identifiée. Plusieurs détails sont dissimulés. Liew est décrit comme un trader de la Banque A, identifiée comme étant Deutsche Bank AG.

Selon les documents, au moins deux collègues chevronnés ont montré à Liew comment des petits ordres pouvaient être placés et retirés rapidement, faisant ainsi bouger les prix dans une direction bénéfique pour les traders ayant à exécuter des ordres de clients. Après moins de deux ans, c’était lui qui montrait aux nouveaux comment appliquer cette technique de manipulation. Selon les documents, Liew a essayé de faire bouger les prix du Chicago Mercantile Exchange (CME) plus de 300 fois, avant qu’il ne parte.

Deutsche Bank a refusé de commenter l'affaire. La banque a mis fin à une grande partie de ses opérations sur les métaux précieux depuis 2014. L’avocat de Liew, Neil MacBride, s'est aussi refusé à tout commentaire.

En parallèle de cette affaire, le CFTC a réglé une action coercitive contre Liew, en lui interdisant d’agir comme trader sur tous les marchés supervisés par l’agence.

Deutsche Bank, qui n’est pas accusée d'actes répréhensibles dans les affaires mettant en cause Liew, fait partie de la douzaine de banques dont les transactions sur les métaux ont attiré l’attention du département de la Justice américain, au début de 2015. Des investisseurs ont attaqué en justice une poignée de grandes banques, incluant Deutsche Bank, pour manipulation des marchés de métaux précieux. Dans des documents déposés devant la cour, ils ont produit des tchats électroniques démontrant que des traders de plusieurs banques ont conspiré pour trafiquer les prix de 2007 à 2013. Deutsche Bank a accepté de payer de lourdes amendes pour régler les cas impliquant des transactions d’or et d’argent.

Formation bancaire

Peu de temps après avoir rejoint la banque en 2009, Liew a suivi une formation contre la manipulation de marché. Il a aussi commencé à apprendre comment sa banque et ses traders pouvaient bénéficier d’ordres placés, mais non exécutés. Ces transactions peuvent faire bouger les prix dans une direction favorable à un trader voulant exécuter l’ordre d’un client, ou les prix des contrats à terme dans une direction favorable aux traders qui doivent fermer des positions ouvertes.

Après avoir échangé des contrats à terme sur l’argent, le 29 mars 2011, Liew écrit au trader qu’il nomme "la légende" : "Regarde l’argent… qu’un jeu d’algorithmes… j’ai essentiellement vendu… seulement grâce à de faux ordres," selon des tchats retranscrits dans l’affidavit du FBI.

"Je prends des risques"

En juin 2011, Liew a commencé à enseigner aux autres les mécanismes du spoofing. Dans un tchat avec un trader d’une institution non identifiée, Liew explique comment il utilise le trading à haute fréquence pour faire bouger le marché à son avantage : "Je ne fais que spammer… et puis j’en annule beaucoup… c’est stupide, en fait… parce que je prends des risques… mais ça fonctionne."

Le mois d’août de la même année, Liew et un collègue discutent de la loi Dodd-Frank et de leur stratégie de trading dans un tchat, et puis s’engagent dans du spoofing pour servir une position de Liew sur les contrats à terme sur l’or. "Dodd-Frank va me faire licencier," écrit-il alors.

Huit minutes plus tard, Liew écrit : "J’ai acheté de l’or pour nous… tiens-toi prêt… à en acheter un peu plus." Selon le FBI, les deux collègues ont ensuite spoofé le marché grâce à une série d’ordres. Plus tard, ils se vantent de leurs profits : "Tu es avide pour 50 cents… moi, je le suis pour 5 $... LOL", écrit Liew. Son collègue de Deutsche Bank lui répond : "Je pense que l’on a fait… beaucoup… c’est bien… ha-ha-ha."

Liew démissionna de Deutsche Bank en 2012, et en juillet de cette année écrivit un blog intitulé Pourquoi j’ai quitté mon emploi dans une banque d’investissement pour démarrer une entreprise technologique. Dans ce blog, il évoque ses trois années de trading, mentionnant qu’il "avait du mal avec certaines des choses que j’ai expérimentées ou dont j’ai été témoin."

Source originale: Bloomberg.com

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