La crise financière de 2008 a marqué le retour de l’or dans le système monétaire international – et le début des guerres de devises. 2008 est aussi l’année où les banques centrales ont cessé de vendre leurs réserves d’or et ont plutôt commencé à acheter. Dans ces guerres de devises qui déboucheront sur une remise à zéro du système monétaire international, cinq pays jouent un rôle majeur, mais chacun de manière différente. Les deux plus gros concurrents sont les États-Unis et la Chine. Les États-Unis sont les seuls à être opposés à l’or, et la Chine en est la plus en faveur. Cependant, la Russie a aussi fait de l’or une arme importante contre les États-Unis, et surtout depuis que l’Occident, sous le leadership des États-Unis, a imposé des sanctions financières et économiques à la Russie. Les deux autres acteurs importants, grâce à une détention d’or plus importante et une attitude beaucoup plus favorable envers l’or, sont l’Union européenne/zone euro et l’Inde (la détention privée d’or en Inde est largement supérieure aux réserves officielles d’or).
Les symboles et les images jouent un rôle très important en géopolitique et, comme on dit, « Une image vaut mille mots. » On ne voit pas souvent un leader mondial poser intentionnellement, de façon si ouverte, avec un lingot d’or, comme l’a fait récemment le président russe, Vladimir Poutine, et son premier ministre, Dimitri Medvedev.
À la réunion du G8 à Aquila, en Italie, le président de l’époque et désormais vice-président, Dimitri Medvedev, a montré aux journalistes un échantillon d’une pièce d’or d’une devise supranationale, qu’il a nommé « la future monnaie commune mondiale. » La Monnaie royale de Belgique a créé la pièce, et une édition spéciale en or fut offerte en cadeau aux leaders du G8. Et le président Medvedev était plus qu’heureux face aux médias en présentant la pièce.
Le symbole en or de la banque centrale de Russie n’est pas une coïncidence, selon moi. L’expert russe en métaux précieux, Dimitri Balkovskiy, a dit que « Elvira Nabiullina, récemment nommée à la Banque de Russie, connaît bien Ludwig von Mises et est bien connue des cercles libertaires de Moscou » (von Mises et les cercles libertaires sont favorables à l’or).
Elvira Nabiullina, présidente de la Banque centrale de Russie, a déclaré en 2015 que « les événements récents nous ont contraints à revoir certaines de nos opinions concernant les réserves d’or suffisantes et confortables. »
Lors d’une interview récente sur CNBC, Mlle Nabiullina a émis ce commentaire au sujet de l’augmentation des réserves d’or de la Russie : « Nous nous basons sur les principes de diversification de nos réserves étrangères, et nous avons acheté de l’or, non seulement l’an dernier, mais aussi les années précédentes. Notre industrie aurifère est très bien développée et est à même de nous fournir de l’or. » Dimitri Tulin, en charge de la politique monétaire de la Banque centrale de Russie, a dit récemment que « le prix de l’or est volatile, mais, d'un autre côté, l’or offre une garantie à 100% contre les risques légaux et politiques, » et que la Russie augmentait ses réserves d’or pour se protéger des « risques politiques ».
Le président russe Vladimir Poutine a déclaré, en 2011 : « Ils (les États-Unis) vivent au-dessus de leurs moyens et transfèrent une partie du poids de leurs problèmes sur l’économie mondiale… Ils vivent comme des parasites de l’économie mondiale avec leur monopole du dollar. » Il a aussi, récemment, indiquer à des journalistes au Forum économique 2014 de St-Pétersbourg : « Pour nous (la Russie et la Chine), il est important d’entreposer ces réserves (d’or et de devises étrangères) d’une manière rationnelle et sécuritaire… et nous, ensemble, devons réfléchir à la manière d’y parvenir, en gardant en tête la situation précaire de l’économie mondiale. » Evgeny Fedorov, législateur pour le parti Russie unie de Poutine dans la Chambre basse du parlement, a dit : « Plus un pays possède d’or, plus il sera souverain s’il arrive une catastrophe avec le dollar, l’euro, la livre ou toute autre devise de réserve. »
À l’aide de quelques graphiques, analysons les agissements de la Russie sur le marché de l’or depuis 2008. À titre de comparaison, j’ai choisi de comparer les cinq plus gros détenteurs officiels d’or, soit les États-Unis, l’Union européenne, la Russie, la Chine et l’Inde, et deux acteurs plus petits, un pays développé et un en voie de développement, tous deux intéressants : la Suisse et le Liban. Le graphique ci-dessous montre clairement que l’accumulation d’or par la Russie pour ses réserves étrangères a débuté durant la crise de 2008. De seulement 400 tonnes, la Russie a plus que quadruplé ses réserves d’or ces dernières sept années.
Selon Julian D.W. Phillips, de Gold Forecaster, Vladimir Poutine, durant son premier mandat comme président, a demandé à ce que la Russie détienne 10% de ses réserves étrangères en or. Comme vous pouvez observer dans le graphique ci-dessous, la Banque de Russie a atteint cet objectif et détient maintenant 13,1% de ses réserves étrangères en or, tout en continuant d’acheter.
Le graphique suivant montre clairement que la tendance de convertir les réserves de devises en réserves d’or a débuté en 2008, et qu’elle s’accélère, même, depuis que des sanctions occidentales ont été imposées à la Russie, en 2014.
La Banque de Russie achète l’or de la production locale, mais elle ne l’achète pas intégralement. Selon Thomson Reuters GFMS, la production aurifère de la Russie en 2014 fut la troisième plus grande, avec 262,2 tonnes, et, selon Statista, la Russie est aussi le troisième pays en termes de réserves aurifères, avec 5 000 tonnes, après l’Australie et l’Afrique du Sud.
Dans le graphique ci-dessous, on peut voir clairement que la Russie a augmenté sa production aurifère de façon constante depuis l’effondrement de l’Union soviétique.
Si nous jetons maintenant un coup d’œil sur les réserves officielles d’or en tant que pourcentage du PIB, nous pouvons voir que la Russie a dépassé les États-Unis et se trouve maintenant au second rang, derrière la zone euro, parmi le groupe des cinq acteurs importants du système monétaire international, avec 2,8%, versus les États-Unis (1,8%), et la zone euro, en première place avec 3,2%.
Cependant, si nous observons les réserves d’or sous un autre angle, sur une base de réserves d’or par habitant, on peut voir que la Russie est au troisième rang avec 9,5%, loin derrière les États-Unis et la zone euro.
En me basant sur des recherches récentes, j’ai la ferme conviction que la Chine, la Russie et l’Inde ciblent le montant des réserves des États-Unis et de l’Union européenne, entre 8 000 à 11 000 tonnes. J’en conclus que la Russie, mais aussi la Chine et l’Inde, veulent joindre le « club des 9 000 tonnes d’or ».
Cela étant dit, je dois vous avertir que ces chiffres sont fortement contestés. La Chine et la Russie, toutes deux, pourraient bien détenir beaucoup plus d’or sous contrôle de l’État, mais détenu par des institutions, qui pourrait, en temps opportun, être transféré à la banque centrale. La Chine l’a fait en 2008 et 2015, et l’Arabie Saoudite l’a fait en 2007. De manière inattendue, avec un simple transfert comptable, elle annonça une hausse soudaine de ses réserves d’or officielles. La Chine achète son or via la SAFE (State Administration of Foreign Exchange) et la China Investment Corporation (CIC), tandis que la Russie le fait via Gokhran. Ce jeu de manigances financières du type « l’or est ici… non, il est ailleurs » n’est pas joué uniquement par la Chine et la Russie, mais aussi par les États-Unis, entre le département du Trésor, la Réserve fédérale et l’Exchange Stabilization Fund (ESF).
Je m’attends à ce que les guerres de devises s’intensifient cette année et que la Chine et la Russie y jouent un rôle majeur. Ces deux pays ont fait de l’or une arme importante dans leur guerre contre le pouvoir « hégémonique », comme les Chinois aiment bien appeler le dollar US. La collaboration entre la Russie et la Chine s'est renforcée, l’an dernier, dans plusieurs secteurs, y compris l’or. Je ne serais pas surpris d’apprendre qu’ils collaborent sur les réserves d’or officielles mais, pour l’heure, ce n’est que spéculation de ma part. Dès avril, la Chine aura son Yuan Gold Fix, basé sur des mesures métriques d’or, et je m’attends à ce que la Russie y participe. La Bourse de Moscou a lancé sa première plateforme pour les métaux précieux en 2015. La Bourse de Moscou entend réaliser le transport des métaux précieux depuis les producteurs, les conserver dans ses propres coffres et effectuer la livraison à l’acheteur le jour suivant.
Il faut savoir que la Russie n’est pas novice sur le marché de l’or. Durant l’ère communiste, l’Union soviétique était un acteur majeur sur le marché de l’or, premièrement via la Moscow Narodny Bank, à Londres, jusqu’en 1970, et puis via la Wozchod Handelsbank, à Zurich. Cette dernière a fait office de banque de négoce d’or pour la Russie depuis 1966 jusqu’à récemment.
Il m’est évident que la Russie et la Chine utilisent l’or pour détrôner le dollar US de sa position « hégémonique » et lui enlever son « privilège exorbitant ». Est-ce pour cette année ? Les Russes sont impatients, mais les Chinois sont très patients. Cependant, des événements hors de leur contrôle pourraient accélérer le processus et forcer une remise à zéro du système monétaire international plus tôt que prévu, même si la Chine préférerait un chemin moins cahoteux. J’entends souvent, à ma surprise, de gens hautement éduqués, que ni la Chine, ni la Russie n’oseraient se débarrasser de leurs obligations du Trésor ou de leurs dollars, ou encore d’arrimer leurs devises à l’or. Ce qu’ils ignorent, intentionnellement ou non, est que l’histoire est remplie de décisions politiques supposément illogiques allant à l’encontre des diktats économiques prises par les leaders mondiaux, y compris les États-Unis.
Avec cette nouvelle Guerre froide, ces guerres de trésor, de devises, d’or… tout est possible. L’idée selon laquelle ils n’oseront pas vendre leurs bons du Trésor et leurs dollars est peut-être valide, en théorie, mais pas en réalité. L’accumulation d’or par la Russie et la Chine n’a rien d’innocent. Elle se fait avec l’intention mûrement réfléchi d’éliminer le « privilège exorbitant » du dollar US. Leur plus grand allié est, en fait, les États-Unis, avec leur déni de leur dette gigantesque et leur problème de déficit. Cela fonctionnera-t-il ? Nous verrons et, je le crois, plus tôt que tard. Pour le moment, je pense que la Russie a réussi à diminuer de façon substantielle les effets négatifs des sanctions occidentales, a évité l’isolement international, et sa stratégie envers l’or est bien exécutée, du moins jusqu’à maintenant, en achetant à bas prix. La Russie a un bas ratio dette/PIB, à 18,4%, et, selon John Butler, auteur de The Golden Revolution et du Amphora Report : « Au prix courant du marché, les réserves d’or de la Russie pourraient soutenir un énorme 27% de toute l’offre de roubles. »
L’expert russe en métaux précieux, Dimitri Balkovskiy, dit : « L’ancienne Union soviétique considérait l’or et l’argent comme des métaux stratégiques et une question de sécurité nationale. » Et, si l’on se fie aux déclarations récentes, les images publiques et aussi les actions entreprises, c’est aussi le cas de la Russie d'aujourd'hui.
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