Par Peter Korzun
Le gouvernement turc a pris la décision de rapatrier toutes ses réserves d'or stockées à la Fed de New York, soit 220 tonnes, d'une valeur de 25,3 milliards $.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan a durci sa position contre le dollar, déclarant que les prêts internationaux devraient être faits en or au lieu de la devise américaine. Ankara cherche à réduire sa dépendance vis-à-vis du système financier américain. Le rapatriement des réserves d'or a été en partie motivé par les menaces de Washington d'imposer des sanctions contre la Turquie en réponse à sa décision d'acheter des systèmes de défense antimissile russes S-400.
Cette décision spectaculaire reflète une tendance plus globale.
Le Venezuela a rapatrié son or des États-Unis en 2012. En 2014, les Pays-Bas ont également récupéré 122,5 tonnes d'or entreposées dans des coffres américains. L'Allemagne a transféré 300 tonnes d'or en 2017. Il a fallu quatre ans à Berlin pour boucler l'opération. L'Autriche et la Belgique ont examiné la possibilité de prendre des mesures similaires.
Peu de gens croient aux garanties du Trésor américain selon lesquelles les 261 millions d'onces (environ 8 100 tonnes) de réserves d'or officielles, entreposées à Fort Knox et ailleurs, ont bien été vérifiées et comptabilisées. La Réserve fédérale n'a pas réalisé d'audit complet et indépendant depuis l'époque d'Eisenhower, dans les années 1950. Le gouvernement et le Congrès ont toujours résisté aux pressions en faveur d'un audit des réserves d'or des États-Unis. Personne ne sait si l'or est vraiment là. Et si les coffres étaient vides ? Mieux vaut rapatrier son or tant qu'il en est encore temps, plutôt que de continuer à se poser la question.
Même si les États-Unis détiennent la quantité d'or qu'ils prétendent, une grande partie des barres sont d'une faible pureté et ne sont pas conformes aux normes de l'industrie, donc invendables sur le marché international. Pendant que des pays retirent leur or de la Fed, la Russie et la Chine augmentent leurs réserves, dans le but de créer des monnaies adossées à l'or et mettre fin à la domination du dollar.
Le statut de monnaie de réserve internationale du dollar est contesté. Il fait face à une rude concurrence. Les tarifs douaniers, introduits par l'administration américaine comme instrument de coercition contre d'autres pays, ne suffisent pas à soutenir le billet vert, qui pourrait bientôt faire face à des vents contraires. La possibilité d'une guerre monétaire internationale n'est pas exclue. Cela incite les investisseurs à rechercher d'autres options. Pourquoi d'autres pays devraient-ils compter sur un dollar qui n'est pas soutenu par de l'or, ou rien d'autre que "la bonne foi et le crédit du travailleur américain", alors que l'Amérique elle-même n'inspire pas confiance à l'international ?
Par exemple, le yuan chinois gagne du terrain. La Russie, la Turquie et l'Iran étudient la possibilité d'effectuer des paiements dans leurs devises nationales. L'Iran a récemment annoncé qu'il passait du dollar à l'euro pour ses échanges commerciaux. La Russie et la Chine ont conclu un accord bilatéral d'échange de devises pour éviter les règlements en dollars.
La volonté de réduire la dépendance à l'égard du dollar a été provoquée par l'utilisation de sanctions économiques comme arme politique. Même les plus proches alliés des États-Unis sont menacés par ces mesures restrictives. La récente attaque contre le projet gazier Nord Stream 2 est un bon exemple. Il est naturel que certains pays tentent de résister à ce chantage politique. Utiliser des devises alternatives et rapatrier l'or sont des moyens d'y parvenir.
L'Amérique s'est toujours opposée à de telles initiatives. Peu importe la méthode appliquée.
Le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi a été renversé et tué après avoir eu l'idée d'établir un dinar or comme monnaie au Moyen-Orient et en Afrique. L'Iran a récemment interdit l'utilisation du dollar américain dans le commerce. Le pays refuse de vendre son pétrole dans la devise américaine. Le président Trump est susceptible de casser l'accord sur le nucléaire iranien, ce qui pourrait pousser Téhéran à relancer son programme.
Un conflit armé avec l'Iran est beaucoup plus proche qu'on ne le croit. L'accord nucléaire a été honoré, à la satisfaction de tous, mais au grand dam de Washington. L'Iran ne dispose certainement pas d'une capacité militaire susceptible de menacer les États-Unis. Le pays du président Hassan Rouhani n'est pas accusé d'actes terroristes commis à l'étranger ou d'autres choses du genre. Mais il a fait quelque chose d'impardonnable aux yeux des États-Unis. Il a menacé le dollar. Washington ne peut accepter cela, car si le dollar n'est pas soutenu, il y aura des problèmes pour financer l'énorme dette fédérale américaine. Une guerre avec l'Iran éliminerait le plus grand exportateur de pétrole hors-dollar. Une chose mène à une autre. Les rapatriements de réserves d'or sont les signes annonciateurs d'une guerre des monnaies et d'un conflit armé. C'est l'un des facteurs déterminants de la politique étrangère des États-Unis.
Source originale: Strategic-culture
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