À l’aide des excellents graphiques sur les importations/exportations d’or de Nick Laird (www.sharelynx.com), j’aimerais vous montrer où va l’or. Nous entendons dire depuis longtemps que l’or part vers l’Extrême-Orient, mais est-ce son unique direction ? Commençons par les États-Unis : il est clair que l’or sort du pays. Dans le premier graphique, on peut observer qu’au moins depuis 1996, les États-Unis exportent l’or chaque année. Même au plus haut du marché de l’or, alors que le prix dépassa brièvement 1 900 $, les exportations d’or américaines dépassaient les importations. Cependant, selon Nick Laird, si vous ajoutez leur production aurifère, les États-Unis sont dans une position neutre. Donc leurs importations, additionnées à leur production, sont égales à leurs exportations et ce, depuis les 18 dernières années.
Graphique #1 : États-Unis : Importations d’or moins les exportations
Est-ce la même chose en Europe ? Contrairement à ce que vous pourriez penser, l’or transite effectivement d’Ouest en Est, mais une partie ne fait pas l'intégralité du voyage vers l’Inde ou la Chine : elle s’arrête en Europe. J’ai toujours distinguer l’Amérique du Nord (États-Unis et Canada) et l’Europe. Dans le second graphique ci-dessous, on voit que les banques centrales européennes ont cessé de vendre de l’or en 2008, ce qui coïncide avec la crise financière qui a failli détruire le système financier international. Il est intéressant de noter qu’elles n’ont pas recommencé à acheter, même si nous avons entendu cette année que plusieurs banques centrales européennes étaient favorables à l’or. Au cours du dernier trimestre, la banque centrale d’Italie a publié une étude très positive sur la valeur de l’or comme actif de réserve. L’an dernier, Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne, en réponse à une question sur l’or, déclara sans hésitation : « Pour les banques centrales, l’or est une réserve de sécurité. Le pays le voit ainsi. Dans le cas des pays qui n’utilisent pas le dollar, l’or protège la valeur de leurs devises contre les fluctuations du dollar... » Peut-on s’attendre à un changement d’attitude de la BCE envers l’or et à des achats ? Cela ne me surprendrait pas.
Graphique #2 : CBGA - Accords de la Banque centrale européenne sur les ventes d’or
Le graphique suivant démontre clairement que l’Europe a importé plus d’or qu’elle n’en a exporté depuis le bas du prix en 1999. Le plus bas prix de l’or en dollars a été enregistré le 20 juillet 1999, au London Fix de l’après-midi, à 252,80 $. Les exportations ont commencé à dépasser les importations seulement en 2013, et elles baissent depuis. Je m’attends à ce que les importations européennes dépassent encore les exportations en 2016.
Graphique #3 : Total des importations d’or de l’Union européenne moins les exportations
La Suisse et la Roumanie spnt deux cas intéressants et particuliers en Europe.
Dans le graphique #4, nous pouvons voir que, depuis les années 60, la Suisse importe plus d'or qu'elle n’en exporte. Cependant, ce qui est encore plus intéressant est le niveau élevé d’importations par rapport aux exportations dans les années 70 et depuis 2008.
Les deux périodes correspondent à des crises financières et monétaires majeures. La Suisse a une excellente réputation dans la préservation de richesse et, en particulier, de l’or. La Suisse est reconnue pour son environnement stable politiquement, économiquement et socialement. Cela explique en grande partie la pression que subit la Banque nationale suisse pour endiguer le flot de capitaux entrant en Suisse. Gilles Labarthe, journaliste et ethnologue suisse, a dit : « La Suisse est à l’or ce que Bordeaux est au vin. » (lire "Le rôle de la Suisse dans le marché de l'or"). La Suisse, selon Nick Laird, a 7 930 tonnes nettes d’or, dont 1 040 tonnes de réserves officielles. Je spécule qu’il pourrait y avoir bien plus d’or non comptabilisé caché dans les Alpes.
Graphique #4 : Importations d’or en Suisse moins les exportations
À l’autre extrême en Europe, mentionnons le cas de la Roumanie. La Roumanie, avec un PIB de seulement 199 950 millions $, n’est pas aussi riche que la Suisse, qui a un PIB de 703 853 millions $. Cependant, la Roumanie possède beaucoup d’or dans ses réserves officielles (103,7 tonnes). Selon Romania-insider.com : « La Roumanie est un des pays avec le plus de réserves d’or par habitant (5,5 gr d’or par habitant), et la devise locale est adossée à 60%-70% sur l’or, a dit le gouverneur de la banque centrale, Mugurisarescu. » Lors d’un récent voyage en Roumanie, j’ai aussi été surpris par une campagne publicitaire, dans un bureau de change, visant à vendre des lingots d’or au public.
La Russie est un grand producteur d’or, donc je m’attends à ce qu’elle exporte un peu d’or mais, en regardant le graphique #5, nous pouvons clairement voir les achats massifs d’or de la Banque centrale de Russie depuis la crise financière de 2008, ainsi qu’une accélération de ces achats depuis le début de la nouvelle Guerre froide et des sanctions imposées par les États-Unis et l’Union européenne. Depuis 2008, la Russie a quadruplé ses réserves officielles d’or. La Russie achète la grande partie de ses réserves d'or aux minières russes.
Graphique #5 : Achats d’or de la Banque centrale de Russie
Si on se tourne vers l’Asie, nous voyons une forte demande d’or de l’Inde et de la Chine. Les restrictions à l’importation imposées par le gouvernement indien n’ont pas endigué le flot d’or vers l’Inde. Selon les estimations, l'Inde détient approximativement 18 000 tonnes d’or, la majeure partie étant détenue en mains privées, et environ 557,7 tonnes seraient détenues par la Federal Reserve Bank of India. L’or détenu par les particuliers indiens représente environ 10% de tout l’or hors terre au monde. D’autres estimations vont encore plus loin, aux alentours de 30 000 tonnes. Un Français qui visitait l’Inde, François Bernier, écrivait il y a 360 ans : « Il est important de noter que l’or et l’argent, après avoir circulé dans tous les coins du monde, finit par être absorbé en Hindoustan. » Pline, l’historien romain, se lamentait, il y a 1 800 ans, que l’Inde, « l’égout des métaux précieux », vidait Rome de son or… cela résonne encore aujourd’hui.
Graphique #6 : Importations d’or de l’Inde
Les deux pays, l’Inde et la Chine, sont des importateurs nets d’or. La Reserve Bank of India a annoncé, en 2009, qu’elle avait augmenté ses réserves officielles d’or, à 357 tonnes, de 200 tonnes (56%), tandis que la demande totale d’or de la Chine depuis 2008 est passée de zéro à près de 10 000 tonnes.
Graphique #7 : Demande d’or en Chine et en Inde
Alors, comme vous pouvez le voir sur ces graphiques, l’or circule de l’Ouest vers l’Est, transitant principalement par la Suisse, mais une partie demeure en Europe. Je n’ai pas mentionné l’Australie, un autre producteur aurifère majeur, ainsi que le Canada et l’Afrique du Sud, que je soupçonne d’exporter plus d’or qu’ils n’en importent, et surtout vers l’Asie.
Deux autres régions qui ont de fortes affinités avec l’or sont l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, mais je n’ai pas beaucoup d’information à leur sujet. L’Arabie Saoudite, un des pays les plus riches du Moyen-Orient, ne rend pas publiques ses réserves d’or officielles sur une base régulière. Comme la Chine par le passé, elle a annoncé avoir doublé ses réserves d’or en 2008. Nous pourrions bientôt assister à une nouvelle annonce, et je ne serais pas surpris que les réserves d’or dépassent les 500 tonnes. La Jordanie, un très petit pays du Moyen-Orient qui n’est pas un producteur pétrolier, a discrètement presque triplé (2,7 fois) ses réserves officielles d’or depuis 2008.
Des données récentes (graphiques #9 et #10) montrent aussi l’accumulation d’or par les citoyens australiens, canadiens et américains. La demande pour les pièces d’or dans ces pays est en hausse, et ces pièces sont surtout achetées par les petits investisseurs. Cependant, Nick Laird me disait que Bron Suchecki, de Perth Mint, un excellent analyste de l’or de l’Australie, lui avait indiqué que 90% de ce que la Perth Mint vend en Australie part à l'étranger. Donc, les Australiens, tout comme les Américains, en tant que société, ne sont pas de grands détenteurs de métaux précieux.
Graphique #8 : Ventes de pièces d’or aux États-Unis
Graphique #9 : Ventes de pièces d’or en Australie
Comme vous pouvez le voir, il n’y a pas qu’à l’Est (Chine et Inde) que l’on accumule de l’or; cela se fait aussi en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Les ventes se font surtout aux États-Unis, principalement sur le marché de l'or-papier, marché qui contrôle le prix, au moins pour le moment.
Le marché de l’or est opaque, mais ma recherche et des faits anecdotiques démontrent que beaucoup d’or est accumulé, ce qui a pour effet de retirer de l’or du marché pour une longue période. Ces achats ne sont pas des achats à court terme. En me basant sur les déclarations récentes de banquiers de la BCE, je ne serais pas surpris d’apprendre que l’Europe commence à acheter de l’or pour les réserves officielles.
Dans les années 80 et 90, alors que je faisais de la recherche en analyse technique, les managers de portefeuilles institutionnels me disaient souvent de ne pas révéler que nous utilisions l’analyse technique dans le processus décisionnel. Les écrans d’ordinateur avec des graphiques étaient éteints lorsque quelqu’un approchait. L’analyse technique était considérée non professionnelle (économie vaudou). Aujourd’hui, toute société de gestion de placements qui se respecte dispose d’un analyste technique. Il me semble que c’est la même chose aujourd’hui avec l’or. L’accumulation se poursuit, mais très discrètement. Ce n’est pas bon pour votre carrière dans l’industrie de l’investissement de mentionner l’or, et surtout l’or physique. On arrivera à une allocation d’or de 5% du portefeuille, comme cela était le cas dans les années 60. Cela changera plus tôt que vous ne le pensez.
L’or comme pourcentage des actifs mondiaux
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