L’économiste Nouriel Roubini, alias "Dr. Catastrophe », a livré ses prédictions 2023 et les années à venir, et autant dire qu'elles ne sont pas réjouissantes.

Selon lui, la confluence de problèmes, anciens et nouveaux, va provoquer une grave crise mondiale.

"Je pense que le monde est en train de vivre un naufrage au ralenti. De nouvelles menaces qui n'existaient pas auparavant ont emergé, et elles s'accumulent sans que nous fassions grand-chose pour y remédier", déclare-t-il.

Encore plus pessimiste qu'en 2006, quand il avait correctement prédit la crise des subprimes, Nouriel Roubini annonce désormais un déluge de risques, de la récession à l'intelligence artificielle, en passant par la crise de la dette, l'effondrement de la monnaie, la fin de la mondialisation ou encore la nouvelle guerre froide. Une dizaine de "mégamenaces" à long et moyern terme, qui se combineront pour un impact maximal.

"Nous devons apprendre à vivre en état d'alerte", écrit-il dans son dernier livre. Nous aurons besoin de chance, d'une coopération au niveau mondial et d'une "croissance économique presque sans précédent" pour que les choses se terminent bien.

"La sagesse populaire, qu'elle émane des responsables politiques ou de Wall Street, s’est systématiquement trompée. On a d'abord dit que l'inflation serait transitoire... Puis il y a eu débat pour savoir si la hausse de l'inflation était due à de mauvaises politiques ou à la malchance, à savoir des chocs d'offre négatifs comme l'invasion de l'Ukraine par la Russie, les ruptures des chaînes d'approvisionnement, et la politique zéro-covid de la Chine."

Alors que le consensus actuel table sur "une récession de six mois et peu profonde", Roubini n'est pas d'accord. Selon lui, "il s'agira d'une récession qui ne sera ni courte ni superficielle."

"Les taux d'endettement sont tellement élevés dans le monde, tant dans le secteur privé que dans le secteur public, que leur relèvement va provoquer un effondrement du marché des actions, du marché obligataire, des marchés du crédit. Des faillites vont aggraver les contractions économiques, ce qui entraînera davantage de défauts de paiement et de détresse. Il y a donc un risque d'instabilité économique et financière."

"Si les banques centrales augmentent les taux pour ramener l'inflation à l’objectif de 2%, non seulement elles obtiendront une récession, et une récession sévère, mais ensuite elle déclencheront un crash financier, et l'interaction entre les deux serait un désastre."

"La Fed, la BCE, Wall Street, la City affirment qu’il va y avoir un atterrissage en douceur. Dans l'histoire monétaire américaine des 60 dernières années, nous n'avons jamais connu d'épisode où l'inflation a été supérieure à 5% - aujourd'hui elle est à 7,1% - avec chômage inférieur à 5% - en ce moment il est à 3,7%. L'augmentation des taux pour combattre l'inflation n'a jamais débouché sur un atterrissage en douceur. L'atterrissage a toujours été brutal".

"Le Royaume-Uni est déjà en stagflation. L'inflation est supérieure à 10% et même la BoE s'attend à au moins cinq trimestres de croissance économique négative..."

Pour identifier les bulles financières, les économistes se réfèrent souvent à des modèles historiques. Mais l'éventail de menaces actuelles serait aujourd'hui différent :

"Est-ce que je me suis déjà inquiété d'une guerre entre grandes puissances ? Pas du tout. Il y a eu la détente dans les années 1970, et Nixon est allé en Chine. Le risque de guerre nucléaire est alors devenu nul. Est-ce que je m'inquiétais du changement climatique ? Je n'en avais jamais entendu parler. Est-ce que je m'inquiétais des pandémies mondiales ? La dernière a eu lieu en 1918. Est-ce que je m'inquiétais de la destruction de la plupart des emplois par l'IA ? Est-ce que je m'inquiétais de la démondialisation, des guerres commerciales ? Pas du tout. Est-ce que je m'inquiétais de l'arrivée au pouvoir de partis populistes d'extrême droite ou d'extrême gauche ? Il n'y avait pas la même polarisation qu'aujourd'hui. Est-ce que je m'inquiétais d'une récession grave et majeure ou d'une grande dépression ? Bien sûr que non. Dans les années 1970, nous avons connu la stagflation, puis la grande modération. Est-ce que je m'inquiétais de l'arrivée d'une crise financière ? Je n'avais jamais entendu parler de crise financière."

"Cette fois-ci, c'est différent, mais c'est différent en comparaison avec les 75 dernières années de paix, de progrès et de prospérité, parce qu'avant cela, l'histoire de l'humanité était faite de famines, de guerres, de maladies, de génocides, etc. Les 75 dernières années sont une exception, elles ne sont pas la règle."

Il cite une demi-douzaine de raisons pour lesquelles l'action en faveur du climat ne suffira pas. "Même si nous faisons ce qui a été convenu lors des sommets de Glasgow et de Charm el-Cheikh, nous sommes sur la voie d'un réchauffement de 2,4°C et nous ne ferons pas tout ce que nous avons dit. 3°C, c'est catastrophique..."

Il insiste également sur le fait que l'IA va prendre les emplois des cols blancs. "Ce n'est qu'une question de temps avant que mon travail d'observateur de la Fed soit rendu complètement obsolète. Je vous garantis que, dans 10 ans, cette IA examinera toutes les données économiques, tous les discours de tous les gouverneurs de la Fed, et pourra prédire exactement ce que la Fed fait, et cela mieux que le meilleur observateur de la Fed."

Il affirme que la troisième guerre mondiale a commencé en octobre, lorsque les États-Unis ont durci les restrictions sur l'export de semi-conducteurs vers la Chine.

En raison de l'inflation élevée, les stratégies de couverture communes ont échoué. "Cette année, vous avez perdu plus d'argent sur les obligations que sur les actions... et supposons que les anticipations inflationnistes ne soient plus ancrées !"

Les investisseurs doivent donc trouver la sécurité ailleurs : "L'idée sera soit d'aller vers les bons du Trésor à court terme, soit vers les obligations indexées sur l'inflation, soit vers l'or physique. La terre est aussi une bonne couverture, à condition qu'elle soit résistante à l'environnement."

Roubini sait que les gens lui accolent le dicton "même une horloge cassée donne la bonne heure deux fois par jour." Pour annoncer son arrivée lors d'une récente conférence à Mayfair, le présentateur s’écria "Le voici, Monsieur mauvaises nouvelles !". Roubini n'aime pas ce surnom, lui préférant "Monsieur Réaliste".

"Je ne vois pas qui pourrait écrire un livre disant que les dix prochaines années vont être merveilleuses" conclut-t-il, avant d'ajouter : "J'espère que je ne vous ai pas trop déprimé".

Source originale: FT

La reproduction, intégrale ou partielle, est autorisée à condition qu’elle contienne tous les liens hypertextes et un lien vers la source originale.

Les informations contenues dans cet article ont un caractère purement informatif et ne constituent en aucun cas un conseil d’investissement, ni une recommandation d’achat ou de vente.