Certaines dates restent dans l’histoire. Certaines dates effacent aussi l’histoire. Tout le monde garde en tête que la Première Guerre mondiale s’est déclenchée le 28 juin 1914, lors de l’assassinat de l'archiduc François-Ferdinand. Mais cette guerre, comme toutes les autres, est la conséquence d’événements qui appartiennent au temps long.
L’histoire se répète trop souvent. Et l’époque que nous vivons est, à bien des égards, semblable à celle que nous avons connue dans la période qui a précédé la Grande Guerre. Les crises se multiplient et s’entremêlent, les puissances entrent en conflit, les divisions de toutes sortes s’accentuent, le repli redevient une réalité, et plus rien ne semble servir la paix et l’unité.
Nous assistons avant tout à un réarmement généralisé et ce depuis plusieurs années. Partout dans le monde, malgré des déficits historiques, les budgets de défense ne cessent de croître. Cette année, les dépenses militaires mondiales atteignent près de 3 000 milliards de dollars, un montant record. Car, rappelons-le, la hausse sans précédent de la dette mondiale incite les pays à chercher des relais de croissance pour rembourser leurs emprunts, la production d’armements étant le seul secteur capable de créer de la croissance de manière continue… Face à cette production en hausse, l’impérialisme des Empires reprend à vive allure et de nouveaux conflits apparaissent naturellement. Là où l'Autriche-Hongrie et la Russie se disputaient la zone des Balkans au début du XXe siècle, c’est aujourd’hui l’Ukraine, le Moyen-Orient et demain un autre État, qui deviennent les centres névralgiques où s’affrontent les grandes puissances.
Dans cette même quête, des logiques d’alliances et de blocs se créent pour faire émerger un nouvel ordre mondial. À la veille de la Première Guerre mondiale, le monde se divisait entre la Triple Entente (France, Royaume-Uni, Russie) et la Triple Alliance (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie). Aujourd'hui, on peut faire le constat d’une séparation similaire entre deux grands axes : d’un côté l’Occident représenté par l’ensemble des pays de l’OTAN et de l’autre les BRICS dominés par la Chine et la Russie. Au même titre, les deux premières puissances mondiales entrent en rivalité directe à tous les niveaux : là où en 1914, le Royaume-Uni et les États-Unis se disputaient en pleine révolution industrielle le contrôle des principaux marchés, des ressources, des routes maritimes ; la confrontation entre les États-Unis et la Chine sur fond de révolution technologique et financière se traduit aujourd’hui par une concurrence sur les nouvelles innovations, les produits les plus stratégiques et la guerre commerciale et monétaire qui oppose les deux pays.
En cette période de grand basculement, où le vieux monde s’éteint, il va de soi que la chute de la puissance hégémonique s’accélère. Alors qu’en 1914, le Royaume-Uni entrait dans un déclin évident face à une croissance au ralenti, et une perte de confiance dans la stabilité de l’économie et du pouvoir britannique, conduisant alors à une chute des marchés ; les États-Unis sont désormais exposés à tout moment au risque d’une crise financière ou monétaire, sous le poids d’une dette devenue incontrôlable — plus de 38 000 milliards de dollars — et d’un pouvoir qui ne tient plus que par la force.
Dans cet entre-deux monde, les capacités économiques des pays sont testées. En 1914, les puissances concernées pensaient que la guerre ne durerait que quelques mois et que leurs réserves d’or, alors monnaie de référence, permettrait de financer l’effort de guerre jusqu’à sa fin. Mais l’inverse s’est produit : la guerre s’est prolongée et les réserves d’or des banques centrales se sont rapidement épuisées. De nombreux pays ont alors dû émettre de la monnaie-papier et emprunter massivement, notamment auprès des États-Unis, faisant du pays la nouvelle superpuissance dominante. La suite est connue de tous : de nombreux pays, dont l’Allemagne, ont connu une envolée des prix durant toute la période 1914-1918 jusqu’à connaître une période d’hyperinflation.
Le même scénario se précise aujourd’hui, tant pour les États-Unis que pour les pays européens, à ceci près que la monnaie n’est plus définie par l’or mais créée par la dette. Les budgets, désormais concentrés sur l’économie de guerre, deviennent si déficitaires, dans un contexte d’endettement historique, qu’ils menacent à tout moment d’une crise de confiance dans la monnaie. L’inflation repart déjà à la hausse dans plusieurs pays, notamment de l’autre côté de l’Atlantique où la fin de l’hégémonie du dollar devient peu à peu une évidence — comme l’était la chute de la livre sterling en 1914. Ainsi rien n’exclut, comme pendant la Première Guerre mondiale, des crises monétaires au cours des prochaines années…
Ces ruptures ne sont pas seulement externes mais avant tout internes. Aux conflits internationaux s’ajoutent des tensions sociales dans les pays impliqués. L’accumulation continue de richesses par une partie de la population a entraîné, comme au siècle dernier, un accroissement sans précédent des inégalités. Les 1% les plus riches possèdent aujourd'hui près de 50% de la richesse mondiale. Dans ces conditions, des fractures sociales se créent et des nouveaux boucs émissaires sont pointés du doigt. Au même titre, certains mouvements ou partis politiques s’éteignent tandis que d’autres naissent, ou réapparaissent, comme en témoigne la résurgence des partis nationalistes au Royaume-Uni, aux États-Unis, bientôt en France.
Tout présage désormais au pire, bien que le meilleur puisse advenir. Chaque nouveau conflit menace l’équilibre mondial et chaque nouvel événement risque d’être l’élément déclencheur d’un embrasement généralisé. Ce peut aussi bien être la conséquence d’une nouvelle guerre, d’une cyberattaque d’ampleur, du meurtre d’un Président… Qui aurait pu anticiper l’état du monde aujourd’hui si la tentative d’assassinat visant le président Trump avait abouti ?
La similarité entre la période actuelle et celle qui a précédé la Première Guerre mondiale est étroite. Nous n’assistons pas à un simple choc de puissances ou à une guerre de civilisations, mais à une crise de l’économie mondiale, une crise du capitalisme que l’histoire a déjà connu mais dont l’ampleur, cette fois, est sans égal du fait des enjeux qu’elle soulève.
La reproduction, intégrale ou partielle, est autorisée à condition qu’elle contienne tous les liens hypertextes et un lien vers la source originale.
Les informations contenues dans cet article ont un caractère purement informatif et ne constituent en aucun cas un conseil d’investissement, ni une recommandation d’achat ou de vente.