Idées clés :
- On fait le point sur les reproches faits aux allemands quant à leur attitude commerciale et politique en Europe.
- Le fonds du problème des excédents allemands tiens à la mauvaise conception de l'euro et de l'union européenne.
- La situation évoluera forcément soit vers plus d'intégration européenne soit vers une dislocation de l'euro. Le statut quo n'est pas tenable car les déséquilibres s'accroissent.
L'économie allemande en Europe, ce sont des excédents commerciaux d'environ 250 mds € en 2016 et une créance globale d'environ 1 000 mds € dans la balance des paiements européenne : TARGET2. Et pourtant, on entend souvent des économistes expliquer que les performances impressionnantes de l’Allemagne sont un danger pour l'euro.
Que se passe-t-il ? Être un bon élève studieux serait devenu une tare ?
Je vous propose donc de voir pourquoi les performances de l’Allemagne sont effectivement problématiques pour les autres pays européens, mais également pour elle-même.
T'es chaud aujourd'hui… titrer le "danger allemand", c'est border line, quand même...
"Le danger allemand", c'est un sous-texte que l'on entend régulièrement plus ou moins clairement autour des discours des économistes, avec une tonalité plus ou moins acceptable. Du coup, il est important pour moi d'essayer de positionner les choses.
Alors, quelle est cette critique faite aux Allemands ?
Et bien, pour faire simple, on leur reproche quatre choses :
1) On leur reproche d’inonder l'Europe de machines-outils et de voitures aux dépens des entreprises locales. Comme leur industrie est meilleure que les autres, on ferme des usines en Italie et on les ouvre en Allemagne.
Ben c'est vrai quoi, c'est parce qu'on est moins bosseur qu'on ne mérite pas de… enfin, voilà quoi…
2) On leur reproche d'oublier que s'ils peuvent effectivement vendre aux Italiens et aux Grecs, c'est à cause de l'euro et de son taux de change fixe. Du coup, toute l'Europe mange du Deutch Qualitat quasiment de force.
Le consommateur est condamné à acheter des produits moins chers et de meilleure qualité. Bon, dit comme ça… Mais tu vois, quoi… !
3) On leur reproche de ne pas assez consommer des produits de l'étranger.
Si j'ai bien compris, comme ils sont très économes et vieux, ils se satisfont de pas grand-chose en préférant mettre leurs sous de côté. Du coup, les autres pays européens n'arrivent pas à leur vendre leurs bibelots… ce qui renforce les déficits commerciaux avec l'Allemagne.
Comment on fait pour s'entendre avec des gens qui sont bosseurs et économes ? C'est insupportable !
4) Enfin, comme ils sont plus rigoureux que nous et que leur budget national est bien géré, avec une dette qui recule et un budget annuel en excédent, non contents de nous refourguer leur production, ils viennent nous faire la nique pour nous expliquer que faire des déficits et s'endetter, c'est pas bien.
Non, mais d'accord, mais franchement… non, quoi ! C'est révoltant quand même ! Hein… ?
Donc, en gros, on leur reprocherait d'être bosseurs, rigoureux et de nous en faire profiter ?
Non, dit comme ça, on sent qu'il y a un malaise. Explique-nous, du coup… parce que là, j'avoue que je rame…
Ok, reprenons les bases.
L'Allemagne, c'est la première économie d'Europe avec un PIB de 3 300 mds €. Pour rappel, la France c'est 2 200. Donc ils font 50% de plus que nous quand même...
Ensuite, effectivement, leur dette recule pour se situer aujourd'hui à 68% du PIB et il paraît même qu'ils reviendraient sous les 60% cette année. Ce qui est un des objectifs des traités européens.
Et oui, cela propulserait une fois de plus l'Allemagne comme le bon élève de l'Europe.
Alors, c'est nous ? On est nul, c'est ça ? On n’a plus qu'à renoncer et devenir allemand en écoutant leurs bons conseils ?
Ah non ! Les choses ne sont pas si simples pour autant, car l'Allemagne a tout de même deux secrets de famille plutôt honteux. Et je me baserai sur les données des travaux de Mathilde LE MOIGNE et Xavier RAGOT pour les quantifier.
1) Pour rappel, pour vendre à l'étranger, il faut produire soit mieux, soit moins cher. Et les deux, c'est encore mieux.
Dans les années 2000, le chancelier Gerhard Schroeder a initié les lois Hartz sur le travail pour baisser le coût du travail. Et cela a plutôt bien fonctionné, puisque LE MOIGNE et RAGOT expliquent que la moitié de l'écart de performance entre la France et l'Allemagne serait due à cet écart de coût du travail.
Le souci, c'est qu'en Allemagne, ces réformes ne se sont pas faites sans douleurs, puisque la pauvreté est de 17% en Allemagne contre 14% en France, et que la part de sous-emploi, le temps partiel subi, est de 20% en Allemagne contre 7% en France.
Alors oui, le chômage en Allemagne est bas, à environ 5-6%, mais au prix d'une précarisation sociale intense.
Et puis, je rappelle que baisser le coût du travail pour être compétitif ne peut fonctionner que si on est le seul à le faire.
Si les autres pays européens avaient fait la même chose, et bien, nous serions tous plus précaires, mais au final personne n'aurait gagné en compétitivité, puisque la compétitivité est relative par rapport aux autres.
2) Deuxième chose, l'euro.
Si l'euro n'était pas là, la monnaie allemande aurait une valeur incontestablement plus élevée que la monnaie française ou italienne, comme cela a toujours été le cas dans les années 1990.
Cela signifie que les produits allemands coûteraient plus cher et que les Français et les Italiens n'auraient tout simplement pas les moyens d'en acheter autant.
Mais avec l'euro, le taux de change étant fixe, tout le monde a accès aux produits allemands pour pas cher.
Mais c'est formidable, ça, du coup.
Sauf que les Français et les Italiens n'ont pas plus d'argent pour autant. Du coup, lorsque l'Italie achète en Allemagne, elle accumule un déficit, une dette.
Et cette dette, on la retrouve dans les comptes du système de paiement intra européen de la banque centrale qui s'appelle TARGET 2. J'en parle ici avec Charles GAVE, si vous voulez en savoir plus.
Et cette dette des pays européens, essentiellement du sud vers l’Allemagne, se monte quand même à environ 1 000 mds €.
Ah quand même … C'est pas rien, ça. Et on va la payer comment, cette dette ?
Comme les autres. On ne la paiera pas. Ou, du moins, on n’en remboursera jamais l'intégralité. De toute façon, même si on le voulait, on ne le pourrait pas.
Bon, en France, ça va, on a un déficit TARGET 2 assez faible, quelques dizaines de mds € quand même, mais c'est gérable.
Par contre en Italie, on cause de 450 mds €. Là, c'est pas la même chose.
Donc, quand on dit que l'Allemagne gère bien ses comptes, c'est vrai, mais c'est à nuancer, parce que si l'on part du principe que l'Allemagne ne sera pas payée, la dette de l'État et son équilibre budgétaire n'ont plus le même profil ...
Et oui, si on part du principe que seulement 50% du solde TARGET 2 sera payé à l'Allemagne, alors on constatera une perte sèche de 500 mds €.
Comme l'économie allemande serait bien incapable de survivre à un trou de 500 mds €, il faudra bien que l'État la reprenne à son compte.
Et là, la dette allemande passerait d'un sympathique 68% à un beaucoup moins bon 80% … tandis que la dette italienne baisserait à l'inverse …
La moralité de tout ça, c'est que prêter de l'argent à un panier percé ne permet pas de poser les bases d'un commerce durable et sain.
Mais du coup, vu comme ça, l'euro est plus un problème pour les Allemands, car c'est eux qui vont encaisser les défauts de paiement, tandis que nous, nous en aurons profité pendant ce temps…
Oui, c'est pas faux, mais le hic, c'est que nous aurons créé des déséquilibres profonds durant toute cette période qui affectent toutes les économies européennes.
Les industries locales du sud auront été salement malmenées, tandis que l'industrie allemande devient surdimensionnée.
Donc, si on admet que l'euro va disparaitre, alors les économies locales seront inadaptées pour répondre aux besoins de chaque pays. Et ça, ça se traduira par un recul du niveau de vie pendant une bonne dizaine d'années jusqu'à ce que le tissu économique soit de nouveau adapté à chaque économie.
Et si on continue l'intégration européenne ? On fait l'Europe fédérale et tout et tout.
Dans ce cas, les déséquilibres vont persister et l'Allemagne sera obligée de financer les pays du sud pour qu'ils puissent survivre.
Ouais, les pays du sud se feraient entretenir, quoi … en plus de perdre leur industrie locale.
C'est ça. Dans un tel contexte, je pense que l'Allemagne prendrait naturellement un leadership incontesté et incontestable sur les autres pays européens. Personnellement, je ne suis pas fan de cette solution …
Et puis, vivre au crochet des gars qui bossent au nord, en terme de dignité, c'est pas non plus très excitant.
Et si on se met à bosser et à devenir aussi efficace que les Allemands ? On les rattrape et l'Europe s'en tire par le haut !
C'est exactement le pari initial de l'euro. Sous la pression de la concurrence, les économies vont converger.
Alors, oui, sauf que dans la réalité, depuis 20 ans que l'on essaie, les pays du sud ne sont pas devenus suédois ou allemands. Au contraire, les divergences économiques s'accroissent.
Après, j'en sais rien, peut être que ça va changer. Bon, personnellement, techniquement, je ne vois pas par quelle magie cela pourrait se produire, mais je ne sais pas tout non plus …
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