Aujourd’hui, j’ai le plaisir de recevoir Ronald-Peter Stöferle, associé directeur et gestionnaire de placements chez Incrementum AG. Ronald-Peter Stöferle a étudié l’administration des affaires et la finance à l’Université de Vienne et à l’Université de l’Illinois (États-Unis). Il est technicien agréé du marché (CMT) et technicien financier agréé (CFTe). En 2006, il a rejoint le groupe Erste, basé à Vienne, pour couvrir les marchés financiers internationaux, particulièrement l'Asie, et il a aussi commencé à écrire ses rapports sur l’or. Ses huits rapports intitulés « In Gold We Trust », une référence, ont été repris à l'international, sur CNBC, Bloomberg, le Wall Street Journal et le Financial Times. Bloomberg l'a désigné comme le second analyste de l’or le plus précis en 2011.
En 2009, il a commencé à écrire des rapports sur le pétrole brut.
Ronald a géré des paniers d'actions minières aurifères et argentifères pour le groupe Erste.
Dan Popescu: Ronnie, en premier lieu, je voulais mentionner le rapport dont je viens de parler… c’est le sixième que vous faites ?
Ronald-Peter Stöferle: Non, c’est le huitième, en fait.
Dan Popescu: Huit ?... j’ai besoin de rafraîchir mes données… C’est un rapport exceptionnel, que je suis depuis le début. Nous avons mis un lien pour les gens qui voudraient le lire, car nous en parlerons plus tard. C’est un rapport très complet sur l’or… je n’ai pas vu un tel rapport sur l’or depuis longtemps; il couvre l’or sous tous les angles possibles et il contient des graphiques exceptionnels. Et vous venez tout juste de finir un livre, pouvez-vous nous en parler un peu… c’est sur l’école autrichienne ?
Ronald-Peter Stöferle: Oui. Je ne suis pas seulement originaire d’Autriche, j’adhère également à l’école autrichienne d’économie. Parce que cette école pose non seulement les bonnes questions, mais elle fournit aussi les bonnes réponses. Alors, nous avons écrit ce livre sur l’investissement « autrichien», ou comment mettre en oeuvre les pensées de l’école autrichienne d’économie dans l’investissement et, c’est intéressant de voir qu'il a un grand succès auprès du lectorat germanique; nous travaillons déjà sur la traduction anglaise et nous espérons qu’elle sortira à l’automne… ou, disons, avant Noël, je l’espère.
Dan Popescu: Pourriez-vous expliquer la relation très forte entre l’école autrichienne et l’or. L'or fait partie intégrante de l'école autrichienne. Comment expliquez-vous cette association entre l’école autrichienne et l’or ?
Ronald-Peter Stöferle: Je ne dirais pas que tous ceux qui adhèrent à l’école autrichienne sont des partisans de l'or, mais je crois que, peut-être 80 à 90% d’eux comprennent que l’or est un actif monétaire. Durant toute l’Histoire, des centaines, des milliers d’années, à travers un processus d’essais et d’erreurs, les acteurs du marché ont réalisé que, ni les cigarettes, ni le papier, ni les coquillages de mer ou les peaux de chèvre n’ont pu assurer parfaitement le rôle de monnaie… alors que l’or et, à un degré moindre, l’argent, le font. Selon moi, un des avantages importants que vous avez lorsque vous suivez les préceptes de l’école autrichienne d’économie est que vous voyez le tout en tant que système monétaire… tandis que les Keynésiens n’ont évidemment pas cette vision. Et je crois qu’en ce moment, nous ne traversons pas une crise financière ou une crise économique, mais plutôt une crise de notre système monétaire. Nous devons donc comprendre l'origine de notre problème pour pouvoir le résoudre. L’or, évidemment, n’est pas le seul remède, c'est une part importante de la solution qui permettra de sortir de cette crise systémique.
Dan Popescu: Vous débutez votre rapport en parlant de la tectonique monétaire. Pourriez-vous nous expliquer ce que vous entendez par "tectonique monétaire »? Je crois qu’il s’agit de la relation entre l’inflation et la déflation…
Ronald-Peter Stöferle: Exactement. Si on adoptait l’approche autrichienne, c’est-à-dire, laisser aller les choses, ne rien faire, laisser le système se nettoyer, on aurait une période difficile, mais dans un, deux ou trois ans, cela irait mieux… nous repartirions d’un niveau plus bas, mais sur une base bien plus solide et plus saine. Cela serait hautement déflationniste et plusieurs banques feraient faillite, et plusieurs entreprises ne pourraient pas exister si les taux d’intérêt étaient à un niveau normal, ou naturel. Cela provoquerait aussi un chômage élevé, une récession massive. Mais, comme je l’ai dit, le système s’en porterait beaucoup mieux. Les politiciens et les banques centrales voient la déflation comme une menace, quelque chose qu’ils doivent éviter absolument. Alors il y a cette déflation naturelle que nous voyons actuellement et, de l’autre côté, il y a les banques centrales qui poussent l'inflation. La pression monte énormément. En surface ça semble toujours calme, mais il y a énormément de pression qui s’accumule en dessous. Cela est dû à plusieurs choses. Les banques centrales et les politiciens feront tout leur possible pour éviter cette inflation naturelle. Je ne suis pas certain que nous allons voir de l’hyperinflation, mais je crois qu’un environnement hautement inflationniste est fort probable.
Dan Popescu: Marc Faber a été interviewé il y a quelques jours, et il a indiqué que chaque dollar additionnel de dette ne produisait plus que dix cents de croissance économique. Donc, la stratégie des banques centrales pour nous sortir de là ne fonctionne pas cette fois-ci…
Ronald-Peter Stöferle: L’utilité marginale de la dette est en déclin constant, et nous arrivons à ce nous appelons la fin du Keynésianisme. On peut déjà observer cela au Japon. La dette du pays atteint 240% du PIB…les JGB (bons du gouvernement japonais) sont, je crois, à 55 points de base pour les bons à 10 ans, ce qui est ridiculement bas, et nous savons tous que si les intérêts grimpent, ne serait-ce qu’un tout petit peu, le Japon ferait faillite. Je crois que ce scénario japonais va probablement se reproduire, notamment en Europe. Cela sera probablement evité pendant une période, mais nous devons aussi admettre que plus on repousse ce nettoyage naturel du système, plus ce sera difficile par la suite. Et je crois que cette approche « d'improvisation », dans laquelle nos politiciens ont tant d’expérience, est la mauvaise stratégie. Mais, à cause de la situation politique, je suis absolument certain qu’ils vont continuer à naviguer à vue. On voit déjà que la répression financière devient de pire en pire. Récemment, en Espagne, nous avons vu qu’ils font désormais des frais pour les dépôts. Ce n’est que 0,003%, je crois, mais ce n’est qu’un début. Qui aurait cru une telle chose possible, il y a à peine quelques années ? Alors, il faut s’attendre à l'imprévu, et quand les choses s'envenimeront sérieusement, les politiciens deviendront très ‘créatifs' pour imaginer des mesures de répression financière !
Dan Popescu: Je lisais ce matin que les États-Unis veulent faire passer des lois pour restreindre la possibilité des déposants de retirer des fonds de leurs comptes. Ils semblent se préparer à une certaine forme de confiscation d’actifs en cas d’une crise… pas seulement en Europe, mais aussi aux États-Unis…
Ronald-Peter Stöferle: Oui! Dans notre système bancaire de réserves fractionnelles, en Europe, l’exigence de fonds propres n’est que de 1%. Alors, si deux déposants sur cent décidaient de vider leur compte, la banque imploserait ! Les politiciens doivent éviter une panique bancaire… Si les gens comprenaient comment fonctionne le système monétaire, il y aurait une révolution demain, comme le disait Henry Ford. Alors je crois que le sentiment dominant, comme quoi la crise serait derrière nous, va changer de façon dramatique avec le temps. Et vous savez, avec la situation géopolitique actuelle, je crains vraiment que la deuxième partie de 2014 soit extrêmement volatile et turbulente.
Dan Popescu: Il y a plusieurs événements géopolitiques, mais ils ne semblent pas, pour le moment du moins, influencer le prix de l’or…Il y a différentes régions instables à travers le monde… il y a Gaza, l’Ukraine, les tensions entre la Chine et le Vietnam, en Asie, mais aucun de ces événements n’a déclenché une montée du prix de l’or pour le moment. Vous mentionnez, dans votre rapport, des similarités avec les années ’70. Pourrions-nous assister à une explosion, malgré ce petit marché baissier actuel, qui ne serait qu’une période de correction dans le grand mouvement à la hausse, et qui, lorsque nous sortirons de cette consolidation, entreprendra un mouvement parabolique, comme dans les années ’70… voyez-vous les choses se dérouler de la même manière ?
Ronald-Peter Stöferle: Les événements géopolitiques auront un impact à court terme sur le prix de l’or. Mais je ne crois pas vraiment que les événements géopolitiques changent réellement la donne pour la tendance de fond de l’or; l’inflation est le facteur le plus important pour l’or. Et nous l’avons vu dans les années ’70 également; je fais d’ailleurs des comparaisons dans mon rapport : de 1974 à 1976, nous avons eu de la désinflation. Les chiffres de l’inflation étaient encore assez élevés, ils descendaient à partir d’environ 10% pour atteindre 5%. Certains diraient que 5% d’inflation est toujours un chiffre élevé, mais il y a quand même eu de la désinflation, avec des taux d’inflation à la baisse. J’ai fait quelques analyses quantitatives, et les résultats sont clairs : la désinflation constitue, de loin, le pire environnement pour l’or. Depuis 2011, nous avons eu exactement la même chose, de la désinflation. Sur une base annuelle, depuis 2011, le CPI (Consumer Price Index) a été d’environ 4,3%, et il a baissé de manière significative jusqu’en 2014; Il semble actuellement consolider son bas. Au début de l’année, nous avons réalisé plusieurs graphiques sur l’inflation versus la déflation; nous en avons déduit que, même si le consensus se faisait autour de la déflation en ce moment, l’inflation deviendrait le sujet principal à l'avenir, et il semble bien que nos prédictions s'avèrent exactes. Nous avons déjà vu les chiffres de l’inflation monter aux États-Unis, même si Janet Yellen a dit que ce n’est que du « bruit ». Le Billion Prices Project, un indicateur très fiable pour le CPI et le PCE, est également en hausse, et je crois que le marché nous indique déjà que l’inflation va monter. C’est, à la base, ce que les politiciens et les banques centrales veulent. Si vous comparez avec les années ’80, quand Paul Volcker a quasiment tué le marché haussier de l’or, il a dit que son travail consistait à combattre l’inflation jusqu’à la mort, et c’est ce qu’il a fait. Mais, de nos jours, les banques centrales disent que la déflation est tellement à craindre qu’il faut créer de l’inflation… Si c’est un peu plus d’inflation on peut la chronométrer juste pour quelques années. Et je crois que c’est le problème qu’on va avoir dans le futur. Les politiciens et les banques centrales ne comprennent pas la dynamique de l’inflation. Ils pensent qu’ils peuvent agir ici et là, avec des stimulus monétaires, et que les résultats stimuleront un peu la croissance et diminueront le chômage… mais les choses ne se passent pas ainsi. Je suis donc très sceptique au sujet de toutes ces interventions monétaires.
Dan Popescu: Le pétrole a joué un grand rôle, dans les années ’70, comme déclencheur… est-ce que le pétrole pourrait encore tenir ce rôle, ou bien est-il un facteur pas très important pour l'inflation ? D’autres ingrédients pourraient créer cette inflation, voyez-vous le pétrole assurer le même rôle ?
Ronald-Peter Stöferle: Deux choses importantes. Il y eut, en août 1971, la fin de Bretton Woods… et il y a autre chose que peu de gens savent. A la réunion de l’OPEP qui a suivit, les membres ont dit « A cause du nouveau système monétaire, nous devons reconsidérer la formation du prix du pétrole. Il faut bien comprendre que le système monétaire en place est crucial pour le prix du pétrole. Des comparaisons à long terme ont été réalisées dans mon rapport : J'ai représenté sous forme de graphique le prix du dollar en pétrole et le prix du dollar en or, montrant une tendance en fort déclin. Le prix du pétrole en or est parfois volatile, mais il est plutôt stable sur le long terme. Je pense qu’en ce moment, avec toutes les menaces géopolitiques, le potentiel de hausse est bien plus grand pour le pétrole. Il ne faut pas oublier que le prix du pétrole s’est bien maintenu; il était au-dessus de $100 au début de l’année, alors qu’il n’y avait pas encore de crise en Ukraine, par exemple, et que tout le monde parlait de la fracturation hydraulique comme étant la chose qui allait résoudre tous nos problèmes d’énergie… mais le prix du pétrole est resté au-dessus de $100, donc peut-être qu'il y a eu un excès de confiance. Pour faire court, je crois qu’en ce moment, le pétrole est intéressant à trader.
Dan Popescu: John Williams, de ShadowStats, parle d'un abandon massif du dollar. J’ai moi-même été témoin d’une telle chose, dans les années ’70, lors d’un voyage en Europe. Je détenais des chèques voyage American Express, et personne n’en voulait. Un mois plus tôt seulement, tout le monde voulait des dollars US et, un mois plus tard, plus personne n’en voulait. Et Jim Rickards, dans son livre, cite quelqu’un, une dame, qui s’est retrouvée dans la même situation à Rome, et qui avait des problèmes à régler sa facture d’hôtel en dollars US. John Williams dit qu’il entrevoit l’hyperinflation à cause d’une panique sur le dollar. Voyez-vous une vente massive du dollar qui déclencherait de l’hyperinflation ?
Ronald-Peter Stöferle: Je ne pense pas. Les gens parlent de la fin du dollar depuis de nombreuses années maintenant. Il ne faudrait pas oublier que les États-Unis sont, et de loin, la plus grande puissance militaire… nous ne devrions pas oublier cela. D'un autre côté, nous assistons à de gros changements dans le paysage des devises. Et, bien sûr, nous avons vu la Russie et la Chine conclure un énorme accord gazier, après plus de vingt ans de négociations. Plusieurs petites pièces du puzzle sont en train de bouger, mais le passage à un système monétaire multi-devises se fera sur une période beaucoup plus longue. Cela n’arrivera pas du jour au lendemain et je ne pense pas que les gens vont soudainement perdre confiance dans le dollar, en un jour, et qu’il y aura immédiatement de l’hyperinflation, parce que le dollar US aura été détruit. Je ne crois pas que cela va se passer ainsi mais, bien sûr, la situation fiscale aux États-Unis n’est pas très bonne… mais, pour être honnête, la situation aux États-Unis n'est pas pire que ce qu’elle est en Europe, par exemple, ou en Chine. Si on regarde les bilans des banques centrales, on pourrait dire que la Chine est championne du monde de l’inflation ! À côté de la Banque populaire de Chine, la Réserve fédérale semble belliciste (favorise des hausses d’intérêt). J’ai donc tendance à ne pas être d’accord avec l'idée selon laquelle le dollar s’effondrera.
Dan Popescu: D’accord. Je suis tombé sur un article intéressant dans le Financial Times au sujet d’un système commercial adossé à l’or, où l’on utiliserait de l’or déposé à Singapour ou à d’autres endroits, laissant de côté le dollar pour ces transactions. Avec en tête ce qui est arrivé avec BNP (Banque Nationale de Paris), est-ce que cela ne pourrait pas, par exemple, déclencher la panique de certaines entreprises, voire de certains pays, et les pousser à utiliser un autre système… et il semble que l’or soit le seul actif auquel les gens accordent leur confiance aujourd’hui… On sait qu'il n'est pas très pratique de réaliser des transactions avec de l’or, mais si vous l’utilisez en tant que dépôt/collatéral à Singapour ou en Suisse, par exemple, et que vous ne faites qu’échanger le titre de propriété de ces dépôts d’or d’un client à un autre, comme le font les banques centrales, est-ce que cela pourrait déclencher un événement comme celui de la BNP, qui a effrayé beaucoup de personnes à travers le monde, car ils se disent que cela pourrait leur arriver. Les Russes, les Chinois, les États-Unis pourraient geler leurs actifs… Même si c'est plus cher et que le dollar offre certains avantages, on devrait se diriger vers autre choses et l’or semble constituer la seule alternative. Le Financial Times semble indiquer que la popularité de l’or comme moyen d’échange pour des transactions internationales a augmenté en flèche, particulièrement dans les derniers mois, depuis que le gouvernement américain sanctionne sévéremment les banques qui ne sont pas pleinement en conformité.
Ronald-Peter Stöferle: Honnêtement, je n’ai pas lu l’article du Financial Times. Je crois qu’il se passe plusieurs choses. Premièrement, il faut dire que les médias de masse critiquent beaucoup l’or. Surtout depuis l’an dernier. Je crois que, sur le marché de l’or, on observe assez souvent ce biais de confirmation… les gens qui s’intéressent à l’or lisent les mêmes sites internets. Il ne faut pas oublier que 99% ou 95% des gens considèrent toujours l’or comme quelque chose de très volatile, qui est inutile, qui ne fait que rester à un endroit, qui n’est pas productif, et ainsi de suite… encore beaucoup de gens pensent ainsi. Donc, je ne suis pas convaincu qu’un tel système fonctionnera à l’avenir, mais on peut voir que plusieurs transactions sont réglées en se basant sur l’euro, et même sur le Yuan. Je pense aussi que les crypto-devises ont un bel avenir. J’ai rencontré quelques gens très intelligents qui ont développé, non pas la seconde, mais la troisième génération de crypto-devises. Le Bitcoin a été la première crypto-devise, et maintenant, il y en a des centaines et l’on travaille déjà sur l’autre génération. Il se passe tellement de choses en ce moment. Lors d'une période de changement, les gens retourneront sans doute à l’or, parce que, dans toute l’Histoire, l’or a très bien joué son rôle de préservation du pouvoir d’achat et, au début, les gens ont besoin de quelque chose vers quoi ils peuvent se tourner en toute confiance. Cependant, je ne suis pas certain, malheureusement, qu’il y aura une devise adossée sur l’or, parce que cela aurait des conséquences majeures pour les politiciens, par exemple. On verra, mais j'ai vraiment peur que les droits de tirage spéciaux (DTS : Droits de tirages speciaux ou SDRs : Special Drawing Rights) prennent une plus grande importance lors de la prochaine crise. La crise de 2008 apparaîtra comme une fête comparé à ce qu’il va arriver.
Dan Popescu: Comment voyez-vous le DTS… la façon dont les Chinois jouent. Ils n’ont pas annoncé leurs réserves d’or depuis 2009, et tout le monde attend les nouveaux chiffres, pour voir s’ils arrivent à 4,000 tonnes, ou plus. Est-ce qu’ils se servent de cette incertitude sur leurs réserves comme outil de négociation pour les DTS ?
Ronald-Peter Stöferle: Si on regarde l’histoire de la Chine, on voit qu’elle a eu une très haute inflation, même de l’hyperinflation, à la fin des années ’40-début ’50, un peu comme en Allemagne et en Autriche, par exemple. Les Chinois accordent une très haute valeur à l’or; et pas seulement les citoyens : la Banque populaire de Chine, c’est évident, achète beaucoup plus d’or qu’elle ne l'annonce publiquement. J’estime personnellement qu’elle en est à 5-6,000 tonnes d’or, en me basant sur les chiffres d’importation et mes nombreuses conversations avec des officiels chinois. Peut-être qu'ils travaillent aussi sur une sorte d’adossement à l’or de leur Yuan. Je ne pense pas que les chinois voient le Yuan comme la monnaie de réserve internationale, mais plutôt comme une monnaie de commerce international. Ils en font la promotion active en ce moment. Ils annoncent des accords sur les swaps, des accords bilatéraux, et ce, de façon quotidienne. Il se passe beaucoup de choses. Si on écoute les discours et les commentaires des officiels chinois – les politiciens, mais aussi la banque centrale – il semble bien que l’or joue un rôle majeur, et ils veulent voir des droits de tirage spéciaux (SDR) qui accorderaient un poids plus grand aux pays des BRICS, mais aussi à l’or. Nous verrons bien comment cela se déroulera, mais nous avons déjà vu, récemment, que les pays des BRICS ont annoncé qu’ils créeraient leur propre Fonds monétaire avec, je crois, $100 milliard pour commencer. Ce qui n’est pas tant que cela, pas très puissant, mais cela démontre que les choses bougent à l’échelle mondiale. Cependant, comme je l’ai dit précédemment, et cela fait l’objet d’un long chapitre de mon rapport, j'ai peur que les droits de tirage spéciaux deviennent beaucoup plus importants, parce qu’ils indiquent la prochaine étape… des produits dérivés de produits dérivés! Peter Miller explique les droits de tirage spéciaux de manière humoristique, en disant : «Au début, la monnaie, c’était ‘Je te dois de l’or’, ensuite, c’était ‘Je te dois rien’, et les droits de tirage spéciaux, c’est ‘Qui te doit rien ?’ … parce que, vous savez, personne ne sait ce qu’il en est avec le Fonds monétaire international et tout cela. Mais cela donnerait un sursis, probablement. J’ai peur, car selon l’école autrichienne, on devrait laisser les devises en concurrence, et les droits de tirage spéciaux vont totalement à l’encontre de cela. Le Fonds monétaire international a réalisé un diapositive, dont je me sers dans mon rapport, et ils ont clairement indiqué que le but à long terme était de créer une devise mondiale, les DTS, et j'ai peur qu’ils réussissent.
Dan Popescu: Cela pourrait-il arriver sans une grande crise ? Des gens disent… Robert Murdell, le prix Nobel d’économie, a déclaré que les États-Unis n’accepteront jamais de changer le système, parce qu’il est trop biaisé en leur faveur. Il a pratiquement été conçu sur mesure pour eux; alors ils s'opposeront ardemment à des changements lors des négociations, et feront tout leur possible pour les saboter, ou pour éviter tout changement majeur qui pourrait mettre fin à ce « privilège exorbitant » qu’ils possèdent, grâce au dollar. Cela pourrait-il signifier que ces changements ne peuvent être réalisés sans une crise majeure ?
Ronald-Peter Stöferle: Non, comme à dit Hillary Clinton « il ne faut pas gaspiller une bonne crise… » Vous savez, il plane tellement de « cygnes noirs » aux alentours… le système est beaucoup plus fragile qu’il ne l’était en 2008. L’interconnexion entre les divers participants des marchés financiers est encore plus extrême qu’en 2008. Même le phénomène du « Too Big to Fail » est pire qu’en 2008. D'un autre côté, en 2008, les banques centrales étaient capables d’abaisser les taux d’intérêt et de créer ce qu’on appelle le « quantitative easing » (assouplissement quantitatif). Mais maintenant, il ne leur reste plus beaucoup de munitions, et plusieurs pays ont implémenté des programmes de relance massifs, en 2008-2009. Les taux d'intérêts ont grimpé de 40% depuis 2007. Je suis vraiment curieux de voir ce qu’ils sortiront de leur chapeau, une fois que le crash aura débuté. Si on regarde les obligations à très haut risque, par exemple, et si on regarde plusieurs indicateurs techniques, il semble que nous ne sommes pas très loin d’une correction majeure.
Dan Popescu: Vous vous servez d’un indicateur, le ratio or/argent; j’ai trouvé très intéressant, dans votre rapport, que vous le décriviez comme un indicateur de déflation et de ré-inflation… un ratio déflation/ré-inflation, même….
Ronald-Peter Stöferle: Cela fonctionne, et nous avons aussi mené plusieurs études quantitatives là-dessus. Cela fonctionne. Comme vous savez, l’or est surtout un métal monétaire, à peine 10% est utilisé dans l’industrie, tandis que l’argent est utilisé dans un grand nombre d’applications industrielles – la demande industrielle est d’environ 50% – surtout dans des secteurs qui sont au stade primaire de leur développement économique. Vu que l’on appelle le cuivre ‘Dr. Cuivre’, on pourrait appeler l’argent ‘Professeur argent’. L’argent va généralement très bien lorsque l’inflation grimpe, tandis que l’or va mieux lorsqu’il y a une pression déflationniste. Alors, en calculant la différence entre l’or et l’argent, cela montre, si le ratio monte, quand l’or performe mieux que l’argent, que nous sommes dans un environnement désinflationniste ou déflationniste, tandis que, quand il descend, cela correspond à un environnement inflationniste. Une chose importante à souligner : quand vous êtes confiant pour l’or, et que votre horizon à moyen ou long terme est positif, jetez un coup d’œil au ratio or/argent. Dans chaque gros marché haussier de l’or, le ratio or/argent descend… donc, l’argent doit performer mieux que l’or parce que, comme je l’ai dit au début, l’inflation constitue le facteur le plus important pour le prix de l’or; et si l’argent performe mieux que l’or, cela signifie que nous verrons une hausse des taux d’inflation. Mais, d’un point de vue pratique, nous avons vu, au début de l’année, que l’or se comportait très bien, à cause notamment des événements géopolitiques en Ukraine, mais nous avons vu l’argent sous-performer. Donc, de notre côté, nous restons prudents parce que le prix de l’or monte, non pas à cause de la menace d’inflation, mais à cause d’événements géopolitiques. Et cette situation ne peut pas durer indéfiniment. Mais maintenant que le ratio or/argent descend, l’argent performe mieux que l’or. Je trouve que l’argent résiste très bien en ce moment, et les actions des sociétés minières confirment cette tendance, même si nous vivons une petite correction, en ce moment. Mais il semble que le ratio or/argent a vraiment changé de direction et, aussi longtemps que l’on verra l’argent performer mieux que l’or, on pourra avoir confiance en la santé de l’or, des actions minières, et de l’argent, bien sûr.
Dan Popescu: La dernière question que j’aimerais vous poser est au sujet des actions aurifères et argentifères. Vous venez tout juste de les mentionner. Est-ce que ces minières, qui performent bien depuis quelques mois, peuvent indiquer la fin de la correction du prix de l'or ?
Ronald-Peter Stöferle: Depuis le début de l’année, nous avons eu, je crois, plus de 150 réunions avec des clients institutionnels, des gros fonds de retraite, des fonds familiaux d’investissement et autres… et on nous demande souvent quelle est notre position sur l’or et les minières ? Et, quand on leur parle de l’or, ils nous regardent bizarrement… et quand on leur parle des minières, alors là, ils rigolent… Personne ne vous prend au sérieux, ce qui me rend extrêmement confiant, du point de vue d’un ‘contrarian’. Le secteur est très petit, en rapport au marché. La capitalisation totale des minières aurifères et argentifères n’est que d’environ $300 milliard, ce qui n’est pas tant que cela, si l’on compare avec certaines grandes compagnies ‘blue chip’ qui ont une capitalisation boursière équivalente. Je crois que les minières ont fait du bon boulot pour garder leurs coûts d’exploitation bas. Plusieurs directeurs se sont fait licencier, elles ont nettoyé leurs bilans, elles ont consolidé des tas de pertes et je crois que l’effet de levier est encore plus élevé aujourd’hui. Et nous avons vu les minières et l’or très bien se comporter dans la première moitié de l’année, mais personne n’en parle, personne n’investi. Alors, selon moi, la configuration est parfaite : c’est toujours un investissement ‘contrarian’, le marché indique que nous sommes à un tournant, et que nous allons probablement entrer dans un nouveau marché haussier… Je considère donc que le ratio risque/rendement est très favorable.
Dan Popescu: Merci de m’avoir accordé votre temps. Encore une fois, pour les gens qui aimeraient lire le rapport, un excellent rapport, nous avons mis un lien, afin qu’ils puissent le lire entièrement et mieux comprendre les sujets abordés aujourd’hui. Alors, merci encore une fois d’avoir bien voulu nous donner de votre temps et de partager vos connaissances avec ceux qui nous suivent sur Goldbroker.com.
Ronald-Peter Stöferle: C’est moi qui vous remercie.
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