Les banques centrales n'en parlent pas, mais on ne peut pas croire que cela ne fasse pas partie de leur politique, que ça constitue même sans doute leur nouvelle stratégie de rechange : la manipulation du cours des monnaies.
L'injection de liquidités, ça ne marche pas, les taux zéro non plus. Les espoirs de reprise économique se sont envolés, la croissance est désespérément nulle. La déflation menace, ce qui rendrait le poids des dettes publiques absolument insupportable. Que faire ? Mais si, il reste un instrument : dévaluer sa monnaie. Les avantages attendus sont multiples : relance des exportations et, donc, de la croissance, inflation importée (par le renchérissement du prix des matières premières) et, donc, éloignement du spectre de la déflation… la solution idoine !
La Banque du Japon (BoJ), toujours en avance sur les autres, actionne ce levier depuis longtemps déjà. Le yen a perdu 20% de sa valeur face au dollar durant l'année 2013 et 15% depuis janvier 2014. Le dollar a franchi, mercredi 1er octobre, la barre symbolique des 110 yens pour la première fois depuis la crise financière de 2008. Début 2012 il valait 76 yens… on mesure la dégringolade de la monnaie nippone. En ce qui concerne l'euro, l'évolution est plus récente, mais pas moins importante, puisqu'il a perdu 10% face à la monnaie américaine sur les quatre derniers mois, ce qui représente un décrochage significatif sur ces marchés très vastes et habituellement calmes. Les déclarations de Mario Draghi souhaitant étendre ses rachats d’actifs, et celles de Janet Yellen annonçant la fin du Quantitative easing, expliquent ce mouvement.
Mais au fait, est-ce que ça marche ? La croissance est-elle repartie au Japon, la menace déflationniste a-t-elle disparu ? Pas du tout, comme chacun le sait, mais cela n'empêche pas la BoJ de persévérer... En réalité les bénéfices "attendus" d'une dévaluation relèvent largement de mirages (keynésiens) aussi illusoires que ceux de la planche à billets qui relancerait la croissance ou du taux zéro qui inciterait les entreprises à investir. Ponctuellement et à court terme des bénéfices peuvent certes apparaître, mais s'il suffisait de dévaluer sa monnaie pour retrouver instantanément productivité et croissance, ça se saurait.
Par contre, ce petit jeu stérile risque de dégénérer. Une monnaie qui perd de sa valeur, cela représente une perte sèche pour les investisseurs étrangers qui ont acquis des actifs libellés dans cette monnaie, que ce soit des actions ou des obligations d'État, et cela les incite à s'en débarrasser. Des turbulences sont à prévoir ! Le Japon est à l'abri pour sa dette publique (détenue à plus de 95% dans le pays), mais pas l'Europe.
Surtout, le grand risque provient des États-Unis, car ils n’ont pas pour habitude d'avoir un dollar fort. On se rappelle leur colère contre le yuan chinois sous-évalué… le Japon s'y remet depuis la crise de 2008, et voici que la BCE entre dans la danse ! La Fed ne peut pas rester sans réagir face à une trop forte remontée du dollar (voici un excellent argument pour Janet Yellen de prolonger le QE ou les taux zéro). Et si la Fed se met également à jouer sur ce terrain, les pays émergents ne pourront pas rester l'arme au pied, eux dont beaucoup dépendent de la monnaie américaine. Une période de "dévaluations compétitives", de troubles, sinon de guerre des changes peut survenir, avec tous les dégâts que cela provoquerait en retour sur l'ensemble des autres actifs financiers...
Avec leurs politiques laxistes, les banques centrales ont déjà provoqué des bulles un peu partout ainsi qu’un écrasement des primes de risque, ce qui a rendu les marchés littéralement aveugles. Seul le marché des changes demeurait relativement calme, à l’écart de ces turbulences… cette période risque de bientôt s'achever.
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